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Pierre 9 février AL

Une perception de la réception d’Amoris Laetitia au 9 février 2024
1 – Le texte d’Amoris Laetitia ( = La Joie de l’Amour)
Il convient d’abord de connaître le statut de ce texte dans le système magistériel de l’Eglise
catholique romaine contemporaine. Il s’agit d’une « Exhortation apostolique post-synodale ». Je
traduis : ce texte vient en 2016 après un Synode, en l’occurrence le Synode en deux sessions
convoqué par le pape François en 2014 et 2015. Rédigée à partir de ces rencontres et des textes
qu’elles ont produit, c’est une réflexion émanant du pape dans sa qualité de successeur des apôtres Pierre et Paul. Ce texte bénéficie donc d’une autorité suffisamment importante pour qu’aucun membre de l’Église catholique romaine puisse le tenir pour négligeable.


La structure du texte en 9 chapitres de tailles inégales donne une idée de la richesse des échanges synodaux en prenant soin de s’appuyer sur l’Ecriture et sur Jésus dans un regard informé sur la situation actuelle de la famille dans le monde. (3 premiers chapitres). Toujours en s’appuyant sur l’Ecriture (en particulier 1 Co. 13), le texte développe ce à quoi l’Église aspire pour la famille, pour sa fécondité, pour elle-même. Il donne des éléments de réflexion pour la pastorale familiale (3 chapitres suivants). Enfin, le texte s’oriente vers un regard sur l’éducation des enfants, puis sur un 8ème chapitre intitulé « Accompagner, discerner et intégrer la fragilité » sur lequel nous reviendrons et enfin un chapitre sur « la spiritualité matrimoniale et familiale ».

Cette structure est tout sauf anodine. Rien que pour les trois derniers chapitres, celui sur l’éducation des enfants est une invitation à articuler vision (nécessaire chez les éducateurs) et progressivité de telle sorte que le travail pastoral de « discernement des situations dites ‘irrégulières’ » soit vécu comme un cheminement concret avec les personnes concernées.

Et le chapitre suivant dit aussi en quelque sorte comment ils sont appelés à vivre une spiritualité authentique. Une originalité importante de ce texte du pape François, bien dans son style, consiste à reprendre la dynamique conciliaire où la dimension pastorale reste toujours présente jusque dans les énoncés de la doctrine.


2 – La réception1 d’Amoris Laetitia
Le moins que l’on puisse dire, moins de dix ans après sa parution, c’est que la réception de
l’Exhortation Apostolique a été fort diversifiée.
Des efforts importants ont été faits tels que l’édition du texte « présentée et annotée sous la
direction du Service national Famille et Société – Conférence des évêques de France – et de la
Faculté de théologie du Centre Sèvres ». Cette édition de référence 2 donne avec le texte des notes explicatives clairement séparées, fait précéder chaque chapitre d’une présentation par un duo de théologien(ne)s et fait suivre chaque chapitre de témoignages ainsi que par un questionnaire pour aider à un partage en groupes.
Cet ouvrage a été pensé pour servir la réception.


On n’oubliera pas le travail de certains services diocésains, ni le suivi assuré par le blog 3 de
Nathalie Mignonat (qui a participé avec son mari Christian au Synode), ni surtout la mise en place de parcours (comme le parcours « Bartimée ») pour aider au discernement dans la perspective d’un accès aux sacrements, perspective ouverte par Amoris Laetitia.


Cela dit, on ne manquera pas de s’étonner de l’ignorance de nombre de ministres, parfois
nouvellement formés 4, mais ayant la responsabilité de préparer au mariage…


1 « Réception » est un terme technique de théologie pour désigner la façon dont une réalité (un texte, une décision) est reçue par le peuple chrétien dans son ensemble.
2 Exhortation apostolique post-synodale du pape François La Joie de l’Amour, édition présentée et annotée sous la direction du Service national Famille et Société – Conférence des évêques de France – et de la Faculté de théologie du Centre Sèvres. Namur / Paris (2016) Ed. Fidélité / Lessius, 374 p.


3 Blog « Synode quotidien ».
4 Par exemple, dans certains séminaires ultra-protecteurs contre tout risque de contamination laxiste.
A vrai dire, la nouveauté de l’Exhortation Apostolique n’a pas échappé à un certain nombre de
membres du clergé – parfois influents – qui se sont mis à livrer des interprétations restrictives sur le texte du Pape François, de telle sorte que ce qu’ils avaient toujours dit ne pouvait toujours pas être mis en cause. Ils ne se sont pas laissés interroger par ce texte, mais l’ont confronté avec ce qu’ils avaient retenus des textes antérieurs qui les avaient nourris.
Ainsi, certaines sessions sur la famille ont été organisées autour d’Amoris Laetitia où tous les
chapitres du texte ont été repris, sauf le chapitre 8 ! J’ai moi-même pris part à la lecture de
l’Exhortation apostolique dans une Équipe Notre Dame où « le temps nous manquait » pour aborder ce chapitre… Je ne ferai qu’évoquer cette déclaration d’un prêtre de mon doyenné, affirmant que dans sa paroisse il n’y avait pas de divorcé-remarié… On assiste ainsi à des réceptions tronquées où l’on se persuade de n’être pas concerné.
3 – Les facteurs de non-réception
Quand on observe de plus près les raisons pour lesquelles l’Exhortation apostolique Amoris
Laetitia est ainsi traitée, on peut observer de vieux réflexes que Vatican II avait commencé à
exorciser, mais que le poids des opposants au Concile réussit à réactiver.
L’opposition entre la doctrine et la pastorale fait partie de l’idéologie du lefebvrisme, car cette
opposition lui permet de rejeter le Concile qui s’est voulu pastoral, ce qui ne voulait assurément pas dire sans doctrine. Mais la relation lefebvriste à la doctrine nous éloigne malheureusement d’un christianisme authentique pour qui la référence à Jésus, Celui dont Jean nous rapporte cette parole « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn. 14, 6). Séparer la Vérité du Chemin et de la Vie, c’est amputer ce que nous dit l’Evangile. Cette absolutisation idolâtre de la doctrine est malheureusement un refrain majeur de nos influenceurs intégristes et elle est perverse : perverse, car la réduction de la parole de l’Église à la doctrine peut amener certains chercheurs de vérité à détester ce que l’Église veut désigner par son enseignement doctrinal ; perverse aussi, car elle peut amener certains esprits peu soucieux de faire usage de leur raison à se servir de la doctrine comme paravent pour cacher le réel ; perverse surtout quand elle amène certains à se faire violents (la plupart du temps en paroles !) contre ceux qui ne s’alignent pas sur leurs propres énoncés.
Souvent, ce qui est cherché dans cet absolu de l’énoncé dogmatique, ce n’est pas, comme le
soulignait St Thomas d’Aquin, ce que vise l’engagement de la foi, mais ce côté inamovible qui nous rassure dans notre système de croyances. On réduit ainsi la foi à une idéologie.
Certains utilisent aussi l’énoncé canonique comme référence suprême à cause de cette même
caractéristique présumée de la stabilité absolue. Ce faisant, ils font le choix paresseux de la norme contre celui plus laborieux de la recherche du sens. La norme sert comme repère dans ce qui est alors un processus plus global de discernement actif pour ouvrir « le chemin de la grâce et de la croissance » (A.L. § 305).
Pour ceux qui avaient encore des scrupules normatifs, un échange de courrier entre les évêques
argentins et le pape François après la publication de l’Exhortation apostolique Amoris Laetitia a été officiellement déclaré comme « enseignement authentique du magistère » dans un rescrit publié par l’équivalent du Journal Officiel du Vatican 5.
Conclusion : nous avons encore fort à faire pour que cette parole officielle de l’Église puisse être
connue, écoutée, accueillie et mise en pratique dans toute notre Église en commençant par nous- mêmes.
P. Pierre Lathuilière
Prêtre du diocèse de Lyon


5 In Acta Apostolicae Sedis, page 1074, An.Et Vol CVIII, N°10 du 7 octobre 2016.