Home » Textes de référence » Livres et écrits » Un travail approfondi

Un travail approfondi

Le frère Joël Philippon, conseiller spirituel de l’équipe de Rouen a rassemblé un grand ensemble de textes officiels et d’écrits sur la  » question des divorcés-remariés »….très fouillé et de lecture indispensable pour ceux qui veulent  comprendre quelque chose à cette situation.

DIVORCÉS REMARIÉS

Mars 2015

 

Dans l’Église catholique romaine, la question des divorcés-remariés désigne l’interdiction faite aux couples ayant reçu le sacrement de mariage puis vécu une rupture conjugale et vivant avec un nouveau conjoint de recevoir la communion eucharistique. Cette position est l’objet de critiques.

 

I/ La position traditionnelle du magistère

 

  1. A) Exposé des motifs

 

L’Église catholique s’oppose à la communion eucharistique des divorcés remariés au nom de la contradiction entre le statut des divorcés remariés et l’alliance irrévocable conclue par le Christ avec son Église, dont l’Eucharistie est le signe.

Pour l’Église catholique, le lien sacré créé par le sacrement de mariage n’est pas rompu dans un divorce. Le divorce est la dissolution du seul mariage civil. En conséquence, un remariage religieux est impossible.

Ceux qui, étant divorcés, ne concluent pas un deuxième mariage civil, ont accès à tous les sacrements de l’Église et peuvent donc communier. En revanche, les personnes qui se remarient civilement ne peuvent recevoir la communion eucharistique1, tout en restant membres à part entière de l’Église2. Contrairement à une erreur courante, les divorcés-remariés ne sont notamment pas frappés d’excommunication.

 

  1. B) Déclarations magistérielles

 

                   α) Familiaris Consortio 1981 Jean-Paul II

 

Dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, le magistère rappelle l’indissolubilité du mariage chrétien :

  1. La communion conjugale se caractérise non seulement par son unité, mais encore par son indissolubilité: «Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité». C’est un devoir fondamental pour l’Église d’affirmer encore et avec force – comme l’ont fait les Pères du Synode – la doctrine de l’indissolubilité du mariage: à ceux qui, de nos jours, pensent qu’il est difficile, voire impossible, de se lier à quelqu’un pour la vie, à ceux encore qui sont entraînés par une culture qui refuse l’indissolubilité du mariage et qui méprise même ouvertement l’engagement des époux à la fidélité, il faut redire l’annonce joyeuse du caractère définitif de cet amour conjugal, qui trouve en Jésus-Christ son fondement et sa force.

 

Il précise pourquoi les divorcés remariés ne peuvent recevoir le sacrement eucharistique (communion) :

 

  1. (…) L’Église, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l’Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d’y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier: si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage.

 

Jean-Paul II interdit aux prêtres d’autoriser ou de célébrer toute cérémonie à cette occasion :

 

  1. (…) De la même manière, le respect dû au sacrement de mariage, aux conjoints eux-mêmes et à leurs proches, et aussi à la communauté des fidèles, interdit à tous les pasteurs, pour quelque motif ou sous quelque prétexte que ce soit, même d’ordre pastoral, de célébrer, en faveur de divorcés qui se remarient, des cérémonies d’aucune sorte. Elles donneraient en effet l’impression d’une célébration sacramentelle de nouvelles noces valides, et induiraient donc en erreur à propos de l’indissolubilité du mariage contracté validement.

 

 

                   β) Le Catéchisme de l’Église catholique 1992

 

  1. L’Église… ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le premier mariage l’était.

Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. Dès lors, ils ne peuvent accéder à la communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation…

La réconciliation par le sacrement de Pénitence ne peut être accordée qu’à ceux qui se sont repentis d’avoir violé le signe de l’alliance et de la fidélité au Christ, et se sont engagés à vivre dans une continence complète.

 

 

                   γ) Sacramentum Caritatis 2007

 

Dans l’exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, le magistère exprime sa position à cet égard :

Le Synode des Évêques a confirmé la pratique de l’Église, fondée sur la Sainte Écriture (cf. Mc 10, 2-12), de ne pas admettre aux sacrements les divorcés remariés, parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Église, qui est signifiée et mise en œuvre dans l’Eucharistie.

Toutefois, les divorcés remariés, malgré leur situation, continuent d’appartenir à l’Église, qui les suit avec une attention spéciale, désirant qu’ils développent, autant que possible, un style de vie chrétien, par la participation à la Messe, mais sans recevoir la Communion, par l’écoute de la Parole de Dieu, par l’adoration eucharistique et la prière, par la participation à la vie de la communauté, par le dialogue confiant avec un prêtre ou un guide spirituel, par le dévouement à la charité vécue et les œuvres de pénitence, par l’engagement dans l’éducation de leurs enfants ».

 

 

                   δ) Benoît XVI   1972 – 2014

 

Dans un article publié en 1972, Joseph Ratzinger, alors professeur de théologie à l’Université de Ratisbonne, prend position en faveur de l’admission à la communion des divorcés remariés dans certains cas. Il invoque deux arguments.

– D’abord l’imperfection des procès de reconnaissance en nullité qui limitent les questions à ce qui est juridiquement démontrable au risque de « négliger des faits décisifs ».

– Ensuite la notion d’indulgence développée par Basile de Césarée.

 

« Là où une première union conjugale se trouve rompue depuis longtemps et d’une manière irréversible pour les deux parties ;

Là où, en revanche, une seconde union contractée ultérieurement a fait ses preuves sur une période assez longue comme une réalité justifiable moralement et a été remplie d’un esprit de foi, spécialement aussi à propos de l’éducation des enfants,

On devrait, en recourant à une procédure extra-juridique et en vertu du témoignage du curé et des membres de la communauté paroissiale,  permettre  à ceux qui vivent ainsi  dans une seconde union  de recevoir la communion. Une telle réglementation me semble être justifiée au nom de la tradition. »

 

Selon le futur pape, il devrait être possible de permettre l’accès à la communion de personnes dont la première union « se trouve rompue depuis longtemps et d’une manière irréversible », et dont la seconde union « contractée ultérieurement a fait ses preuves sur une période assez longue comme une réalité justifiable moralement et a été remplie d’un esprit de foi ».

 

Le cardinal Ratzinger adresse une lettre aux évêques le 14 septembre 1994, dans laquelle il réfute expressément les thèses favorables à l’accès des divorcés remariés à la communion, thèses soutenues plus tard, entre autres, par le cardinal Kasper.

 

« Face aux nouvelles solutions pastorales… cette Congrégation juge donc qu’elle a le devoir de rappeler la doctrine et la discipline de l’Église à ce sujet. Celle-ci, fidèle à la parole de Jésus-Christ, affirme qu’elle ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le mariage précédent l’était. Si les divorcés se sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu et, dès lors, ils ne peuvent pas accéder la Communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation ». Et le cardinal poursuit : « Ceci ne signifie pas que l’Église n’ait pas à cœur la situation de ces fidèles, qui, du reste, ne sont en rien exclus de la communion ecclésiale. Elle se préoccupe de les accompagner pastoralement et de les inviter à participer à la vie ecclésiale dans la mesure où cela est compatible avec les dispositions du droit divin, dont l’Église ne dispose d’aucun pouvoir de dispense. »

 

Cette dernière phrase est assez délicate à interpréter. Certains y verront, par exemple, une invitation à interdire à une femme divorcée remariée de faire une lecture à la messe. D’autres, au contraire, n’hésiteront pas à le proposer, ne voyant en cela aucun problème de compatibilité avec « le droit divin ». Interprétation floue qui ne peut que renforcer le malaise ambiant.

 

Le cardinal Ratzinger a rédigé aussi en 1998, alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, un article publié dans l‘Osservatore Romano, où il ouvre deux pistes :

 

  1. « La première est le possible accroissement des reconnaissances canoniques de la nullité des mariages célébrés ‘sans foi’ par au moins l’un des deux époux, même s’il est baptisé.
  2. La seconde est le possible recours à une décision ‘au for interne’, de la part d’un catholique divorcé et remarié, d’accéder à la communion au cas où la non-reconnaissance de la nullité de son précédent mariage (en raison d’un jugement considéré comme erroné ou de l’impossibilité d’en prouver la nullité par voie de procédure) serait en opposition avec sa ferme conviction en conscience que ce mariage était objectivement nul« .

 

Dans l’exhortation apostolique sur l’Eucharistie, parue en février 2007, Benoît XVI souligne que les divorcés remariés n’ont pas accès à l’Eucharistie « parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Eglise, signifié et mis en œuvre dans l’Eucharistie ».

 

 

Cependant, en 2014, Benoît XVI, devenu pape émérite, réécrit ces lignes dans le cadre de leur publication au t. 9 de ses Œuvres complètes qui paraissent en allemand chez l’éditeur Herder. L’idée d’une admission possible des divorcés remariés à la communion disparaît.

Selon Benoît XVI, il faut prendre en considération la difficile relation de nos sociétés contemporaines à la notion de fidélité. Il faut également approfondir la question de la foi des époux au moment du mariage.

Benoît XVI estime néanmoins possible que, tout en étant exclus de la communion, les divorcés remariés puissent s’engager dans les associations ecclésiales et être parrain ou marraine.

 

La « retractatio » de Benoît XVI – la nouvelle conclusion de l’article de 1972, rédigée en 2014 – mérite d’être lue. En voici un extrait :

« De tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant il résulte d’une part que l’Église d’Occident – l’Église catholique – sous la conduite du successeur de Pierre, sait qu’elle est étroitement liée à ce que le Seigneur a dit à propos de l’indissolubilité du mariage, mais d’autre part qu’elle a également cherché à discerner quelles étaient les limites de cette indication afin de ne pas imposer aux gens plus de contraintes que nécessaire.

 

C’est ainsi que, en partant de la suggestion faite par l’apôtre Paul et en s’appuyant en même temps sur l’autorité du ministère pétrinien, elle a en outre élaboré, pour les mariages non sacramentels, la possibilité de divorcer pour le bien de la foi [ndlt : lire le texte complet pour bien saisir cet aspect]. De la même manière, elle a examiné sous tous les aspects la question de la nullité d’un mariage.

 

L’exhortation apostolique « Familiaris consortio » de Jean-Paul II, publiée en 1981, a franchi un pas supplémentaire. Il est écrit, au numéro 84 : « Avec le Synode, j’exhorte chaleureusement les pasteurs et toute la communauté des fidèles à aider les divorcés en faisant en sorte, avec une grande charité, qu’ils ne se sentent pas séparés de l’Église […]. Que l’Église prie pour eux, qu’elle les encourage et se montre à leur égard une mère miséricordieuse et qu’ainsi elle les soutienne dans la foi et dans l’espérance ».

 

C’est ainsi qu’une mission importante est attribuée à la pastorale, mission qui n’a peut-être pas encore été suffisamment transposée dans la vie quotidienne de l’Église. Certains détails sont indiqués dans l’exhortation elle-même. Il y est dit que ces personnes, dans la mesure où elles sont baptisées, peuvent participer à la vie de l’Église et même qu’elles ont le devoir de le faire. Une liste des activités chrétiennes qui leur sont ouvertes et nécessaires est donnée. Peut-être, cependant, faudrait-il souligner avec davantage de clarté ce que peuvent faire leurs pasteurs et leurs frères dans la foi afin que ces personnes puissent ressentir véritablement l’amour de l’Église. Je pense qu’il faudrait leur reconnaître la possibilité de s’engager dans les associations ecclésiales et également celle d’accepter d’être parrain ou marraine, ce que le droit ne prévoit pas pour le moment.

 

Il y a un autre point de vue qui s’impose à moi. Si l’impossibilité de recevoir la sainte eucharistie est perçue comme tellement douloureuse, c’est notamment parce que, de nos jours, presque toutes les personnes qui participent à la messe s’approchent aussi de la table du Seigneur. Ce qui fait que ceux qui sont frappés par cette impossibilité apparaissent également comme étant publiquement disqualifiés en tant que chrétiens.

 

Je pense que l’avertissement que nous lance saint Paul, quand il nous invite à nous examiner nous-mêmes et à réfléchir au fait qu’il s’agit ici du Corps du Seigneur, devrait être de nouveau pris au sérieux : « Que chacun, donc, s’éprouve soi-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 28 s.).

Un sérieux examen de soi, qui peut même conduire à renoncer à la communion, nous ferait en outre sentir d’une manière nouvelle la grandeur du don de l’eucharistie et il représenterait en même temps une forme de solidarité avec les divorcés remariés.

 

Je voudrais ajouter à cela une autre suggestion pratique. Dans beaucoup de pays on a vu s’installer la coutume selon laquelle les personnes qui ne peuvent pas recevoir la communion (par exemple celles qui appartiennent à d’autres confessions) s’approchent de l’autel, mais en gardant les mains sur la poitrine. Elles font comprendre, par ce comportement, qu’elles ne reçoivent pas le saint sacrement, mais qu’elles demandent une bénédiction, qui leur est donnée en tant que signe de l’amour du Christ et de l’Église. Il est certain que cette forme pourrait être également choisie par les personnes qui vivent un second mariage et qui, par conséquent, ne sont pas admises à la table du Seigneur. Le fait que cela rende possible une communion spirituelle intense avec le Seigneur, avec tout son Corps, avec l’Église, pourrait être pour elles une expérience spirituelle qui leur donnerait de la force et les aiderait. »

 

 

                   ε) Le cardinal Gerhard Müller 2013

 

Dans un texte intitulé « La force de la grâce » et publié dans l’Osservatore Romano le 22 octobre 2013, le cardinal Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, affirme que l’admission à l’Eucharistie ne peut être accordée aux divorcés remariés. Il soutient que l’argument de la miséricorde est insuffisant, dans la mesure où il entraîne « un risque de la banalisation de l’image de Dieu ».

 

Cet article aurait même été publié «visiblement avec l’approbation du pape» et signifierait clairement un «gel des espoirs de changement» : «Que la « miséricorde » prêchée par le pape Jorge Mario Bergoglio prélude à une suppression de l’interdiction qui leur est faite de communier, comme beaucoup d’observateurs l’avaient déduit, c’est désormais à exclure.»

 

C’est le rôle de Mgr Gerhard Müller d’être le garant de la doctrine de l’Eglise, donc de ne pas anticiper sur de possibles ajustements. Néanmoins, souligne Isabelle de Gaulmyn (La Croix) :

« pour le fidèle catholique, qui reçoit ces deux discours en provenance de Rome, le message risque de se brouiller singulièrement.

D’autant plus que plusieurs passages de ce texte du cardinal Müller semblent prendre l’exact contre-pied d’autres expressions du pape François.

Ainsi, lorsque le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi explique qu’avec ce qui est « objectivement un faux appel à la miséricorde, on court de plus le risque d’une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner ».

Ou encore lorsqu’il oppose la conscience des fidèles à l’obéissance au magistère, on peut trouver une certaine contradiction avec les propos du pape, sur ce sujet, dans un entretien avec l’éditorialiste italien Eugenio Scalfari. »

 

Le cardinal Müller écarte également la possibilité pour l’Église catholique d’adopter une pratique voisine de celle des Églises orthodoxes, dont les fidèles divorcés, après un temps de pénitence, peuvent contracter un second mariage

On sait que les pressions actuelles s’appuient sur l’existence de difficultés personnelles rencontrées par des divorcés remariés qui, bien que se trouvant en situation « irrégulière », aimeraient pourtant continuer de pratiquer leur foi.

 

Le cardinal Müller : « Il existe évidemment et il a toujours existé des difficultés individuelles et personnelles dans le mariage, mais ici la question est celle du mariage en tant qu’institution divine. (…) Nous ne voulons pas seulement défendre le mariage et la famille, nous voulons aussi soutenir le développement de la famille dans notre société. Jésus-Christ a clairement institué le mariage en tant que sacrement, avec les éléments de l’indissolubilité et de la bipolarité des deux sexes. »

 

Il a rappelé à la Stampa que les « dimensions légale et pastorale » de la question ne s’opposent pas :

« Le ministère ne peut avoir une conception différente de celle de la doctrine, la doctrine et le soin pastoral sont la même chose. Jésus-Christ en tant que pasteur et enseignant et Jésus-Christ en tant que parole ne sont pas des personnes différentes. Non, la doctrine de l’Eglise est très claire.

Nous devons rechercher des manières pour développer le soin pastoral en faveur du mariage, mais pas seulement pour les divorcés-remariés, mais pour ceux qui vivent dans le mariage.

Nous ne pouvons pas toujours nous focaliser sur cette seule question de savoir s’ils peuvent communier ou non.

Les problèmes et les blessures résident dans le divorce, les enfants qui ne peuvent plus avoir leurs parents et qui sont contraints de vivre avec d’autres qui ne sont pas leurs parents : voilà les problèmes. »

 

Le cardinal ajoute : il faudrait aussi cesser d’utiliser l’expression de « divorcé-remarié » qui est un véritable oxymore (figure de style réunissant deux termes antinomiques), puisqu’au regard de la Foi il n’y a pas plus de « divorcés » que de « remariés ». Le seul cas de remariage est celui qui fait suite à un veuvage. En fait « divorcés-remariés » signifie : « adultères publics ». Et là on comprend mieux pourquoi l’Eglise ne peut cautionner cette pratique.

 

« Eux aussi, les fidèles divorcés et remariés, appartiennent à l’Église » et « ont droit à la sollicitude pastorale et doivent participer à la vie de l’Église », « l’admission à l’Eucharistie ne peut toutefois pas leur être accordée. Pour cela, un double motif est mentionné :

  1. a) ”leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie” ;
  2. b) ”si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage”. »

 

 

 

II/ Les demandes d’une réforme

 

      A/ Quelles sont les difficultés théologiques ?

 

Pour Jean Mercier, journaliste à la Vie, l’impossibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements apparaît fréquemment comme illustrant les contradictions de l’Église catholique5.

– D’un côté, l’Église catholique exalte l’importance des sacrements comme médiation de la grâce, de l’autre elle oblige une frange importante des baptisé(e)s à vivre leur foi en se passant des sacrements.

– D’un côté, l’Église catholique prône l’accueil de ceux qui souffrent, de l’autre elle refuse l’accès aux sacrements à des personnes qui ont été très blessées par les vicissitudes de l’existence.

– L’Église catholique permet à des divorcés remariés de recevoir les sacrements s’ils vivent une abstinence sexuelle totale. Mais cette condition ne semble pas compatible avec une existence équilibrée.

– L’Église semble faire deux poids deux mesures. Les prêtres peuvent être réduits à l’état laïque et se marier, de même que les religieux peuvent être relevés de leurs vœux. En revanche, les gens mariés le sont irrévocablement. Seuls les mariés n’ont pas droit à l’erreur.

– Tous les divorcés remariés sont traités de la même manière, alors que les uns ont voulu le divorce tandis que d’autres l’ont subi. Il semble y avoir ici une injustice.

– Lors de la cérémonie du mariage, l’Église n’est pas claire sur ce que le sacrement implique, à savoir que chacun devra rester seul si l’autre vient à partir. Du coup, les époux ne s’engagent pas en tout lucidité sur ce point.

 

      B/ Prises de position de prélats et de théologiens

 

  1. a) Le cardinal Kasper, président émérite du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, s’est exprimé le 20 février 2014 sur la question de l’accès à la communion des divorcés-remariés, à l’ouverture du consistoire des cardinaux sur la famille. Son discours a été rendu public par le quotidien italien Il Foglio. À ses yeux, l’indissolubilité du mariage sacramentel ne peut être abandonnée. Toutefois, ne chercher la solution du problème que dans un élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une « erreur ».

En effet, dit le cardinal Kasper, cela ferait naître l’impression que l’Église procède « de manière malhonnête » pour accorder ce qui, « en réalité, est un divorce ».

 

Le cardinal Kasper affirme le besoin d’un « changement de paradigme », c’est à dire de « considérer également la situation dans la perspective de ceux qui souffrent et demandent de l’aide ».

Il demande qu’on revienne à la pratique de l’Église primitive, selon laquelle les chrétiens qui vivaient une seconde union alors même que leur premier partenaire était encore en vie pouvaient, après un temps de pénitence, participer à la communion.

 

Indissolubilité du mariage

« (L’Eglise) ne peut pas proposer une solution différente ou contraire à ce qu’a dit Jésus. L’indissolubilité d’un mariage sacramentel et l’impossibilité de contracter un nouveau mariage tant que l’autre partenaire est vivant fait partie de la tradition de foi contraignante de l’Église qui ne peut pas être abandonnée ou dissoute en faisant appel à une compréhension superficielle de la miséricorde à bas prix. »

 

Chemin de pénitence

« Ne chercher la solution du problème que dans un généreux élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une erreur. On ferait ainsi naître la dangereuse impression que l’Église procède de manière malhonnête pour accorder ce qui, en réalité, est un divorce. (…) L’Église des débuts nous fournit une indication qui peut aider à sortir de ce dilemme et à laquelle le professeur Joseph Ratzinger avait déjà fait allusion en 1972. (…) Dans chaque Église locale il existait un droit coutumier en vertu duquel les chrétiens qui vivaient une seconde union alors même que leur premier partenaire était encore en vie avaient à leur disposition, après un temps de pénitence, non pas un second mariage, mais plutôt, à travers la participation à la communion, une planche de salut.»

 

Le retour à l’Eglise des débuts

« Il est indubitable que, dans l’Église des débuts, beaucoup d’Églises locales, en vertu d’un droit coutumier, pratiquaient, après un temps de repentir, la tolérance pastorale, la clémence et l’indulgence.

Eviter le pire

« Cette voie possible ne serait pas une solution générale. Ce n’est pas la voie large de la grande masse, mais plutôt la voie étroite de la partie probablement la plus petite des divorcés remariés, sincèrement intéressée par les sacrements. Ne faut-il pas éviter le pire précisément sur ce point ? En effet, lorsque les enfants des divorcés remariés ne voient pas leurs parents s’approcher des sacrements, d’habitude ils ne trouvent pas non plus le chemin vers la confession et vers la communion. Est-ce que nous ne prendrons pas en compte le fait que nous perdrons aussi la génération suivante et peut-être même celle qui viendra ensuite ? Est-ce que notre pratique confirmée ne se montre pas contreproductive ? »

 

 

Cinq conditions : le « théorème Kasper »

Ce qui conduit le cardinal Kasper à développer cinq conditions permettant d’envisager un accès à la communion pour un divorcé remarié :

 

Un divorcé remarié :

  1. s’il se repent de son échec dans son premier mariage,
  2. s’il a clarifié les obligations correspondant à son premier mariage, s’il est définitivement exclu qu’il revienne en arrière,
  3. s’il ne peut pas renoncer, sans ajouter d’autres fautes, aux engagements qu’il a pris dans le cadre de son nouveau mariage civil,
  4. si toutefois il s’efforce de vivre au mieux de ses possibilités son second mariage à partir de la foi et d’élever ses enfants dans la foi,
  5. s’il a le désir des sacrements en tant que source de force dans sa situation, devons-nous ou pouvons-nous lui refuser, après un temps de nouvelle orientation, de “metanoia”, le sacrement de pénitence puis celui de la communion ?

 

Cette voie, envisagée comme une « conversion », ne sera pas toutefois « une solution générale », pour    « la grande masse », mais « la voie étroite », pour ceux qui sont « sincèrement intéressés par les sacrements».

 

Le cardinal Kasper a déclaré qu’il fallait faire et que l’on fera des changements dans la « pratique pastorale » de l’Eglise pour permettre aux catholiques « remariés » de s’approcher de la communion après avoir observé une « période pénitentielle » mais sans quitter leur nouvel état.

 

Il réfléchit également à une deuxième voie, plus classique, proposée aux divorcés remariés : la reconnaissance de nullité de mariage. Faisant valoir qu’on ne peut cantonner cette question hautement spirituelle et pastorale au champ juridique, il évoque l’idée que l’évêque puisse confier cette tâche à un prêtre possédant une expérience spirituelle et pastorale.

 

 

Réactions : l’opinion courante est que le « théorème Kasper » tend à faire en sorte que de manière générale les divorcés remariés puissent communier sans que le précédent mariage soit reconnu nul.

Actuellement ceci n’est pas le cas, sur la base des mots de Jésus, très sévères et explicites sur le divorce. Celui qui a une vie matrimoniale complète sans que le premier lien soit considéré non valable par l’Église se trouve, selon la doctrine actuelle, en situation permanente de péché.

 

C’est en ce sens qu’ont parlé clairement le cardinal de Bologne, Mgr Caffarra, ainsi que le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal allemand Müller.

Tout aussi explicite a été le cardinal Walter Brandmüller (« Ni la nature humaine, ni les Commandements, ni l’Évangile n’ont une date d’expiration… Il est bon d’avoir le courage d’énoncer la vérité, même contre les usages du moment. Un courage que toute personne qui parle au nom de l’Église doit posséder, si elle ne veut pas manquer à sa vocation… le désir d’obtenir l’approbation et l’adhésion est une tentation toujours présente dans la diffusion de l’enseignement religieux… » – des paroles qu’il a ensuite rendues publiques).

Même le président des évêques italiens, le cardinal Bagnasco, s’est exprimé de manière critique sur le « théorème Kasper ».

Le cardinal africain Robert Sarah, responsable de « Cor unum », a rappelé, en conclusion de son intervention, qu’au cours des siècles, même sur des questions dramatiques, il y a eu des divergences et des controverses au sein de l’Église, mais que le rôle de la Papauté a toujours été de défendre la doctrine.

Le cardinal Re : je suis totalement contre ce rapport .

Même le Préfet de la Penitenzieria, le cardinal Piacenza, s’est déclaré contre, disant à peu près : « Nous sommes ici maintenant, et nous serons ici en octobre pour un Synode sur la Famille, et si nous voulons faire un Synode positif, je ne vois pas pourquoi nous devrions aborder seulement le thème de la communion pour les divorcés. Et il a ajouté : Pour tenir un discours pastoral, il me semble que nous devrions prendre acte d’un pansexualisme très largement diffusé et d’une agression de l’idéologie du gender qui tend à détruire [littéralement : sortir de ses gonds] la famille telle que nous l’avons toujours connue. Il serait providentiel que nous soyons la Lumen gentium pour expliquer dans quelle situation nous nous trouvons et ce qui peut détruire la famille. »

Le cardinal Tauran, du Dialogue Interreligieux, a repris le thème de l’agression contre la famille, y compris sous l’angle des rapports avec l’islam.

Et le cardinal de Milan lui-même, Mgr Scola, a formulé des doutes théologiques et doctrinaux. L’Eucharistie « n’est pas un sacrement de guérison », et que dans le cas des divorcés remariés, il ne s’agit pas d’ « un seul péché, toujours pardonnable quand la personne  se repent et demande pardon à Dieu », mais « d’un état de vie (…) qui demande à être changé pour pouvoir correspondre à ce que les deux sacrements actualisent ».

Une forte critique est venue du cardinal Camillo Ruini: « Je ne sais pas si j’ai bien noté, mais jusqu’ici 85 pour cent environ des cardinaux qui se sont exprimés semblent contre à la position du rapport », ajoutant que parmi ceux qui n’avaient rien dit et ne pouvaient pas être classifiés, il avait observé des silences « qui [lui] semblaient embarrassés ».

Le cardinal Ruini a ensuite cité le Bon Pape Jean XXIII, disant en substance : « Lorsque Jean XXIII a prononcé le discours d’ouverture du Concile Vatican II, il a dit qu’on pouvait tenir un Concile pastoral parce que, heureusement, la doctrine était pacifiquement acceptée par tous et qu’il n’y avait pas de controverses ; donc on pouvait prendre une approche pastorale sans crainte d’être mal compris, puisque la doctrine restait très claire. Si Jean XXIII a eu raison à cet instant, a noté le prélat, Dieu seul le sait, mais apparemment cela était peut-être vrai en grande partie. Aujourd’hui, cela ne pourrait plus être dit de manière aussi absolue, parce que la doctrine non seulement n’est pas partagée, mais elle est combattue. Ce serait une erreur fatale de vouloir parcourir le chemin de la pastorale sans faire référence à la doctrine. »

 

Il est donc compréhensible que le cardinal Kasper ait paru être un peu vexé dans l’après-midi lorsque le pape Bergoglio lui a permis de répondre, sans cependant permettre de susciter une vraie contradiction : seul Kasper a parlé. Aux critiques formulées en Consistoire envers le « théorème Kasper », il s’en ajoute d’autres, formulées en privé au Pape, ou publiques, de la part de cardinaux de chaque partie du monde. Le problème soulevé par beaucoup de voix critiques est que sur ce point l’Évangile est très explicite. Et ne pas en tenir compte (c’est cela que l’on craint) rendrait très instable, et modifiable à loisir, n’importe quel autre point de doctrine basé sur les Évangiles. »

 

  1. b) Mgr Johan Josef Bonny, évêque d’Anvers, plaide dans un texte publié en septembre 2014 pour une évolution du magistère, tout en précisant que celle-ci ne concernerait pas le contenu de la doctrine mais la méthode pour la propager.

Prenant acte de « l’incompréhension croissante » et de « l’indifférence progressive » entre les croyants et l’enseignement moral de Rome, il met en avant trois facteurs qui ont contribué à établir un « terrain particulièrement conflictuel » :

+ le manque de collégialité entre Rome et les conférences épiscopales,

+ la non-reconnaissance par le magistère de la place de la conscience personnelle,

+ une conception statique de la tradition.

 

Il considère que, si l’Église veut être « maison et école de communion », elle doit tenir compte de la complexité des situations réelles. À ses yeux, pour faire comprendre le bien-fondé de sa doctrine, l’Église gagnerait à se positionner comme compagnon de route plus que comme surveillant général de l’application des règles. Jusqu’à quel point est-il légitime, pour aborder ces questions, de privilégier une seule école de théologie morale?

 

  1. c) Le cardinal Georges Pell, l’un des proches du pape François puisqu’il fait partie de son conseil de 9 cardinaux, et le cardinal Ouellet se prononcent contre tout changement autorisant l’accès à l’eucharistie pour les divorcés remariés.

 

  1. d) Pour le P. Alain Thomasset, s.j., professeur de théologie morale au Centre Sèvres, il serait utile de remettre en valeur la « loi de gradualité » pour trouver des solutions pastorales plus miséricordieuses face aux situations « difficiles ». Selon ce principe, formulé par saint François de Sales et repris par Jean-Paul II dans Familiaris consortio, on ne peut exiger du chrétien qu’il applique la loi morale entièrement et d’un coup. Mais il faut au contraire l’aider à avancer sur un chemin de croissance, dans la durée. A. Thomasset regrette que, dans la théologie catholique, l’école personnaliste, qui place la personne humaine au cœur de la morale en vue de son développement vers une plus grande dignité, ait été délaissée depuis plusieurs décennies au profit d’une école qui met au premier plan la loi naturelle.

 

  1. e) Pour le théologien Xavier Lacroix, on ne peut assimiler le remariage après divorce à un adultère. Il considère que cet état de vie comporte une dimension de péché mais aussi « d’indéniables biens éthiques ». Tout en défendant l’indissolubilité du mariage, il se montre favorable, pour les divorcés-remariés, à un accès à l’eucharistie. Cet accès devrait faire suite à un temps de pénitence et de jeûne eucharistique, mais il ne serait pas conditionné par l’abstinence sexuelle.

 

 

Interview de Xavier Lacroix et du Père Gérard Berliet, du diocèse de Dijon

 

Gérard Berliet : accompagner les gens sur un chemin de conversion à partir de la discipline de l’Eglise catholique
« Je ne parle que de mon expérience de pasteur, liée aux personnes que j’ai accompagnées et aux questions que cela m’a posé. Pour moi sortir de l’impasse, c’est rechercher les fruits d’un cheminement vécu à partir de la situation actuelle, et essayer de rendre possible ce que l’on croyait illusoire au départ.

 

Ma perspective était de partir des repères donnés par l’Eglise catholique, en cherchant à les utiliser pour qu’ils conduisent à la consolation et à la pacification progressive des personnes, mais aussi à la croissance de leur foi. J’ai réellement fait l’expérience que les Ecritures, la tradition et le magistère ne peuvent subsister séparément, et qu’y revenir permet à la personne d’être mieux dans sa vie, mais aussi devant Dieu.

Parmi ces fruits, il y a des choses très simples qui sont du ressort de la guérison et de la paix retrouvée avec l’Eglise. Pour certains cela prend quinze ans, mais ce temps vaut le coup lorsqu’il s’agit d’être restauré intérieurement ! Cela suppose d’entrer dans un chemin de conversion, pour l’amour de Dieu, même si au départ on ne comprend rien. On accepte de dire devant Dieu qu’en effet il y a quelque chose dans notre vie qui n’est pas droit. Ce n’est pas un drame par rapport à mon salut !

Il n’est pas question de se placer sur le plan de la loi. Ce dont il s’agit, c’est de l’amour de Dieu.

 

Il y a des choses très concrètes à rechercher, des apprentissages à faire : comment se situer par rapport aux enfants, apprendre à écouter leur ressenti, avancer dans sa relation avec son conjoint précédent, reconnaître le péché, et vivre de façon nouvelle les sacrements… Car on n’est pas dans le tout ou rien :  il y a des chemins qui existent pour vivre quelque chose des sacrements, et ce ne sont pas des miettes.  Il y a une véritable communion au Christ possible sans eucharistie. Il y a un pardon possible, même si je ne reçois pas l’absolution.

 

J’ai parfois reçu des personnes qui ne demandaient pas à se confesser, mais simplement à parler avec moi et à comprendre la position de l’Eglise; je la leur exposais avec une certaine crainte de leur réaction, alors que finalement ils allaient tout à fait l’accepter. Savoir que je ne peux communier au Christ en m’approchant de la Table mais que je peux le faire par le cœur, était tout à fait reçu. Dans notre difficulté à accueillir la loi, et dans le sens que cela prend pour nous, il y a une difficulté culturelle propre à l’Occident; cela n’est pas vécu ainsi dans d’autres pays.

 

Pour sortir de l’impasse, il faut réfléchir sur ce qu’est le sacrement. Dans le sacrement, le Christ désire renforcer notre lien avec lui, nous communiquer quelque chose de ce qu’il est, nous prendre en lui pour faire de nous des Fils, quel que soit notre état de cœur, de corps et de foi. Vivre le sacrement dans sa plénitude ou pas ne change rien à l’objectif du Christ vis-à-vis de nous. Il déborde le sacrement. La question, c’est celle des modalités de la communion au Christ. Le Christ offre son pardon; il s’agit de savoir si je suis dans des dispositions de cœur pour le recevoir. En revanche, le célébrer sacramentellement risquerait à mes yeux d’être perçu comme une approbation du nouveau lien.  »

Xavier Lacroix : construire un chemin qui amène à vivre la réconciliation avec l’Eglise


    
« Il n’y a pas de solution simple, évidente, facile, pour sortir de l’impasse. Saint Augustin lui-même disait, après avoir étudié la question de l’adultère, qu’il ne pensait pas être arrivé à une solution qui prétende à la « perfection ».

La question, c’est de savoir comment on peut tenir à la fois le fondamental et le vécu concret, être attentif à un interdit évangélique très net que l’on trouve dans la bouche de Jésus (si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il commet l’adultère), sans le plaquer sur le droit canonique. C’est ma voie de recherche.

 

Car d’emblée nous sommes face à une contradiction. D’un côté il y a un bien réel dans l’indissolubilité du mariage, l’idée qu’il y a un lien qui dure toujours. On ne peut pas brader cette notion et dire aux gens que si c’est trop dur ils pourront arrêter. Humainement, il y a de l’irréversible dans le lien conjugal, on ne peut prétendre qu’il n’en reste rien : vivre l’intimité sexuelle, connaitre les familles, les fragilités de l’autre, avoir des enfants crée des liens durables.

De l’autre côté il y a l’attention aux personnes et aux histoires : on peut se tromper, on peut vivre une belle seconde histoire, on peut désirer être réconcilié avec l’Eglise… Le problème c’est que si on se remarie, il y a deux liens conjugaux simultanés, cela crée un vrai problème et je comprends que l’Eglise le marque par sa discipline.

 

La solution actuelle c’est de priver des sacrements pour marquer qu’il n’y a pas pleine communion avec l’Eglise. Creuser le sens de cela et prendre conscience de sa situation peut mener à de beaux cheminements spirituels. Mais cette discipline pose problème, notamment parce qu’elle est définitive, ce qui devient de plus en plus dur à vivre avec le temps, et aussi parce qu’on fait de l’adultère le seul péché impardonnable. Ensuite cela aboutit au fait qu’on trouve dans l’Eglise toute une palette d’attitudes des plus contradictoires sur la question, et c’est une véritable cacophonie.

 

L’essentiel n’est pas l’opposition permis/défendu, mais le cheminement proposé à ces personnes. Je propose qu’on supprime les sacrements pendant un temps donné de quelques années; c’est une façon de marquer le coup, qu’il y a eu transgression d’un commandement du Seigneur, et de faire réfléchir au fait que le mariage qui est vécu n’est pas celui qui a été célébré sacramentellement.

 

Mais alors il faudrait proposer un cheminement qui permette d’aller vers le sacrement de pénitence. Ce doit être un cheminement à la fois personnel et communautaire, qui aide à faire la lumière sur sa situation, et à voir pourquoi on en est arrivé là. Il ne s’agit pas de légitimer ce qui arrive, mais de proposer des étapes pour un pardon : reconnaissance de la transgression, des torts causés à l’époux et aux enfants, avec réparation si possible, réconciliation envers l’ancien conjoint, reconnaissance de la permanence mystérieuse du premier lien, affirmation du désir de vivre le lien présent à la lumière de l’Evangile…

 

Le cheminement de conversion à partir de la discipline de l’Eglise est très beau, mais tout le monde n’est pas en mesure de le comprendre et de le vivre. Je pense que si les gens savent que le pardon de l’Eglise est possible, il y a plus de chances que cette conversion se vive pour le plus grand nombre. L’idée est de proposer une voie moyenne qui soit compréhensible pour la plupart. Il faut une parole de l’Eglise, et je plaide pour qu’elle soit explicite. »

   Richard Martz, diacre de la paroisse de Illkirsh, au sud de Strasbourg, a créé un groupe pour les personnes qui vivent une rupture. Il a assisté au débat sur les divorcés remariés, et nous explique son point de vue.

En quoi consiste l’accompagnement que vous proposez?

 

« Au départ j’ai sollicité des personnes pour être des écoutants et constituer un groupe de parole pour accueillir les personnes qui subissent une rupture dans le couple, afin qu’elles puissent venir dire leur colère, leurs souffrances, leurs interrogations. Car bien souvent quand elles se présentent, on n’est pas prêt à les accueillir, on ne sait pas quoi leur dire ni leur proposer, donc cela s’arrête vite là.

Et puis nous avons voulu aller plus loin et leur proposer un cheminement, afin de les aider réellement à grandir dans la foi, à partir de la reconnaissance de leur rupture et de la discipline de l’Eglise. En leur disant que si le sacrement de réconciliation est le mode habituel du pardon, on peut être pardonné autrement, en priant ensemble par exemple.

En ce qui concerne l’eucharistie, après plusieurs séances de partage sur les textes, nous faisons en fin d’année une cérémonie de lavement des pieds. Puis nous allons à la messe tous ensemble, afin de remettre ce que nous avons vécu. Chacun fera ce qu’il veut en terme de communion, cela ne regarde que lui et sa conscience, en fonction du besoin qu’il ressent.

Mais cela sera fait de toute façon en Eglise, parce que cela aura été précédé de tout ce cheminement.  Quand on est rentré dans un chemin de pardon vécu, on n’ a plus forcément de souffrance à ne pas communier, notamment parce que tout cela se vit dans le lien avec l’Eglise et non dans la rupture. »

 

Pourquoi vous sentez-vous en porte-à-faux dans cette initiative?

 

« Notre curé est informé de tout cela. Mais comme aujourd’hui on ne peut pas formaliser une parole publique sur ce que nous vivons au sein de notre groupe, cela reste quelque chose de confidentiel. Il faudrait que cela devienne un objectif pastoral d’Eglise, et non que cela relève de l’initiative individuelle, afin que la communauté chrétienne puisse y être associée.

Si un paroissien voit quelqu’un du groupe « rupture » lire les intentions de prière, il sait qu’il y a des gens qui, par respect de la discipline, n’iront pas communier. Et alors les divorcés deviennent des prophètes pour tous ceux qui ont des difficultés dans l’accès au sacrement; des gens dont l’effort peut porter les autres, et les introduire eux-mêmes dans le questionnement sur ce qu’ils vivent. L’idée serait de banaliser la proposition d’une telle démarche, pour qu’elle fasse partie de notre intelligence collective. »

 

Pensez-vous qu’il faille faire évoluer les choses comme le pense Xavier Lacroix, ou que cet accompagnement suffit?

 

« Aujourd’hui nous avons tous les outils à notre disposition, mais on ne fait résonner qu’un seul type de parole, celui qui sonne comme une condamnation pour les personnes concernées; il faudrait une autre parole, tout aussi officielle, qui est celle d’inviter au cheminement personnel.

Nous ne disons pas aux gens que nous allons leur donner accès aux sacrements, mais nous les formons à rentrer dans une vie de foi plus profonde. Après, se dénoue ce qui doit se dénouer, et nous n’en sommes pas propriétaires. Cette démarche rend les gens libres. Il ne s’agit pas de dire que chacun peut faire ce qu’il veut, mais qu’avec un certain bagage, après avoir mûri son chemin, on devient apte à s’interroger personnellement sur ce que l’on doit faire. »

 

 

 

  1. f) Selon le P. Jean-François Chiron, professeur à l’Université catholique de Lyon (2014)

 

* Le remariage civil n’a pas d’effets sur le lien sacramentel qui a été noué auparavant : aux yeux du magistère catholique, il ne s’agit que d’une forme d’entrée en concubinage.

Un mariage civil conclu avant le mariage religieux n’est d’ailleurs pas davantage pris en considération par l’Église: des catholiques mariés seulement civilement peuvent sans problèmes se marier religieusement après leur divorce, même s’ils ont des enfants;

* La communion eucharistique redevient possible pour des divorcés remariés s’ils vivent dans la continence (cf. le n° 1650 du Catéchisme de l’Église catholique). Seuls sont donc visés par l’interdit ecclésial les couples ayant des relations sexuelles – sinon, même les divorcés remariés continents seraient privés d’accès à l’Eucharistie.

* Ce qui est problématique n’est donc pas la ratification purement civile d’une nouvelle union, puisqu’elle est sans effet sur le lien sacramentel; c’est la dimension sexuée du nouvel état.

L’opposition du magistère à la communion eucharistique des divorcés remariés relève de la morale sexuelle. Leur union comporte normalement des rapports sexuels « illégitimes ». Ils ne peuvent être sacramentellement pardonnés, et donc empêchent la communion eucharistique.

* Alors que des divorcés remariés vivant dans la continence mettent fin à la situation de péché qui est la leur, et c’est cela qui compte aux yeux de l’Église.

* Le magistère catholique considère que toute relation sexuelle hors mariage sacramentel est «intrinsèquement désordonnée », indépendamment de tout contexte et de toute circonstance.

Or la situation de couples divorcés remariés désirant vivre une relation stable et fidèle (ce qu’indique précisément leur remariage civil) est-elle comparable à celle de personnes trompant leur conjoint, ou se livrant à une forme de « vagabondage sexuel »?

* Tous les actes sexuels ici évoqués sont-ils à mettre sur le même registre, à considérer comme également immoraux et donc interdisant, au même titre, l’accès à l’Eucharistie ? On comprend aussi que des couples refusent de voir réduit au seul registre génital, quelle que soit son importance anthropologique, ce qu’ils s’efforcent de reconstruire avec la grâce de Dieu : de vraies valeurs y sont engagées, ce que nul dans l’Église ne saurait contester.

* Rappelons enfin le principe énoncé par le pape François: « L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Evangelii gaudium, n° 47).

* C’est la définition d’un acte humain, – et donc d’un acte sexuel -, qui est ici en cause : dans quelle mesure le contexte et les circonstances doivent-ils être pris en compte dans sa définition, et donc son évaluation éthique ? Il faut aussi se demander si une appréciation pastorale a sa place dans l’évaluation de la moralité d’un acte.

* C’est la dimension éthique, inséparable d’une approche pastorale, qui est au cœur de cette question.

 

  1. f) Pour le P. Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique de Paris, il serait bon que l’Église catholique s’inspire de l’Église orthodoxe sur la question des divorcés-remariés. Dans l’orthodoxie, explique-t-il, on ne se marie sacramentellement qu’une seule fois. Mais, pour des personnes se trouvant dans une deuxième union, il y a la possibilité d’une préparation de trois ans avec un prêtre et des laïcs, puis d’une bénédiction à l’Église à tonalité pénitentielle. Pour Philippe Bordeyne, il est souhaitable que l’Église catholique trouve « des procédures permettant aux personnes qui en feraient la demande d’accéder à une forme de réconciliation dans l’Église et de communier ».

 

Les Églises orthodoxes ont conservé, conformément au point de vue pastoral de la tradition de l’Église des débuts, le principe, qu’elles considèrent comme valide, de l’oikonomia. À partir du VIe siècle, cependant, se référant au droit impérial byzantin, elles ont été au-delà de la position de la tolérance pastorale, de la clémence et de l’indulgence, en reconnaissant également, à côté des clauses relatives à l’adultère, d’autres motifs de divorce, qui partent de la mort morale et pas seulement physique du lien matrimonial.

 

g ) Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon

Bas du formulaire

 

Pourquoi la communion est-elle interdite, tout comme d’ailleurs le sacrement de réconciliation (confession), aux catholiques remariés après un divorce ? Seraient-ils indignes ?


   Tout est dans la symbolique de l’Alliance : le baptême, le mariage et l’Eucharistie… C’est une alliance humaine qui se fonde sur l’Alliance entre Dieu et son peuple. A propos du mariage, Jésus dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».

L’Eglise considère donc, en raison de cette parole du Christ, qu’il doit y avoir une cohérence entre la communion, c’est-à-dire, le fait de recevoir Dieu en soi, et le communiant qui doit avoir le désir de vivre selon l’appel de Dieu. Où en suis-je de mon désir de conversion?

Les pécheurs que nous sommes tous ont besoin de la communion, et ils peuvent la recevoir, à condition de désirer clairement vivre selon les Paroles de Jésus.
Le divorce est-il considéré comme un péché ?


     Non… Il se peut que je porte une responsabilité dans un divorce, ou au contraire, pas du tout. En revanche, celui ou celle qui se remarie considère que la première alliance qu’il a nouée devant Dieu n’existe plus. Et psychologiquement, c’est souvent vrai.

Mais aux yeux du Seigneur et donc de l’Eglise, le premier mariage demeure. C’est précisément cette question que le pape a souhaité aborder.
Tout le monde peut se tromper. Un remariage peut rendre une famille plus heureuse.

L’amour n’est-il pas au cœur du message évangélique ?


   Quelques pères synodaux ont proposé de faciliter la reconnaissance de la nullité de certains mariages, car la procédure est assez complexe et longue, ce qui est tout à l’honneur du respect du droit de chacun.

Mais tous se sont montrés clairs sur l’indissolubilité du mariage, ce qui nous vient directement de Jésus, dans l’Evangile. Tout le monde connaît des personnes remariées qui vivent un beau chemin d’amour et cherchent à vivre dans la fidélité au Christ. Il faut donc les y aider, et c’est l’un des objectifs du Synode ; il en est maintenant à mi-parcours.
Et ceux qui communient en douce ?
On ne demande pas à quelqu’un ses papiers quand il vient communier. Ce que Dieu et l’Eglise leur demandent, ils le savent… nous savons l’amour et la foi qu’il nous faut pour accomplir fidèlement la volonté de Dieu. Chacun est placé devant ses responsabilités.
Il y a des sanctions ? Peuvent-elles aller jusqu’à l’excommunication ?
Non. C’est un combat spirituel que chacun doit mener : vivre selon la volonté de Dieu et continuer à éclairer sa conscience. Nous le demandons au cœur du Notre Père : « Que ta volonté soit faite… » Comme disait saint Paul, hélas, « je vois le bien, mais je fais le contraire… »

Pour nous les prêtres, nous voulons toujours donner aux gens le meilleur, mais ce qui est difficile, c’est d’unir la compassion, la charité avec la vérité. Il n’y a pas de véritable amour sans vérité.

  1. h) Pour le Père Cédric Burgun, enseignant-chercheur en droit canonique,

 

Il y aurait derrière les « revendications » d’assouplissement à l’égard des divorcés remariés une double habitude chez les fidèles qu’il faudrait questionner. D’abord, écrit-il, « si nous étions plus conscients de ce don immense que Dieu nous fait, si nous ne communions non pas par droit, mais par amour et par respect du Seigneur, communierons-nous si souvent ? Je ne veux pas revenir à près de 100 ans en arrière où les gens ne communiaient pratiquement plus du fait de conditions trop strictes. Mais avouons que nous sommes tombés dans l’excès inverse : nous communions trop souvent pour le peu d’examens de conscience que nous posons. »

Et par ailleurs, insiste-t-il également, « nous sortons d’une période où le mariage à l’église était une habitude. Aujourd’hui encore, nous voyons se présenter des jeunes qui demandent la bénédiction d’un engagement qu’ils ne mesurent plus. Dire que les jeunes se marient aujourd’hui en étant immatures ne suffit pas à déclarer un mariage invalide.

Or, la question du mariage avait été soulevée par les disciples qui se demandent déjà eux-mêmes, face à ”l’intransigeance” de Jésus sur le divorce, s’il y a bien ”intérêt à se marier” dans ces conditions (cf. Mt 19, 10) ? Et Jésus répond cette parole quelque peu énigmatique qui, me semble-t-il, n’a pas suffisamment attiré notre attention : ”Ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l’a révélée” (Mt 19, 11). »

 

  1. i) Jean Mercier, rédacteur adjoint de La Vie

La seule marge de manœuvre disponible serait d’accroître la possibilité de faire déclarer la nullité du lien matrimonial. Mais actuellement, les procès en déclaration de nullité s’intéressent à la question de savoir s’il existe un vice de forme du lien au moment du mariage, qu’il s’agisse du dol (tromperie de l’un des partenaires), ou immaturité, ou manque de liberté. Il s’agit de savoir si les promesses du mariage reposaient sur du solide ou si elles étaient viciées.

Or on sait que de nombreux problèmes de couple interviennent après le mariage, sans qu’il soit possible de trouver un vice de forme. Il faudrait alors que les juristes de l’Eglise élargissent le périmètre de la déclaration en nullité, quitte peut-être à redéfinir ce terme. 

 

Le pape met l’Eglise sous tension en ouvrant ce chantier qui va déboucher sur des débats qu’il faudra assumer, et qui vont entraîner des tensions fortes entre les tenants d’un maintien des normes actuelles, et ceux qui veulent les faire évoluer .

 

  1. j) Christian Mignonat, défenseur du lien conjugal à Lyon, couples divorcés remariés

 

◙ Distinguer l’état conjugal du mariage sacramentel

Si l’on croit que le mariage est un sacrement qui fait l’objet d’une consécration et qu’il s’agit bien d’un ministère, il est très surprenant que l’on ne consacre pas un temps suffisant à la formation de ceux qui sont appelés à cette vocation. En effet quand on voit que la préparation de ceux qui vont recevoir le sacrement de l’ordre dure 6 ans, et que la préparation de ceux qui prononcent des vœux religieux (qui ne sont pas un sacrement) comprend plusieurs années de postulat et de noviciat, on peut s’interroger, d’autant plus que ces deux dernières démarches peuvent être suspendues si l’on juge que la personne n’est pas prête ou apte à la vocation religieuse ou sacerdotale.

 

Concernant les baptisés non pratiquants ou non croyants, on oppose souvent l’incapacité à mesurer la foi des personnes et donc à leur refuser la grâce du sacrement de mariage. On oppose aussi l’argument du « droit au mariage ». Or cette objection vient, à notre avis, de la confusion que l’on fait entre l’état conjugal et le mariage. De la même manière que l’Eglise fait la distinction entre le sacrement de l’ordre et l’état clérical qui lui permet de maintenir la réalité du sacrement tout en développant des suspensions ou suppression de l’état clérical, il serait indiqué de distinguer « l’état conjugal » et le sacrement de mariage, ce qui permettrait de préserver l’indissolubilité du mariage sacramentel, tout en gérant l’état conjugal par des dispenses appropriées. Le Code de Droit canonique fait déjà cette distinction puisque c’est l’état conjugal qui génère pour les baptisés deux obligations principales : le mariage sacrement pour l’édification du Peuple de Dieu et l’éducation chrétienne des enfants.

 

◙ Séparés et divorcés remariés : le sens brouillé par les contradictions

Un couple marié sur deux divorce, sans compter les séparations au sein des unions libres évoquées plus haut. Un grand nombre de personnes concernées ont quitté l’Eglise ou s’en sont senties exclues.

 

– Soit parce qu’elles ont été écartées au seul motif de leur divorce (éventuellement sans remariage). Ce qui montre que les traces du code de droit canonique de 1917 (qui considérait les divorcés remariés comme « publiquement indignes », et les frappait d’excommunication, ndlr) ne sont pas effacées. Ce qui montre aussi un défaut de réception de Vatican II et une insuffisance de la catéchèse de miséricorde, ainsi que les effets collatéraux de la discipline sacramentaire vis-à-vis des divorcés.
– Soit implicitement du fait d’une réticence sociale de certains membres de la communauté, des traces du code de 1917 qui restent imprégnées dans les esprits des intéressés eux-mêmes, et par la mise en ghetto de fait qu’opère la discipline qui n’est pas recevable pour un grand nombre.

 

Pour les personnes divorcées remariées, qui n’ont pas quitté l’Eglise, il est évident que le non accès aux sacrements est une souffrance d’autant plus que c’est source d’incompréhension :
+ Comment la religion de la miséricorde et de la résurrection peut-elle tolérer de refuser l’accès au sacrement de pénitence et de la miséricorde de Dieu, d’autant plus que les situations sont diverses et que dans nombre de cas, les personnes se sentent plutôt victimes dans leur divorce, sans parler de celles qui n’ont fait qu’épouser un divorcé ?
+ Comment une démarche d’amour sincère peut être condamnée de façon irrémédiable dans une religion de l’Amour ?

 

Au nom de quoi les personnes divorcées remariées sont-elles frappées d’interdiction des sacrements puisqu’elles ne sont pas exclues de la communauté ? Une première explication « canonique » est l’interprétation qui déclare que la formule « …ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste… » s’applique d’autorité aux personnes divorcées remariées.

Ceci revient par ailleurs à statuer non sur la situation de conscience personnelle des personnes, mais à les classer selon un critère d’appartenance à un « état peccamineux », « un état de vie en contradiction objective avec la communion, telle qu’elle s’exprime dans la communion eucharistique ». Ceci revient bien à inventer une nouvelle catégorie de fidèles qui, bien que baptisés n’ont pas accès aux sacrements du simple fait d’un état de vie qui ne devrait subir aucune contrainte. À ce titre la discipline qui impose de « vivre en frère et sœur » pour avoir accès aux sacrements est contradictoire car l’état de vie objectif n’est pas modifié.

 

On peut s’interroger sur la superposition des justifications qui conduisent à la surévaluation du lien fait entre l’Eucharistie, sacrement de la Nouvelle Alliance et du Salut, centre et sommet de la vie chrétienne, et le sacrement de mariage, sacrement de l’Amour incarné qui est signe tangible des différentes facettes de l’Amour de Dieu (trinitaire, éternel, fidèle, créateur, miséricordieux…) mais ne saurait être LE sacrement de l’Alliance à l’égal de l’Eucharistie.
Cette surévaluation revient à donner à la rupture conjugale des personnes divorcées remariées la capacité d’altérer la Nouvelle Alliance et le salut que nous apporte le Christ, ce qui est bien évidemment exagéré et immérité. Faire porter la responsabilité aux personnes divorcées remariées de l’altération d’une symbiose entre sacrement de mariage et sacrement de l’Eucharistie est totalement contradictoire avec la pratique de l’Eglise aujourd’hui, qui tend à dissuader une partie des nouveaux mariés de célébrer leur mariage au cours d’une Eucharistie.

La proposition est donc de replacer le sacrement de Mariage à une juste place, sans le surévaluer en l’assimilant au sacrement de la Nouvelle Alliance, sans le dévaluer en le ramenant à la seule relation sexuelle, et à revoir les interprétations imprégnées de nostalgie du code de 1917 en contradiction avec l’esprit de          Vatican II.

 

◙ La reconnaissance de nullité du lien matrimonial : à manier avec précaution

Présenter la reconnaissance de nullité comme une solution aux problèmes des personnes divorcées remariées traduit une méconnaissance de la réalité des « problèmes » de la majorité de ces personnes et constitue un détournement de l’objet même de la reconnaissance de nullité ou plus précisément de l’invalidité du consentement matrimonial initial.

 

Rappelons d’abord que la reconnaissance de nullité ne règle pas les problèmes liés au divorce lui-même (garde/éducation des enfants, relation avec l’ex-conjoint, la belle famille, soucis économiques, etc…). Précisons aussi que cette procédure est purement juridique à ce jour et ne prend absolument pas en compte dans la décision les conséquences d’une telle reconnaissance sur les enfants, la relation de justice et de charité due à l’ex-conjoint, etc.

 

 

Le but de la reconnaissance de nullité est de faire la vérité sur la réalité du consentement initial et de reconnaître, le cas échéant, que toutes les conditions n’étaient pas remplies pour s’engager dans et construire un lien matrimonial chrétien sacramentel. En faire un moyen de gommer les difficultés générées par la discipline sacramentaire ou les comportements discriminatoires de certains membres de l’Eglise reviendrait donc à en détourner l’objet.
De plus, les personnes divorcées remariées responsables et « honnêtes » ne se voient pas imposer à leurs enfants une « nullité » qui pourrait les impacter psychologiquement (perte de légitimité comme étant fruits d’une erreur) d’une part. Elles considèrent d’autre part que le vécu avec l’ex-conjoint n’a pas été vide de sens, et qu’il a contribué à leur construction, même si la relation s’est avérée impossible à l’usage. Elles ne comprennent pas comment et pourquoi on découvrirait soudainement que le Christ n’était pas présent à leur côté sur ce chemin matrimonial parcouru, surtout quand des efforts de vie chrétienne ont été vécus (éducation des enfants, pratique religieuse…).

 

Enfin, « libéraliser » la reconnaissance de nullité va à l’encontre du respect de la dignité du sacrement de mariage et de la valorisation de l’indissolubilité, puisque moyennant une procédure invoquant une immaturité des jeunes époux que l’on arrivera presque toujours à mettre en évidence, tout mariage pourra être reconnu nul.

Au demeurant les personnes divorcées remariées qui restent attachées à l’Eglise, ne contestent pas l’indissolubilité et la fidélité du mariage, même si elles n’ont pas réussi à vivre cet idéal qu’elles souhaitent revivre à leur mesure dans leur nouvelle union.

 

La solution serait plutôt :
* Dans la cessation de toute discrimination dans la participation aux services d’Eglise, y compris dans ceux qui touchent au sacrement de mariage tels que la préparation au mariage où ils pourraient apporter un témoignage irremplaçable, en particulier sur la nécessité de dialogue dans le couple, la confiance redonnée…

* Dans un chemin de « ré accès » officiel aux sacrements après une période dite pénitentielle permettant un accompagnement et un discernement assorti d’une autorisation à l’état conjugal avec le nouveau conjoint (même si l’on souhaite que le lien sacramentel initial perdure, comme on le considère pour les prêtres relevés de l’état clérical dont le sacrement de l’ordre perdure).

N’oublions pas que l’Eglise envisage déjà la séparation de corps (avec maintien du lien), ce qui avalise dans une certaine mesure la rupture de l’engagement matrimonial existant, puisque les époux sont dispensés de l’obligation de communauté de vie et d’amour. Le maintien du lien apparaît juridiquement illogique puisqu’une fin essentielle du mariage selon Vatican II (le code canonique parle de « l’alliance matrimoniale par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie ») a disparu.

 

 

Une telle approche permettrait de garder le caractère indissoluble du mariage chrétien sacramentel tout en gérant par le biais d’une dispense la cessation de l’état conjugal (les obligations parentales étant maintenues) et en autorisant l’état conjugal avec une autre personne dans le cadre d’une démarche miséricordieuse de ré accès aux sacrements.

 

Ceci constituerait un véritable accompagnement de cheminement de foi, non seulement pour les intéressés, mais aussi pour la communauté qui pourrait mieux mesurer les biens du mariage et les difficultés du divorce, tout en étant éduquée à une pratique de la miséricorde au lieu d’une approche légaliste et justicière bâtie sur l’autosatisfaction ou la peur.

 

Une soi-disant annonce de la miséricorde, qui ne rejoint pas les personnes en souffrance aux racines mêmes de leur souffrance, pour se contenter de paroles ou de préceptes théoriques, est vide de sens pour les intéressés. L’Evangile ne cesse de le rappeler : « Que veux tu que je fasse pour toi ? »

 

  1. k) Le pape François

 

Le pape François a abordé largement la question de l’accueil des divorcés remariés.

 

Cette problématique, très souvent évoquée dans l’Eglise, pose de nombreuses difficultés dans les diocèses et les paroisses avec l’augmentation ces dernières décennies du nombre de divorces, y compris chez les croyants. En effet, le mariage étant chez les catholiques un sacrement indissoluble, ceux qui se séparent et se remarient se trouvent dans une situation où ils ne peuvent plus recevoir les sacrements – notamment la communion – à moins que leur premier mariage ne soit reconnu comme « nul » canoniquement par un tribunal ecclésiastique (reconnaissance qui ne peut aboutir qu’après des démarches généralement longues de plusieurs années).

 

Des voix s’élèvent régulièrement pour demander un assouplissement des règles à leur égard, soulignant la souffrance de ces fidèles qui le ressentent parfois comme une mise au ban de la communauté chrétienne.

 

Ce « sérieux problème », le pape semble tout disposé à s’en saisir.

Soulignant que son prédécesseur, Benoît XVI, avait déjà cette question « à cœur », François a rappelé le fait qu’il ne pouvait pas être « réduit seulement au fait de recevoir ou non la communion. Car celui qui pose le problème en ces termes n’a pas compris quel est le vrai problème ». Ces précautions prises, le pape a néanmoins reconnu que « l’Eglise doit faire quelque chose pour résoudre les problèmes des nullités de mariage, appelant par exemple à « trouver une autre voie, dans la justice » pour ces reconnaissances, aux démarches administratives très lourdes et pas toujours accessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de les entreprendre dans les villes où se trouvent les tribunaux compétents en la matière.

 

 

  1. l) Témoignage

 

Les divorcés remariés, s’il est bien vrai qu’ils soient conscients de leur situation, peuvent faire la communion de désir.

 

Dans le fait de recevoir un sacrement il y a une partie objective et une partie subjective. On sait que ce qui est le plus important, c’est la grande grâce qui est associée au sacrement. Cependant je peux perdre cette grâce et même commettre un sacrilège si je m’approche de la communion avec légèreté ou d’une manière indigne.

Au point de vue subjectif, je pense que, pour eux, il est beaucoup plus existentiel qu’ils se limitent au désir de la communion plutôt que de recevoir la communion elle-même.

Le fait d’accepter de bon gré cette abstinence fera beaucoup de bien à leur âme et à la sainteté de cette communauté chrétienne qu’est l’Église.

 

  1. m) Service pastoral du diocèse de Friboug-en-Brisgau

 

Le service pastoral du diocèse de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne a publié un document permettant l’accès aux sacrements « à la suite d’une décision de conscience prise de manière responsable », sous certaines conditions.

Ces conditions incluent notamment le fait « qu’un retour au premier partenaire n’est vraiment pas possible et que le premier mariage, avec la meilleure volonté, n’est pas vivable », mais également que la nouvelle relation conjugale dans laquelle la personne est engagés soit elle-même solide.

(Rappelons que, contrairement à une idée répandue, les divorcés qui restent célibataires peuvent toujours communier ou se confesser.)

L’annonce de cette initiative diocésaine, qui correspond certainement à ce qu’un certain nombre de paroisses pratiquent déjà sans le dire, a donné lieu à un appel à la prudence de la part du Vatican, qui a alors rappelé par la voix de son porte-parole, le père Federico Lombardi, que « proposer des solutions particulières de la part de personnes ou de services locaux peut risquer de générer de la confusion. (…) Il est bon de mettre en évidence l’importance de mener un chemin dans la pleine communion de la communauté ecclésiale. »

 

  1. n) Gérard Leclerc, éditorialiste France catholique et Radio Notre-Dame

 

En ce qui concerne les divorcés remariés, il faut bien comprendre que ces réflexions ne sont pas surprenantes, dans la mesure où elles sont le fruit de plusieurs mois de débats intenses. Le texte produit par le synode propose à certaines personnes de faire un chemin de pénitence pour avoir à nouveau accès au sacrement de pénitence, ainsi qu’à l’eucharistie. Toutefois, les conditions de cette pénitence ne sont pas encore clairement définies, et le seront ultérieurement.

Il ne s’agit, à mon sens, pas d’une révolution : en effet, ce genre d’exceptions, accordant aux divorcés le droit à l’eucharistie, existe en réalité dans les faits depuis longtemps. Certains évêques et confesseurs acceptent déjà les divorcés, par charité au vu de la difficulté de leur situation personnelle. Ainsi, ce texte, en tout état de cause, ne ferait que codifier ce qui relevait jusqu’alors de la dispense personnelle. L’Eglise préciserait, pour la première fois, officiellement, les conditions dans lesquelles une telle dispense pourrait être admise.

 

Il ne faut donc pas donner de faux espoirs aux divorcés remariés : une telle dispense relèverait de l’exception, du cas particulier, et ne concernerait en cela qu’une minorité de personnes.

 

  1. o) P. Guy Gilbert

 

L’Eucharistie, c’est la force pour les faibles. Alors, à mon avis, les divorcés remariés devraient communier. Nous, prêtres de l’Église, n’avons pas le droit de remarier les divorcés parce que le sacrement du mariage est unique…

Je suis de plus en plus sollicité pour bénir les divorcés remariés. Je le fais discrètement, bien sûr…

Les positions de l’Église sont variées. Des évêques engagent les prêtres à faire selon leur conscience. Certains refusent la communion, d’autres l’acceptent. Dans des cas prévis, je dis : « Demande pardon d’abord, et puis si, en conscience, tu veux communier, alors fais-le ».

J’ai étudié cette phrase de saint Thomas d’Aquin : « Si l’Église te dit quelque chose et ta conscience te dit l’inverse, suis ta conscience tout en veillant à l’éclairer par l’enseignement de l’Église. C’est à toi que revient en conscience la décision. »

Il faudrait que nous ayons une politique théologique et disciplinaire commune dans l’Église.

 

On dit que les divorcés remariés peuvent vivre comme frère et sœur. Je ne connais pas très bien la chose, mais dans un plumard pendant vingt ans comme frère et sœur, c’est un peu difficile, me semble-t-il. Par ailleurs, on sait que les relations sexuelles permettent à un couple de se construire.

Le Christ dit : « Prenez, ceci est mon corps. Prenez, ceci est mon sang. » C’est qu’il voulait que nous ayons un contact matériel et corporel avec sa présence. Ce contact physique dit quelque chose de notre union à lui. Faire fi du corps de façon durable peut être dangereux pour la foi.

Les exclus de la communion prétendent que l’Église fait fi de la miséricorde…

 

Il y a quelque chose d’intéressant chez nos frères orthodoxes. Leur Église propose la bénédiction des divorcés remariés jusqu’à trois fois… Comme l’Église catholique, elle garde l’indissolubilité : il n’y a qu’un mariage.

Mais l’Église orthodoxe tient compte de la fragilité des gens. Elle autorise une seconde union, non sacramentelle, mais faite sous le regard de Dieu et de la famille. L’Église orthodoxe bénit le pécheur qui demande pardon, sans autoriser un nouveau sacrement. Les orthodoxes savent qu’ils ont droit à un repêchage.

 

La miséricorde me semble ici plus essentielle que la défense de l’indissolubilité quand elle reste fragile.

 

  1. p) Des catholiques de Bron

 

Baptisés pour témoigner de la bonne nouvelle de l’Evangile, nous sommes tous, en tant que membres de notre Eglise, des pécheurs pardonnés. Mais nous souffrons parce que l’Eglise exclut de la miséricorde qu’elle est chargée de transmettre une catégorie de croyants.

 

Quelques constats :

 On peut aussi remarquer la contradiction entre les limites de l’accompagnement initial vers le mariage et les exigences radicales sous-tendues par la contraction de ce mariage. Il y a souvent un écart entre l’attente des couples et ce que l’Eglise leur propose : les mariés sont rarement conscients de ce qu’ils engagent et ensuite l’Eglise leur oppose la profondeur de ce qui est engagé.

 Il ne s’agit pas de remettre en cause l’indissolubilité du mariage sacramentel mais de reconnaître qu’elle n’empêche pas la réalité des échecs de la relation humaine. Echecs qui font partie de la vie. La position théologique qui identifie le lien entre les époux à celui du Christ et de son Eglise pose question et crée même une impasse. Si la fidélité de Dieu est de toujours à toujours, celle de l’homme est limitée par sa condition pécheresse.

 

Quelques pistes :

 

 S’il y a échec (séparation durable, divorce), il pourrait être proposé aux personnes concernées un chemin de discernement sur une durée significative, adaptée à chaque situation, avec un groupe d’accompagnement (prêtre et laïcs formés).

 Cette démarche serait donc ecclésiale, en écho à la démarche du mariage elle-même ecclésiale. Elle permettrait la reconnaissance par chacun de sa responsabilité dans l’échec, de son péché. Cela ouvrirait précisément à une démarche de pardon, au sacrement de réconciliation.

 Cela ouvrirait à la réception de l’Eucharistie, « qui n’est pas un prix destiné aux parfaits mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » comme le dit le Pape François au n°47 de son exhortation Evangelii Gaudium. Et nous sommes tous faibles !

 Dès lors, une éventuelle nouvelle union serait reçue par les personnes et par l’Eglise comme une heureuse bonne nouvelle de vie. Y aurait-il remariage ? Sans doute, mais pas sacramentel.

 Enfin, plus globalement, il faudrait remettre en question la pastorale du mariage, en vue d’un meilleur soutien aux époux : celui de leur préparation, celui de leur accompagnement dans la durée, dans les joies et les difficultés.

 

En conclusion :

 

Nous attendons de notre Eglise non un surcroit d’explication mais une conversion théologique et pastorale qui ouvre radicalement à la miséricorde (et aide l’autre à progresser, sans qu’elle soit contraire à la doctrine catholique).

 

  1. q) Cardinal Francesco Coccopalmerio, président du Conseil pontifical pour les textes législatifs.

 

Le cardinal souhaite «simplifier les procédures de reconnaissance de nullité d’un mariage».

Comme il l’a expliqué, l’Église «n’a pas le pouvoir» de «délier» un mariage. Elle peut constater seulement que le mariage n’a pas vraiment eu lieu, même s’il a été célébré.

Cela s’appelle la «reconnaissance de nullité». L’une de ces trois raisons est souvent invoquée :

* l’un des contractants envisageait un divorce en se mariant ;

* il refusait la perspective d’avoir des enfants ;

* il était immature en s’engageant.

Pour alléger cette longue procédure juridique qui passe par un procès, l’Église catholique travaillerait à trois nouveautés :

+ supprimer tout d’abord la «double sentence conforme» actuellement nécessaire. Elle doit être prononcée par un second groupe de trois juges ecclésiastiques. Un jugement en une seule instance suffirait.

+ supprimer ensuite l’instance collégiale de trois juges pour n’avoir «plus qu’un seul juge».

+ ouvrir enfin une voie parallèle, dite «administrative» pour les «cas évidents» : le demandeur – par déclaration personnelle formelle – affirmerait qu’il a contracté un mariage catholique sans aucune intention de le respecter. Il obtiendrait l’annulation du mariage par simple décision de l’évêque diocésain.

 

  1. r) Position de l’Église

 

  1. Les divorcés remariés baptisés se trouvent dans une situation objectivement contraire à l’indissolubilité du mariage.

C’est le point clé de tout l’édifice doctrinal de l’Église catholique. Puisque le sacrement du mariage noue entre les fiancés un lien à l’image de celui qui unit le Christ à son Église, difficile de concevoir que ce lien puisse être rompu ! Cet argument repose notamment sur cette phrase de saint Paul : Comme dit l’Écriture : « A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Église » (Lettre aux Éphésiens, chapitre 5, versets 31 et 32).

Jésus cite ce même passage de l’Écriture – il s’agit du récit de la création de l’homme et de la femme dans le livre de la Genèse (Gn 2, 24). A des Pharisiens qui lui demandent si un homme peut renvoyer sa femme pour n’importe quel motif, il leur répond : « N’avez-vous pas lu l’Écriture ? Au commencement, le Créateur les fit homme et femme, et il leur dit : « Voilà pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. » A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 1-6).

Avec cette dernière phrase, tout semble être dit. Et pourtant…

 

  1. Les divorcés remariés sont membres du Peuple de Dieu : ils ne sont pas excommuniés.

Ce deuxième point est capital tant il est encore répandu dans l’opinion que les divorcés sont ipso facto excommuniés, c’est-à-dire jetés hors de l’Église ! Il est vrai que jadis l’Église n’était pas tendre avec les divorcés : pas de sépulture, pas de baptême pour les enfants issus d’un remariage, etc.

Autrement dit, l’Église insiste beaucoup, pour que rien ne puisse être dit ou être fait pour donner à penser aux chrétiens divorcés qu’ils ne font plus partie du Peuple de Dieu. Il suffit de se rappeler cette phrase de Jean-Paul II à Sainte-Anne d’Auray en 1996 : « L’Église a aussi le souci de ceux qui sont séparés, divorcés et divorcés remariés. Ils restent membres de la communauté chrétienne ».

 

  1. En raison de leur situation objective, les divorcés remariés ne peuvent être admis à la communion.

L’affaire se complique immédiatement avec la participation des divorcés remariés à l’eucharistie. Ils peuvent bien évidemment célébrer le Seigneur avec tous les fidèles… mais sans communier. Pourquoi une telle interdiction ? Elle est inévitable compte tenu du premier point mentionné ci-dessus. Plusieurs évêques, notamment en France et en Allemagne, essaieront de contourner cet obstacle.

 

 

  1. s) P. Thierry Lamboley, sj.

 

Exigence de vérité et miséricorde du Christ qui pardonne

 

Tenir ensemble l’exigence de vérité et la manifestation de la miséricorde du Christ, voilà la tension inconfortable dans laquelle nous sommes actuellement.

 

– D’un côté, l’Eglise est réellement attachée à la vérité des situations humaines (tout divorce, quel qu’il soit, est toujours un échec) et de la signification du sacrement du mariage (un lien que rien ne peut détruire si ce n’est la mort). Cette exigence interdit toute banalisation du divorce, comme drame humain, et du mariage chrétien, comme sacrement.

– De l’autre côté, une autre exigence : celle de la miséricorde de Jésus. Les Evangiles ne cessent de nous montrer un Fils de Dieu qui ne juge pas mais qui pardonne. A tous les chrétiens de lui emboîter le pas en refusant de condamner les personnes divorcées remariées. Il se pourrait bien qu’elles soient « les premières dans le Royaume des Cieux » !

 

Ouvrir le débat

 

Alors, comment avancer ? Certainement pas en durcissant les positions de part et d’autre. Sans doute en prenant le temps de s’écouter. En apprenant aussi à mieux gérer cette tension entre vérité et miséricorde. L’enjeu est important : remettre de la parole, des nuances et de la diversité là où trop ont tendance à déclarer comme définitif ou irréformable ce qui ne peut que changer… si chacun accepte de se convertir un peu plus au Christ.

 

 

 

  1. t) Le Père Jean-Pierre Longeat, ancien Abbé de saint Martin de Ligugé

 

Si nous recevons le sacrement du baptême, de la confirmation, du mariage, de l’onction des malades et bien sûr de l’Ordre, c’est toujours pour manifester la dynamique eucharistique du Christ et de l’Eglise. Et si nous vivons le sacrement de réconciliation, c’est pour rétablir la circulation de ce signe sacramentel que nous avons pu rendre moins pertinent par nos actes ou nos paroles.

 

Or, les personnes qui vivent la réalité d’une nouvelle situation de couple après l’impossibilité de poursuivre leur union dans le sacrement du mariage sont bel et bien membres de l’Eglise mais manifestent autrement leur appartenance au mouvement eucharistique de la communauté chrétienne.

 

Impossibilité de participer aux sacrements

 

Dans la pratique actuelle de l’Eglise, ils ne peuvent participer aux sacrements extérieurement parlant mais ils les vivent au plus profond d’une présence intérieure où Dieu les rejoint incontestablement et c’est là qu’ils témoignent de leur chemin de foi et y progressent.

 

La discipline de l’Eglise est certes interrogée sur cette pratique, cependant actuellement, le Magistère reste sur une telle position. C’est une situation qui ne va pas de soi, mais elle nous fait percevoir au moins que la vie de l’Eglise ne se déploie pas uniquement dans les formes extérieures des sept sacrements.

 

Le Christ invite toute personne à faire un chemin de renoncement à soi-même jusqu’à partager la vie de Dieu dans l’amour au cœur d’une communauté de frères et de sœurs : c’est là la véritable dynamique eucharistique : tout recevoir du Père et tout rendre au Père en le partageant avec tous comme le Christ, sur le chemin de la vie.

 

C’est le grand enjeu du témoignage de l’Eglise, les sacrements y participent pour leur part mais d’autres éléments interviennent également pour en être les acteurs. Par ailleurs, si l’on ne peut pas vivre le sacrement de réconciliation, il est toujours possible de vivre un accompagnement spirituel et de prier avec celui ou celle à qui l’on a parlé pour demander à Dieu qu’il nous donne sa paix.

 

  1. u) Mgr Thomas, ancien évêque de Versailles

 

Une personne victime du divorce (abandonnée par son conjoint), qui a refait sa vie en se remariant, est à présent heureuse en couple. Elle avoue communier régulièrement. Mais elle est très culpabilisée de transgresser les interdits de l’Église. Quoi lui dire ?

 

Je suis pasteur, voilà ce que je peux lui dire :

 

C’est à Dieu qu’appartient le jugement final sur nos choix. Dès à présent, essayez de croire qu’il porte sur vous le seul regard à la fois objectif, complet, juste et plein de compassion. Lui seul vous connaît à fond, évalue votre part de responsabilité dans l’histoire de votre premier couple. Prenez le temps de lire lentement, pour le méditer, ce que saint Jean écrivait aux chrétiens (voir 1 Jean 2,1-2 et 3,18-23). Cette lecture méditée activera le niveau profond de votre âme. Demandez à l’Esprit Saint de vous rendre totalement disponible à ce qu’Il veut vous faire comprendre.

 

Méditez ensuite sur le comportement et les paroles de Jésus à la Samaritaine (elle vivait avec un cinquième mari), aux pharisiens sollicitant la condamnation de la femme adultère, à ceux qui demandaient dans quelle mesure l’homme pouvait répudier sa femme, à Simon qui s’étonnait de voir Jésus accepter l’attitude de la femme pécheresse (voir Jean 4, 16-30 ;8, 1-11 ; Matthieu 19, 1-12 ; Luc 7, 36-50.). Donnez tout son poids au principe par lequel Jésus justifie cette proximité avec les pécheurs : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Nous accordons du crédit aux paroles de l’Église. Avons-nous donné à la Parole du Fils de Dieu tout le poids qu’elle mérite ? Pour un chrétien, l’Autorité de Dieu doit toujours l’emporter sur les autorités humaines, y compris religieuses.

 

En mon âme et conscience

 

Lisons maintenant quelques affirmations officielles de notre Église. « L’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience. S’il agissait délibérément contre ce dernier, il se condamnerait lui-même » (Catéchisme de l’Église catholique n° 1790). « Dans la formation de la conscience, la Parole de Dieu est la lumière sur notre route » (CEC n° 1785). « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même… inscrite par Dieu au coeur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu ». Ces phrases furent votées par plus de deux mille évêques lors du concile Vatican II (« Gaudium et spes », n° 16). Leur autorité ne peut être contestée.

 

Malheureusement, nous préférons parfois une réponse simple, formulée par un homme d’Église, à une réflexion plus exigeante menée en notre âme et conscience. Serait-ce par peur de nous tromper ? Ou de céder à une certaine complaisance ? Les êtres humains sont ainsi faits : ils pensent généralement qu’une réponse dure, exigeante, est plus conforme à la pensée de Dieu. Si nous appliquions cette règle aux réponses de Jésus, nous devrions dire que sa miséricorde déformait la pensée de son Père. Or Jésus était la Vérité même. Il se montrait sévère avec ceux qui exigeaient des autres une rigueur qu’ils ne s’appliquaient pas à eux-mêmes (Matthieu 23). Il voulait faire reconnaître que Dieu se comporte en Père, que sa priorité n’est pas de juger mais d’aider et de sauver avec tendresse. Et Jésus a vécu comme son Père le désirait. Fidèlement.

 

Mon premier mariage était-il valide ?

 

L’Église romaine s’efforce d’aider les époux à porter un jugement éclairé sur la validité de leur mariage. S’ils se séparent ou divorcent (selon la loi civile), elle les invite à faire « juger » la validité de leur engagement par six juges (trois en première instance du tribunal ecclésiastique, et trois en seconde instance). Si les deux instances estiment que l’engagement formulé « à l’église » fut invalide, l’Église accepte de bénir le nouveau mariage que chaque époux peut contracter. Elle n’annule pas le premier lien, elle estime qu’il ne fut pas valide.

 

Or, ce recours aux tribunaux ecclésiastiques nécessite enquêtes, témoignages, retour sur un passé qui ravive des plaies au cœur des époux et pose de rudes questions aux enfants nés de ce mariage. Il prend plusieurs années et occasionne des frais. Aussi  beaucoup hésitent-ils à choisir cette voie. Il ne manque pas d’époux pour penser, en  leur âme et conscience, que leur mariage fut invalide, même sans l’avoir soumis au jugement d’un tribunal ecclésiastique. Ils se privent de son aide, ce qui est dommage. Ils restent seuls dans l’analyse de leur passé, oscillant parfois en conscience, ce qui n’est pas confortable et les fait souffrir. Beaucoup d’époux ayant divorcé se trouvent dans cette situation. Des groupes de réflexion sont alors indispensables pour permettre leur libre expression sur leur premier lien conjugal. Agréés par l’autorité ecclésiale locale, ils deviennent un lieu de vérité, de soutien et de reconstruction après la blessure d’un divorce.

 

L’Église orthodoxe propose un temps de conversion

 

Autre limite, et de taille. L’Église romaine examine la validité des mariages seulement au moment où ils furent contractés. Elle s’interdit de faire un discernement sur un mariage estimé valide à l’origine, mais devenu par la suite un enfer pour l’un ou l’autre des époux, au point de rendre indispensable une séparation définitive. Multiples peuvent être les raisons : accident, maladie imprévisible, évolution psychique régressive de l’un des époux, violence, alcool, drogue, etc. Nombreux demeurent les cas où la bonne volonté et le courage d’un époux ne suffisent pas à éviter la séparation ou le divorce.

 

L’Église orthodoxe, elle, se risque à aider les époux lorsque le couple s’est écroulé, s’est séparé, a divorcé. Elle reconnaît que les humains peuvent commettre des erreurs et qu’il n’est pas évangélique de les abandonner à un jugement négatif, en les laissant définitivement dans une situation invivable. Elle propose un temps de réflexion, de reconnaissance des torts que chacun a pu avoir. Elle invite à une sorte de conversion avant d’accepter de bénir le mariage de personnes qui furent amenées à divorcer.

 

Telle est la perspective que j’ai proposée dès 1991 aux époux abandonnés ou contraints au divorce qui, par la suite, ont contracté mariage. L’Église romaine ne la propose pas, à la différence de l’Église orthodoxe. Aussi l’ai-je présentée comme une « décision de conscience » et non comme une solution agréée par l’Église romaine. Cependant, qui sait si elle ne l’acceptera pas un jour, notamment si la communion renaît entre les Églises chrétiennes ?

 

Pour une vraie décision

 

Pour l’élaborer, le divorcé remarié doit donc se questionner devant Dieu, principalement sur les points suivants :

 

  1. Est-ce que je cherche à vivre la foi chrétienne de plus en plus profondément, notamment depuis mon nouveau mariage ?

 

  1. Le couple que je forme actuellement est-il stabilisé depuis un temps notable (dix ans), paisible, vivant sous le regard du Seigneur avec espoir fondé de durer dans la fidélité ?

 

  1. Ai-je essayé de faire la clarté sur la validité de mon premier mariage ?

 

  1. Ai-je reconnu loyalement mes torts dans le déroulement puis l’effondrement de mon couple ? Suis-je allé jusqu’à solliciter le pardon de mon conjoint ou des enfants que mon attitude aurait pu blesser ?

 

  1. Ai-je lutté pour ne pas entretenir et manifester une attitude agressive envers mon conjoint, ou sa famille, ou les enfants, ou les représentants de l’Église ?

 

  1. Ai-je dialogué avec des chrétiens sur les questions de conscience posées par mon divorce et mon remariage civil ? Cette recherche de dialogue m’a-t-elle fourni des éléments de discernement spirituel ayant apaisé « mon état d’âme » ? Suis-je actuellement dans une certaine paix intérieure depuis que j’ai choisi de communier quand je participe à l’eucharistie ?

 

Si vous répondez positivement à ces questions, je ne suis pas seul à penser que vous vivez dans une attitude loyale envers Dieu. Vous pouvez estimer que vous êtes en paix avec Lui et en harmonie avec l’enseignement du Christ, le Juge de tous les humains. Il vous aime et vous demeurez en lui.

 

 

  1. v) Le cardinal Godfried Danneels, archevêque émérite de Malines-Bruxelles

 

« Dieu est juste et miséricordieux. Il ne peut se contredire. Il est capable de faire le grand écart entre juste et bon. Nous, nous avons un chemin difficile, car nous ne sommes que de pauvres danseurs dans le ballet de l’histoire. Nous, pauvres ministres, nous avons à trouver le moyen d’inventer des chemins de miséricorde sans nuire à la vérité et à chercher le chemin à chaque époque et pour chaque culture. A nous de trouver les chemins de miséricorde.

 

Je voudrais me limiter à un seul chemin de la miséricorde pour notre époque. Je pense à ceux et à celles, dont le premier mariage a échoué et qui se sont engagés dans un second mariage non valide pour l’Eglise et non sacramentel. Ils sont nombreux à notre époque. Que faisons-nous pour eux, qui souvent voudraient régulariser leur état de vie et qui savent qu’il n’y a pas de possibilité.

 

Il y a des jours où je pense qu’il faudrait instituer dans l’Eglise quelque chose de semblable au catéchuménat et à l’ordo penitentium dont l’Eglise d’alors s’occupait comme une mère. Peut-être rien de vraiment institutionnel, mais un souci pastoral organisé pour des divorcés remariés.

 

Comment préparer des prêtres et des laïcs pour cette pastorale spéciale comme jadis pour les catéchumènes et pour ceux qui étaient dans un chemin pour obtenir l’absolution de leur péché ?

 

La première attitude est celle d’un immense respect pour ces frères et sœurs divorcés et remariés. Le début de toute miséricorde, c’est un respect inconditionnel pour tous ceux et celles qui vivent dans l’Église, mais ne peuvent se remarier et recevoir la communion.

 

Les mariages de fait méritent un même respect. Car certains portent leur union comme dans un hiver – des semences qui dorment. Très souvent les divorces remariés suivent un chemin, – conscients ou inconscients – pour sortir de cette situation. Mais cela n’est pas possible.

Dans beaucoup de ces situations les époux se trouvent dans une démarche graduelle vers un idéal qu’ils désirent. Le respect est la pastorale que la mère Église doit pratiquer.

C’est une pastorale de la gradualité : loi de gradualité mais non gradualité de la foi.

La Loi ne s’impose pas à moi de l’extérieur, mais rejoint en profondeur ce que Dieu révèle au fond de mon être sur ce qui est bien, sur l’Alliance.

 

Mais on ne peut exiger du chrétien qu’il applique la loi morale entièrement et d’un seul coup. Il faut l’aider à avancer sur un chemin de croissance, dans la durée.

 

D’abord les chercher. Car beaucoup se cachent et n’osent pas le dire, même pas au conjoint. Ils souffrent en cachette. A nous prêtres de nous mettre à découvrir ces brebis qui voudraient, mais n’osent pas le dire.

 

Ensuite les inviter à se rencontrer, former des groupes où ils peuvent s’écouter les uns les autres ; Mais le pasteur doit être là. Sans focaliser uniquement sur cette douloureuse question de la communion refusée. Le prêtre doit écouter par son cœur. Il n’est point besoin dès le début d’enseigner, mais d’écouter. Car toute écoute est thérapeutique.

 

Il est nécessaire de leur parler, ou leur faire parler de la beauté du mariage et de la famille chrétienne.

Le beau est tout puissant.

 

Il ne s’agit pas d’une beauté esthétique, mais la beauté, sœur de la vérité et de la bonté. La beauté est selon Aristote :’la splendeur de la vérité’. « Pulchrum est splendor veri’.

 

Les divorcés remariés ne sont pas les seuls enfants en problème. Mais ils réclament des pasteurs, qui ont un cœur de berger et qui prennent sur les épaules le pauvre petit agneau, qui s’est cassé la patte.

 

La vérité peut susciter le scepticisme. La bonté peut décourager, mais la beauté désarme. Et nous avons des atouts. En effet, rien de plus beau que le mariage chrétien et la vie familiale chrétienne. Il faut dire la vérité aux divorcés remariés mais en se souvenant de saint François d’Assise qui disait à ses gardiens des petites communautés : « Ne permettez pas que quelqu’un vous quitte triste. »

 

 

  1. w) Témoignage chrétien, octobre 2014

 

« Le mariage est le symbole de la vie, il ne s’agit pas d’une fiction. (Il n’est pas) un chemin uni, sans conflits : non, alors cela ne serait pas humain. »

Ainsi parlait le Pape François, dimanche 14 septembre, durant l’homélie du sacrement du mariage de vingt couples du diocèse de Rome. Le mariage est tellement humain qu’il échoue souvent – 44 % des cas en France en 2011 –, et que le remariage civil est fréquent.

 

La conséquence pour les époux mariés initialement à l’église – l’impossibilité de recevoir les sacrements – demeure un des points noirs de la discipline ecclésiale. Et le moins explicable. Même si bien des fidèles (et des pasteurs) s’affranchissent de cette règle violente et injuste, celle-ci doit changer. D’autant plus que les jeunes prêtres en France apparaissent moins portés sur les arrangements.

 

Guère nouvelle, la question est désormais officiellement en débat. « Le problème doit être étudié dans le cadre de la pastorale du mariage », disait le pape en juillet 2013, parlant même d’un « devoir d’avancer » sur la question. Le sujet sera au centre du Synode des évêques sur la famille, qui se tient à Rome du 5 au 19 octobre.

 

Changement de paradigme

 

Depuis quelques mois, les langues se délient de façon inédite. Les réponses au questionnaire préparatoire ont montré l’incompréhension d’une majorité de fidèles (du moins en Occident) et leur rejet de la sévérité de la règle. Et la posture de François rend optimistes les tenants de l’évolution. En février dernier, devant tous les cardinaux, le pape avait confié le soin d’introduire le sujet à Walter Kasper.

 

Or, le théologien allemand, ancien président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens, s’était déjà exprimé pour une ouverture. La moitié de son exposé était consacrée aux divorcés-remariés. « Nous avons besoin d’un changement de paradigme et nous devons – comme l’a fait le Bon samaritain – considérer également la perspective de ceux qui souffrent et demandent de l’aide ».

 

Jusqu’alors, dans tout discours romain, le sacrement et son caractère définitif primaient sur les considérations individuelles.

 

« Des divorcés remariés ont aussi besoin de l’eucharistie pour croître en alliance avec le Christ et la communauté d’Église, et pour prendre leur responsabilité de chrétiens dans la nouvelle situation donnée », écrivit de son côté Johann Bonny, évêque d’Anvers, dans un texte très remarqué en France, surtout devant le mutisme de ses collègues de l’hexagone.

 

L’Église doit « oser aller du “vécu” à la “doctrine”. Sur un tel chemin, l’Église n’a rien à perdre », ajoutait le prélat belge.

Les participants au synode vont donc échanger sur les solutions proposées. La plus simple à mettre en œuvre existe déjà. Et certains veulent en généraliser l’usage. Il s’agit de l’annulation du sacrement de mariage initial. Solution rude, basée sur des arguties juridiques peu évidentes, blessante pour les enfants nés de la première union, elle n’est guère satisfaisante. Sauf pour ceux qui ne veulent toucher en rien à l’édifice doctrinal et pastoral.

 

Comme d’autres, le cardinal Kasper propose, lui, la mise en place d’un chemin de pénitence pour les chrétiens vivant en secondes noces. Il s’inspire de la longue pratique des chrétiens orthodoxes, peu réputés pour leur laxisme moral. Si pour eux comme pour les catholiques, le sacrement ne peut être défait, ils font appel au principe de « l’économie de la miséricorde », fidèles en cela aux travaux des Pères de l’Église comme Origène, Basile le Grand ou Grégoire de Nazianze.
« Mort morale »
Les orthodoxes évoquent le terme de « mort morale » du premier mariage et proposent, après un temps de deuil et de pénitence (sous forme d’une privation d’eucharistie d’une ou deux années), un second mariage.

C’est cette piste qui devra être explorée sereinement, afin de mettre en place un dispositif qui réponde à la demande pastorale, sans trop ébranler les bases théologiques de l’indissolubilité du sacrement.

 

 

  1. x) Jacques-Hubert Mabille de Poncheville

 
Âgé de 70 ans, l’auteur, boulonnais, marié et père de trois enfants, journaliste pour encore quelques semaines à La Voix du Nord, fut prêtre diocésain en 1970-1980. C’est de la pastorale paroissiale ordinaire avesnoise auprès des personnes divorcées remariées que démarrent ses notes qui, 30 ans plus tard, deviennent livre à partager.

 

Un sujet source de division

Aucun ton polémique donc chez l’auteur pour qui, sur ce sujet délicat, « Dieu fait un cadeau à l’Église ». Il propose un argumentaire en trois volets : les regards sur les comportements des chrétiens divorcés remariés, les inconvénients de la loi actuelle, et la voie vers une solution issue de l’eucharistie elle-même.
Il analyse : « Bien que vivante, la doctrine de l’Église sur la sexualité ou le divorce n’est plus reçue même si le Concile continue. Au sein des familles dont bon nombre sont recomposées, ce sujet de société est source de scandales et de divisions. Beaucoup de divorcés-remariés ne se posent plus de questions ou recourent à leur seule conscience. Pourquoi ne pas prendre les personnes là où elles (en) sont, infiniment précieuses auprès d’un Dieu ne cessant de créer, de s’offrir, de tout renouveler sans cesse. J’ai relevé ce que j’ai entendu d’une petite communauté eucharistique locale avec le père Jean Dubreucq (1930-2014), mon doyen, un vrai prophète ! Nous avions devant nous un trésor ouvert à resituer dans la tradition de l’Église, jamais fermée, jamais cernée ! »

 

Pas de victoire de l’un sur l’autre

Pas d’« interdit-permis », pas de victoire d’un camp sur l’autre : pour Jacques-Hubert, « le seul camp, c’est Jésus-Christ pour qui tout est miséricorde ». Citant Benoît XVI parlant d’« un problème pastoral épineux et complexe », saluant François « qui situe la question dans la totalité de la pastorale du sacrement de mariage et de la famille », rappelant la tradition de l’Église orthodoxe, dont la discipline est moins sévère, l’auteur cite des faits vécus ou rapportés : difficulté pour une communauté à aider un frère ou une sœur divorcé(e) non remarié(e) à vivre le chemin de la solitude assumée, passe-droits clandestins, recours aux tribunaux ecclésiastiques… Sans oublier le fait que la rigueur du code de droit canon (1983) encourage, indirectement, le mariage civil et pénalise un comportement qui n’a rien à voir avec des péchés plus graves (meurtre, adultère) où le mis en cause peut communier.

 

Trois pistes

S’appuyant sur la grandeur du sacrement de mariage et de l’eucharistie, Jacques-Hubert Mabille de Poncheville donne trois pistes d’action pastorale :

 

En premier, l’assemblée eucharistique locale sur lequel l’Esprit Saint descend tout entier. « On doit rappeler que les sacrements sont reçus pour la multitude, et d’abord pour les personnes blessées. »

 

En second, inviter les divorcés remariés à participer aux assemblées eucharistiques et pénitentielles locales pour « faire station » selon la coutume chrétienne pédagogique imposée aux pêcheurs et pénitents.

 

En dernier lieu, interpeller l’évêque – l’auteur a adressé son manuscrit aux évêques de notre région et cite telle réaction. Celui-ci dirait à quelles conditions il accepte une pleine réintégration de ses divorcés remariés à l’eucharistie locale.

 

Faire se rencontrer le meilleur de la théologie et du cœur humain dans une pastorale diocésaine au service de la gloire de Dieu et du salut des hommes, c’est le plaidoyer de Jacques-Hubert Mabille de Poncheville qui attend beaucoup des directives romaines d’octobre 2015.

 

 

  1. y) Mgr Jean-Paul Vesco,op ancien prieur provincial des dominicains de France, évêque d’Oran,

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager pour les divorcés remariés ?

C’est une révolte intérieure très ancienne face à la souffrance d’énormément de personnes. Elles ne se reconnaissent pas dans ce que l’Église dit de leur état de vie. Alors beaucoup s’en vont sur la pointe des pieds, ne font pas baptiser leurs enfants. Ma révolte vient aussi de ce qu’il n’est pas seulement fait violence aux personnes, mais aussi à des fondements de notre foi : l’alliance, la miséricorde de Dieu et le sacrement de réconciliation, le sacrement de l’eucharistie. J’ai la conviction qu’il est théologiquement possible d’affirmer en même temps l’indissolubilité de tout amour conjugal réel, l’unicité du mariage sacramentel et la possibilité d’un pardon en cas d’échec de ce qui constitue l’une des plus belles mais aussi des plus périlleuses aventures humaines, le mariage pour toute la vie.

 

Quelle est la « faute » des divorcés remariés ?

 

C’est le deuxième « oui ». Dès lors qu’il y a eu union sacramentelle, en contracter une deuxième est considéré comme un adultère. S’agissant d’un péché grave, pour recevoir l’eucharistie il faut s’être confessé et avoir reçu l’absolution. Pour cela, les divorcés remariés doivent prendre la résolution de quitter leur « état de péché ». Concrètement, cela suppose pour eux de rompre avec leur second conjoint, avec lequel ils ont reconstruit leur vie et ont peut-être eu des enfants. Ou alors de « vivre en frère et sœur » avec toute l’ambiguïté de cette expression. Ils sont placés face à une décision impossible, tout simplement parce que leur seconde union est, elle aussi, devenue indissoluble.

 

C’est ce que l’on appelle la persistance dans « l’état de péché »…

 

Une personne qui a vécu un échec dont elle est prête à assumer une part de responsabilité, qui a reconstruit sa vie et qui au quotidien vit une relation de fidélité ne peut pas se reconnaître en situation d’adultère. L’adultère, dans la vie réelle, c’est le fait d’entretenir une relation avec deux personnes à la fois. Telle n’est pas la vie des divorcés remariés.

 

Mais Jésus dit dans l’Évangile : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Marc 10, 9) !

 

Le sacrement de mariage est unique et doit le rester. Mais il importe de distinguer unicité et indissolubilité.

Ce n’est pas le sacrement qui rend le mariage indissoluble, c’est l’indissolubilité de toute relation d’amour véritable qui rend possible ce sacrement, lequel est unique.

Jésus n’est pas l’inventeur du mariage indissoluble, il ne l’a pas décrété, mais il a révélé le caractère sacré de tout amour humain véritable depuis la première union de l’homme et de la femme.

C’est ainsi que l’Église reconnaît le caractère indissoluble du mariage civil de deux personnes non baptisées.

L’indissolubilité n’épuise pas le sens du mariage sacramentel, qui est la reconnaissance par les époux que Dieu est présent au cœur de leur amour. C’est faire du mariage une consécration.

 

Quelle solution proposez-vous pour sortir de cette notion de « persistance dans l’état de péché » sans transiger avec l’unicité du sacrement et l’indissolubilité de l’union ?

 

La position de l’Église en matière de mariage apparaît souvent comme juridique à l’excès. Il me semble au contraire que, paradoxalement, elle pêche par une carence dans le raisonnement juridique. Tous les grands systèmes de droit opèrent une distinction fondamentale entre infraction instantanée et continue. L’infraction instantanée, tel le meurtre, résulte d’un acte unique de la volonté qui entraîne des conséquences définitives contre lesquelles la volonté du meurtrier elle-même ne peut rien. L’infraction continue, tel le vol avec recel, suppose que l’auteur de l’infraction prolonge l’infraction par un acte répété de la volonté. Il pourrait rendre à tout moment l’objet dérobé, alors que le meurtrier, lui, ne peut plus redonner la vie qu’il a prise. Dès lors que cette distinction n’est pas posée en droit canonique, toute la question est de savoir si le fait de contracter une seconde union après l’échec d’un mariage sacramentel peut être assimilé analogiquement à une infraction instantanée ou à une infraction continue.

 

Et quelle est votre réponse ?

 

La position actuelle de l’Église revient implicitement à assimiler une seconde union à une infraction continue dans laquelle les personnes se maintiennent par une manifestation répétée de la volonté. À tout moment, elles seraient censées pouvoir interrompre cette seconde union.

C’est faire fi de la situation définitive que l’indissolubilité de leur amour a créée. Je crois que l’analogie avec l’infraction instantanée est plus juste. En effet, de même que le meurtre crée une situation définitive de mort, la seconde union crée une situation définitive de vie.

 

Quel est l’intérêt de cette distinction ?

 

Si l’Église prenait acte de la situation définitive née de la volonté d’entrer dans une seconde relation d’alliance, elle pourrait s’autoriser une parole de vérité, et le cas échéant de pardon, sur le « oui » de la seconde union sans avoir à exiger le préalable d’une impossible séparation. Dès lors, elle permettrait aussi aux personnes de faire la vérité sur leur mariage et les raisons de son échec. Il est plus facile de poser un regard serein sur son passé, au lieu de l’occulter, dès lors qu’un avenir réconcilié est envisageable. Cette distinction, fondée sur la prise en compte des conséquences du caractère indissoluble de tout amour conjugal véritable, ouvre la voie à une nécessaire pastorale de la réconciliation, dont les modalités restent à inventer. Et cela sans que soient relativisées l’unicité et la valeur ineffable du mariage sacramentel catholique.

 

 

Une approche théologique et juridique de la question de l’accès des « divorcés-remariés » aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie.

 

L’indissolubilité d’une alliance véritable entre deux êtres a été affirmée par le Christ avec force et mise en relation par Lui avec la création de l’homme et de la femme (Mt 19.4). Elle a, dès les temps apostoliques, occupé une place particulière dans la doctrine de l’Église, plus que dans aucune autre religion ou tradition. C’est ainsi qu’à l’instar de Paul qui associe au même mystère l’alliance des époux et celle du Christ et de l’Église (Ep 5.32), le mariage a été élevé, des siècles plus tard, au rang de sacrement. Le mariage chrétien est un trésor qu’il importe de protéger et de valoriser, spécialement à un moment où en France et ailleurs en Europe, le fossé se creuse entre le mariage sacramentel chrétien et le mariage civil.

 

Néanmoins, si l’alliance conjugale entre deux personnes est par essence indissoluble, elle demeure une des aventures humaines les plus belles mais aussi les plus périlleuses qui soit. Nombreux sont les couples qui se déchirent et se défont, et nombreux aussi sont ceux qui, après une première alliance conclue en conscience et en vérité, se trouvent dans la situation d’en conclure une seconde, également en conscience et en vérité. Ce sont ceux que l’on appelle trop communément les « divorcés-remariés ». On sait combien cette terminologie générique peut renfermer d’histoires de vies, toutes singulières et toutes différentes, qu’il est difficilement tenable d’enfermer dans un même vocable et dans un même traitement.

 

En vertu du caractère indissoluble du premier lien sur lequel il ne se reconnaît aucun pouvoir, le Magistère de l’Eglise considère aujourd’hui que l’état de vie des « divorcés-remariés » est assimilable à une persistance obstinée dans un état de péché grave (l’adultère) qui leur interdit l’accès au sacrement de réconciliation et donc aussi à la communion eucharistique (art 915 du code de droit canonique). Cette notion de persistance obstinée dans un état de péché est le point d’achoppement qui distingue les « divorcés-remariés » du commun des pécheurs que nous sommes tous puisqu’elle interdit l’accès au sacrement de réconciliation. Il n’est en effet pas de pardon sacramentel possible sans la volonté ferme de renoncer à son péché. Or, seule cette réconciliation sacramentelle après une faute grave peut ouvrir la voie au sacrement de l’eucharistie.

 

Cette notion de persistance obstinée dans un état de péché grave est bien sûr sans rapport avec la vie de tant de ces couples qui mettent tout leur cœur à (re)construire jour après jour une vie conjugale vraie et féconde. Leur vie n’a pas grand-chose à voir avec le désordre et la duplicité d’une vie adultère qui suppose une relation simultanée avec deux personnes, ce qui n’est pas leur cas.

 

Même s’ils sont prêts à reconnaître que leur vie est marquée par une rupture douloureuse et possiblement fautive par rapport à l’engagement pris au jour de leur mariage, ils ne se reconnaissent pas dans la situation d’adultère qui est la leur au regard de l’Eglise. Dès lors la position magistérielle apparait comme injuste, juridique à l’excès, ne faisant aucune place à l’expression de la miséricorde divine. Ils se sentent exclus, ou pire encore s’auto-excluent de l’Eglise, et nombre d’entre eux perdent le chemin de la foi.

 

Pourtant il semble bien que l’on peut faire le pari de la non contradiction entre d’une part l’affirmation sans concession de l’indissolubilité intrinsèque à tout véritable amour, et d’autre part l’échec, à vue humaine, de cet amour.

Il faut pour cela revenir aux sources de l’indissolubilité et opérer une distinction entre indissolubilité et unicité.

 

Revenir aux sources de l’indissolubilité du mariage sacramentel

 

Pour pouvoir recevoir le sacrement de réconciliation, et donc ensuite avoir accès à la communion eucharistique, les personnes « divorcées-remariées » sont placées face à une décision impossible, celle de rompre une union conjugale heureuse de laquelle sont peut-être nés des enfants. Cette décision est impossible à prendre non pas en raison d’un manque de courage ou d’un manque de foi. Elle est impossible car leur choix de s’engager dans une seconde alliance a créé un second lien tout aussi indissoluble que le premier.

 

En effet, ce n’est pas le sacrement de mariage qui rend indissoluble l’union de deux personnes qui entendent se donner complètement l’une à l’autre, c’est l’indissolubilité de tout amour humain véritable qui rend possible le sacrement de mariage.

 

La puissance révolutionnaire des paroles de Jésus sur le mariage ne vient pas du fait qu’il aurait décrété l’indissolubilité de l’union réelle de l’homme et de la femme. Elle vient du fait que Jésus la révèle, la reconnait, dès l’origine, dans l’épaisseur de la réalité humaine qu’est l’union véritable de l’homme et de la femme (« l’homme quittera son père et sa mère… Mt 19,5 s).

 

Il y a dans l’alliance conjugale entre deux personnes du « définitif » qui se crée, qui dépasse les deux personnes elles-mêmes et qui interdit de penser une nouvelle alliance après divorce comme une relation adultère de laquelle on pourrait sortir par un simple acte de volonté. La naissance d’enfants est le signe le plus manifeste de ce « définitif » qui est advenu.

 

Face à ce définitif créé par une deuxième alliance l’Église elle-même ne peut rien, et cela en vertu du caractère ontologiquement indissoluble qu’elle reconnait à l’alliance de deux personnes qui se donnent réellement l’une à l’autre.  Elle rencontre la limite qu’elle oppose par ailleurs aux « divorcés-remariés » pour ce qui concerne la première union qui ne peut être rompue. Il n’est en effet pas possible de défendre d’un côté l’indissolubilité du mariage sacramentel en se fondant sur une indissolubilité ontologique que le sacrement viendrait révéler, conforter, transcender et d’un autre côté considérer une seconde union, souvent humainement plus solide, comme pouvant être dissoute du seul fait d’un acte de volonté. Ou alors, il faudrait se résoudre à placer le fondement, le tout de l’indissolubilité, dans la seule action du sacrement. Cela n’est bien sûr pas le cas puisque l’Eglise reconnaît le caractère indissoluble du mariage civil entre deux personnes non-baptisées.

 

Distinguer indissolubilité et unicité

 

Reconnaître le caractère d’indissolubilité à une seconde union après un divorce, et ainsi faire droit à l’expérience humaine vécue par tant et tant de personnes, suppose de ne pas trop facilement associer indissolubilité et unicité.

 

Les personnes veuves qui font le choix, après un temps, de se remarier font le plus souvent l’expérience bouleversante et déstabilisante de pouvoir aimer deux personnes d’un amour différent mais total. Ces personnes découvrent que leur second amour n’a pas dissous le premier qui conserve toute sa place, toute sa valeur unique. Ils font, de façon licite aux yeux de l’Eglise, l’expérience que font de façon illicite les « divorcés-remariés ». C’est un fait, nos relations amoureuses véritables laissent une trace indissoluble, ineffaçable, dans nos vies. Elles ne s’effacent pas les unes les autres.

 

L’unicité qui est la vocation ultime de tout amour conjugal véritable, image de l’amour du Christ pour son Eglise, est signifiée par le sacrement de mariage qui, lui, n’est pas réitérable (sauf veuvage ou annulation du premier mariage). Par le sacrement dont ils sont les ministres, les époux reconnaissent explicitement la présence du Seigneur au cœur de leur amour. Ils reconnaissent explicitement cet amour comme un don de Dieu. Ils reconnaissent que leur mariage est une vocation, un appel à donner à voir une forme particulière de l’amour intime de Dieu pour chacune de ses créatures. L’indissolubilité est en conséquence bien loin d’épuiser à elle seule le tout de la valeur unique du sacrement de mariage.

 

Dès lors que les personnes « divorcées-remariées » sont confrontées au définitif de la situation qu’elles ont créée en s’engageant dans une deuxième union conjugale véritable, cela signifie-t-il pour autant que tout accès au sacrement de réconciliation serait impensable ? Cela reviendrait à considérer leur second « oui » comme une faute impardonnable, situation à laquelle l’Eglise, dispensatrice de la miséricorde divine, peut difficilement se résoudre.

 

Pour sortir de cette impasse, le recours à la distinction entre infraction instantanée et infraction continue en droit pénal est particulièrement éclairant. Cette analogie permet de fonder une nécessaire distinction entre d’une part la décision de s’engager dans une seconde union, et d’autre part les conséquences objectives et définitives entrainées par cette décision. Et d’en tirer les conséquences.

 

La distinction entre infractions simples et infractions continues en droit pénal

 

Dans le droit pénal en vigueur dans tous les systèmes de droit tant romain qu’anglo-saxon, la doctrine commune opère une distinction fondamentale entre les infractions instantanées et les infractions continues.

Les infractions instantanées sont des infractions, tels le meurtre, dont l’acte d’exécution se déroule en un temps limité et clairement identifiable. Le meurtre emporte une conséquence définitive sur laquelle le meurtrier ne peut plus rien. Il peut être jugé sur la gravité de son acte et il peut le cas échéant en demander pardon.

 

Les infractions continues au contraire, tels le vol avec recel (c’est-à-dire le fait de conserver pour soi l’objet volé), se prolongent de manière indéfinie dans le temps, et l’infraction se réalise aussi longtemps qu’il n’est pas mis fin volontairement à la situation répréhensible. Le voleur continue l’infraction qui s’aggrave avec le temps aussi longtemps qu’il n’a pas rendu l’objet volé. Il ne peut demander pardon avant d’avoir rendu l’objet à son propriétaire.

Cette distinction emporte des effets juridiques significatifs. C’est ainsi notamment que, dans le cas de l’infraction continue, aucun délai de prescription ne peut courir aussi longtemps qu’il n’est pas mis volontairement fin à la situation répréhensible. Il est important de bien noter que le critère discriminant est celui de la volonté : une infraction est dite continue parce qu’une action répréhensible se poursuit dans le temps du fait d’actes de volonté sans cesse réitérés et que l’on pourrait donc stopper à tout instant.

 

La question est de savoir si le fait de s’être engagé dans une seconde union conjugale est analogiquement assimilable à une infraction instantanée ou à une infraction continue. Est-ce que, comme dans le cas du vol, on peut mettre fin à tout moment à l’infraction (rompre la seconde alliance), ou est-ce que, comme dans le cas du meurtre, le fait de s’être engagé dans une seconde alliance crée du définitif qui échappe à la volonté même de ceux qui l’ont contractée ?

 

La position magistérielle actuelle de l’Eglise, sans avoir posé explicitement cette distinction, assimile en fait une seconde alliance entre deux personnes, dont l’une au moins a été mariée sacramentellement, à une infraction continue, c’est-à-dire une infraction qui persiste dans le temps en raison d’une manifestation répétée de la volonté des conjoints de persister dans une situation gravement fautive. Il semblerait plus juste de ranger le fait d’entrer dans une seconde alliance dans la catégorie des infractions instantanées dont les effets perdurent dans le temps.

 

Il s’agit en effet clairement d’une action unique de la volonté qui entraîne des conséquences permanentes, et même définitives. Il y a d’une part un acte de la volonté, possiblement fautif, qui est celui de s’engager dans une nouvelle alliance. Et il y a d’autre part tous les actes de la volonté qui vont être posés au fil des jours et des ans et qui sont de même nature que ceux posés par tous les couples qui construisent une destinée commune et en assument ensemble les difficultés. Ces actes de la volonté ne font pas absolument nombre avec le « oui » prononcé un jour devant le maire ou dans l’intimité d’une relation. Ils sont la conséquence nécessaire de ce « oui ». Ils ne peuvent être considérés comme une persistance obstinée dans une situation de péché mais bien comme la volonté de vivre et de réussir une relation d’alliance dans laquelle on a, un jour, décidé de s’engager, serait-ce pour la seconde fois, serait-ce même de manière gravement fautive. La différence entre ces deux ordres de volonté est fondamentale par les conséquences qu’elle emporte.

 

Les conséquences de la reconnaissance de la seconde alliance comme « infraction » instantanée et non pas continue

 

La distinction (sans séparation) entre d’une part l’acte singulier de la volonté, enfermé dans le temps d’un « oui », d’entrer dans une relation d’alliance conjugale, et d’autre part les actes quotidiens de la volonté de faire s’épanouir cette alliance afin qu’elle donne ses fruits (des enfants peut-être, mais pas uniquement) entraine au moins trois conséquences positives :

  1. Elle permet de prononcer une parole de vérité, et donc aussi éventuellement de réconciliation sacramentelle, sur une action passée qui emporte des conséquences dans le présent et dans l’avenir.

Dès lors en effet que l’on considère, comme c’est le cas en ce moment, qu’il ressort d’un même acte de la volonté de s’engager dans une nouvelle alliance et de s’y maintenir (infraction continue), il ne peut être dit sur cette situation aucune parole de vérité et de réconciliation sacramentelle aussi longtemps que la personne ne renonce pas à cette deuxième alliance. Or cela est impossible si cette deuxième alliance est une véritable alliance conjugale qui pourrait être couronnée par le sacrement de mariage s’il n’y avait pas l’impossibilité dirimante d’un premier mariage sacramentel valide.

 

En revanche dès lors que l’on distinguerait entre d’une part la décision fondatrice de l’alliance conjugale (le « oui »), et d’autre part la situation permanente qui en résulte, l’Église pourrait poser sur les actes qui ont conduit à la rupture de l’alliance une parole de vérité et possiblement une parole de réconciliation. Elle pourrait ainsi pleinement honorer sa vocation de pasteur qui éclaire, guide, juge et réconcilie sacramentellement. Un berger ne peut pas laisser une de ses brebis dans une situation impossible. Ou alors cela signifie qu’il se résigne à courir le risque de la perdre.

 

Cette distinction permettrait aussi aux personnes concernées de pouvoir, peut-être dans le cadre d’un cheminement spirituel accompagné, poser un regard apaisé sur des agissements passés qui ont pu contribuer à la rupture de l’alliance. Un tel regard sur son passé est rendu d’autant plus possible qu’une vie chrétienne dans l’Eglise, nourrie par les sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie, peut être envisagée.

 

Considérer qu’il est impossible de prononcer une parole sacramentelle de pardon en faveur d’une personne ayant pleinement conscience de ses éventuels manquements mais confrontée au définitif de sa situation, revient en fait à reconnaître dans la rupture d’alliance sacramentelle une faute irrémissible. Il vaut mieux le dire plutôt que de s’abriter derrière la fiction d’un impossible retour en arrière.

 

A cet égard l’analogie précédemment évoquée avec le meurtre est provocante mais éclairante. Un meurtrier repenti peut être sacramentellement réconcilié. Pourtant son acte emporte également des conséquences irréparables et définitives qui se prolongent dans le temps ne serait-ce que dans le cœur des proches de la victime. Mais le meurtre est à juste titre traité comme une infraction instantanée car aucun retour en arrière n’est possible. Le meurtrier peut donc bénéficier d’un pardon que l’on refuse à une personne engagée dans une seconde alliance tacitement assimilée à une infraction continue. Mais s’il est posé qu’une seconde alliance crée une situation de vie tout aussi définitive que le meurtre crée une situation définitive de mort, on voit difficilement pourquoi une réconciliation sacramentelle pourrait être accordée à l’un et refusée à l’autre.

 

  1. Elle permet aussi de distinguer entre les différentes situations personnelles et de sortir de l’appellation peu satisfaisante des « divorcés-remariés ».

 

Le fait de s’attacher à considérer pour elle-même, et dans son caractère irréversible, la décision fondatrice, le « oui » de la deuxième alliance, permet de sortir de l’amalgame du groupe des « divorcés-remariés ». Chaque personne a une histoire singulière qui nécessite un discernement et une recherche de vérité spécifiques. Être quitté(e) pour un(e) autre et tenter de « refaire sa vie » après un deuil douloureux est différent de briser une alliance et partir avec l’un des morceaux. Cela permet aussi de ne pas trop facilement enfermer dans une même « solidarité de péché » celui ou celle qui n’a jamais été marié(e) et qui épouse une personne divorcée sans avoir aucune part de responsabilité dans la rupture de la première union. L’alliance véritable entre deux personnes tire sa grandeur de sa fragilité et innombrables sont les causes de rupture, il n’est pas besoin de s’étendre.

 

  1. Elle permet enfin de ne pas réduire au seul remariage la question de l’indissolubilité, mais de porter un regard sur la rupture en elle-même.

Selon la position magistérielle actuelle de l’Eglise, c’est le remariage davantage que la rupture de la première alliance qui pose véritablement problème. Ainsi lorsque l’Encyclique « Familiaris Consortio » traite des « divorcés non remariés », elle fait preuve de la plus grande compréhension quant aux causes possibles d’une rupture d’alliance :

« Divers motifs, tel l’incompréhension réciproque, l’incapacité de s’ouvrir à des relations interpersonnelles, etc., peuvent amener à une brisure douloureuse, souvent irréparable, du mariage valide. Il est évident que l’on ne peut envisager la séparation que comme un remède extrême après que l’on ait vainement tenté tout ce qui est raisonnablement possible pour l’éviter. » (F.C.83)

 

Il y a là la reconnaissance explicite de la possibilité objective d’une rupture irréparable du lien d’alliance, mais ce n’est pas elle qui est répréhensible si elle est justifiée par l’impossibilité objective de maintenir une vie commune.

 

Une focalisation excessive sur la deuxième alliance peut masquer le fait que l’atteinte fondamentale, humainement et spirituellement, se fait bien d’abord et avant tout au moment de la rupture du premier lien. Donner l’impression que l’on pourrait exonérer un conjoint de sa responsabilité dans la rupture au seul motif qu’il ne s’est pas engagé dans un nouveau lien d’alliance, lui fait courir le risque de ne pas pouvoir faire la vérité sur un acte qui peut nécessiter regret, demande de pardon à son conjoint, et demande de réconciliation sacramentelle.

 

Dans ce cas encore, l’analogie avec la distinction entre infraction instantanée et infraction continue est pertinente. En effet, dès lors qu’une seconde alliance véritable est conclue après la rupture du premier lien, on se trouve, selon nous, analogiquement dans le cas d’une infraction instantanée qui emporte des effets permanents et définitifs. Dès lors en revanche qu’un lien est rompu sans volonté de nouer un autre lien, mais avec la seule volonté, par exemple, de jouir d’une liberté que l’on considérait perdue, on se trouve dans le cas d’une infraction continue et non plus instantanée.

Dans ce cas en effet, il y aurait clairement une volonté répétée de se maintenir dans une situation de séparation alors que rien ne ferait obstacle formellement à la reconstitution de l’alliance conjugale. C’est bien le même mouvement de la volonté qui a décidé de la rupture et qui maintient dans cette situation de rupture. On perçoit aisément la différence avec la situation précédente. Dans ce cas-là paradoxalement, on comprendrait davantage que l’on puisse faire état d’une persistance dans l’état de péché de nature à faire obstacle à la réception du sacrement de réconciliation.

 

Vers une nécessaire pastorale de la réconciliation

 

La distinction juridique opérée par l’analogie avec les infractions continues et instantanées en droit pénal présente l’avantage d’ouvrir théologiquement la porte à une pastorale de la réconciliation sans que soit remise en cause l’affirmation du caractère indissoluble du mariage. Une telle pastorale de la réconciliation est même la seule à pouvoir conjuguer deux réalités qui par essence ne peuvent pas être incompatibles : l’indissolubilité du mariage et la miséricorde infinie de Dieu. Or toutes les alternatives offertes aujourd’hui aux « divorcés-remariés » font injure à l’une, à l’autre ou au deux.

 

– Le recours à la déclaration en nullité du premier mariage pour un vice de consentement (immaturité…) revient à dire qu’il n’y a jamais eu alliance. Les cas de véritable nullité sont extrêmement rares et sont la conséquence d’une déficience de la part de ceux qui ont préparé les futurs époux. Ou alors cela signifie qu’il faudrait avoir le courage de refuser de célébrer de nombreux mariages, avec les conséquences pastorales que l’on peut aisément imaginer. Si en revanche la procédure est employée pour adoucir ou détourner la règle de l’indissolubilité, elle fait violence tant à la doctrine véritable de l’Eglise en matière d’indissolubilité qu’aux personnes dont des années de vie sont niées, comme nulles et non avenues. Sans parler des enfants qui seraient nés du néant.

 

– L’abstinence eucharistique découlant de l’impossibilité de recevoir le sacrement de réconciliation est aussi une violence inouïe faite aux personnes dont il est difficile de mesurer la portée. Cette interdiction, sauf arrangement pastoral plus ou moins clandestin, est parfois pudiquement appelée « jeûne eucharistique ». Mais le jeûne est par nature fait pour être rompu. Or des divorcés-remariés qui n’entendent pas briser leur famille ne pourront jamais rompre le jeûne. Il ne s’agit donc pas d’un jeûne mais de la privation définitive d’une nourriture que nous tenons pour essentielle dans la vie d’un chrétien. Autant le dire clairement.

 

– L’abstention des actes réservés aux époux, ou la vie en « frère et sœur », pour désigner une vie conjugale dépourvue de relations sexuelles, placent les personnes dans une situation pour ainsi dire impossible. Et là encore les formulations font violence tant aux personnes qu’à la vision chrétienne de l’alliance. Les relations sexuelles n’épuisent pas l’alliance, il y a une vie dans l’alliance après les relations sexuelles ou même sans elles. Elles ne sont en aucun cas l’ultime de l’alliance et il y a bien d’autres actes réservés aux époux.

 

Sans parler de l’intimité et de la tendresse au quotidien, l’acte réservé aux époux est d’abord de se regarder comme unique l’un pour l’autre et de se donner l’un à l’autre cette part la plus intime de soi telle que ce don fonde précisément l’unicité de l’alliance et son indissolubilité ontologique.

 

L’expression « vivre en frère et sœur » n’est pas non plus dépourvue d’ambiguïté. En effet pour ceux qui ont ressenti l’appel à vivre quelque chose de cette fraternité, par exemple sous la forme de la vie religieuse, il y a là un idéal de vie qui diffère de la relation d’alliance entre deux personnes.

 

C’est une vocation, non un pis-aller. Et cette vocation consiste précisément à renoncer à ce don le plus intime de soi-même à une personne, à le réserver, afin de vivre quelque chose de l’universalité de l’amour divin. Entre ces deux états de vie, il y a plus qu’une question de relations sexuelles. Il s’agit d’une différence de vocations exprimant chacune, et de façon complémentaire, un aspect de l’amour divin.

 

Pour conclure…

 

C’est dans le fondement même de l’indissolubilité de l’alliance véritable entre deux êtres qu’il faut chercher à résoudre les signes de contradiction entre ce sommet de l’amour humain et ses inévitables et douloureux échecs, et non pas dans la recherche d’un compromis a minima entre deux ordres de réalités qui seraient divergents. Il n’y a pas d’un côté des paroles du Christ qui dessineraient un idéal de l’amour conjugal et de l’autre côté de nécessaires concessions qui risqueraient de trop les relativiser.

 

La voie qui a été explorée vise à considérer dans sa radicalité le caractère indissoluble de l’alliance entre deux êtres et à le reconnaître à la seconde alliance au même titre qu’à la première. La deuxième alliance crée donc une situation définitive qui dépasse tant les deux partenaires que l’Église elle-même. Il ne s’agit nullement de relativiser la valeur unique du mariage sacramentel. Bien au contraire, lorsqu’un avenir se dessine, la tentation est moins forte de vouloir nier le passé.

 

L’expérience humaine atteste qu’il est possible de vivre une seconde alliance dans toute sa fécondité, même après l’échec d’une première. Il importe en conséquence de bien distinguer indissolubilité du lien conjugal et unicité qui ne sont pas synonymes. L’unicité à laquelle aspire l’amour conjugal est signifiée par le sacrement de mariage dont l’indissolubilité n’épuise pas le sens.

 

L’analogie avec la distinction entre infraction instantanée et infraction continue en droit pénal permet d’opérer une distinction essentielle entre deux niveaux de volonté : d’une part l’acte de volonté fondateur de la deuxième alliance (le « oui »), et d’autre part les actes quotidiens de la volonté inhérents à la réussite de toute relation conjugale.

Dès lors, la prise en compte du caractère définitif, indissoluble, d’une alliance véritable, même non sacramentelle, ainsi que la distinction des différents niveaux de volonté, permet de sortir de l’impasse que constitue la qualification de persistance obstinée dans un état de péché pour des couples qui vivent un amour conjugal véritable.

 

Il devient alors possible tant pour les personnes en cause que pour l’Eglise elle-même de porter un regard de vérité, et le cas échéant une parole de pardon, sur un acte (l’engagement dans une seconde alliance) enfermé dans le temps d’un « oui », et cela indépendamment de la persistance de la deuxième alliance. Cette possibilité ouvre la porte à une démarche de réconciliation sacramentelle, selon des modalités à définir, en dépit de la poursuite d’une seconde alliance. Ces modalités qui pourraient prévoir un cheminement, des étapes, devraient évidemment aussi prendre en compte la dimension de réparation autant que cela est possible comme dans toute démarche de réconciliation.

 

Une telle voie ne serait pas de nature à entraîner plus de scandale ou d’incompréhension que les alternatives actuellement offertes aux « divorcés-remariés » qui ont en commun de faire violence tant aux personnes qu’aux fondements même de la foi. Bien au contraire elle ouvrirait grand les portes de la miséricorde de Dieu manifestée sacramentellement, sans faire bien sûr l’économie de l’épreuve de la vérité et sans remettre en cause le caractère unique du sacrement de mariage.

 

 

                   z/ Conférences épiscopales

 

Dans un document publié le 22 décembre 2014, la conférence épiscopale allemande se prononce pour un accès sous condition des divorcés remariés aux sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation. Le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la Conférence des évêques allemands déclare dans un communiqué publié le même jour : « En raison de leur expérience pastorale et sur la base de leur réflexion théologique, [les évêques allemands] plaident pour des solutions différenciées qui répondent à chaque cas de façon équitable et permettent l’admission aux sacrements sous certaines conditions.»

 

 

 

 

 

 

 

III / Quelques pistes de réflexion

 

 

  1. A) L’enseignement du Christ et des apôtres

 

Jésus rappelle avec force le grave devoir de fidélité au regard de l’indissolubilité de l’engagement matrimonial : il est centré sur la personne et non d’abord sur le droit. Il ne s’agit pas non plus d’une nouvelle formulation juridique de la loi mosaïque.

 

L’enseignement des apôtres tient compte des milieux et laisse place à des situation d’exception.

 

  1. B) L’enseignement de l’Église

 

◙ l’Église ne reconnaît pas l’échec en matière de relations conjugales : vous êtes mariés ? Vous êtes condamnés au bonheur !

 

◙ les divorcés remariés sont exclus de la sacramentalité de l’Église. Ils sont souvent considérés comme étant en état de péché grave.

« L’état des divorcés remariés et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Église, signifié et mis en œuvre dans l’Eucharistie » (Benoît XVI).

 

Tension entre :

+ l’exigence de vérité : tout divorce est la sanction d’un échec,

+ et la miséricorde de Jésus qui ne juge pas cet échec.

 

◙ si le remariage peut être légitime dans certains cas où le mariage précédent est vraiment « mort », les exclusions n’ont plus de raison d’être. Oui, mais quand peut-on dire qu’un mariage est « vraiment mort » ?

 

◙ et puis l’Église reconnaît bien la séparation de corps, où la communauté de vie et d’amour a disparu.

 

◙ la théologie identifie le lien entre les époux à celui du Christ et de l’Église, d’après Éphésiens 5 : cela pose question. N’y a-t-il pas moyen de trouver une autre base théologique et scripturaire au mariage ?

 

 

  1. C) Le Droit canonique : la nullité de mariage

 

¤ La nullité de mariage est un procès qui ne prend en considération que les irrégularités au jour du « mariage » et déclare justement qu’il n’y a pas eu mariage, même s’il y a des enfants nés de ce « mariage ».

 

¤ Mais comment déclarer nul, à cause de difficultés rencontrées, un mariage valide à l’origine et qui a parfois été vécu pendant des années comme une vraie communion de vie et d’amour, un vrai bonheur ?

De nombreuses difficultés de couples peuvent survenir après le mariage, sans qu’il soit possible de trouver un vice de forme.

 

¤ Le « droit au mariage » résulte de la confusion entre l’état conjugal et le sacrement de mariage. Si l’on distingue ces deux réalités, on peut préserver l’indissolubilité du mariage sacramentel, tout en gérant l’état conjugal par des dispositions appropriées.

 

¤ Le Droit canon dit que l’état conjugal génère pour les baptisés deux obligations :

* le mariage sacrement pour l’édification du Peuple de Dieu,

* l’éducation chrétienne des enfants.

 

¤ La reconnaissance de nullité du mariage va à l’encontre du respect de la dignité du sacrement de mariage et de la valorisation de l’indissolubilité. En fait, dans un mariage, il y a toujours immaturité et tous les mariages devraient être nuls !

 

D’ailleurs, le cardinal Kasper pense que chercher la solution du problème dans un élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une erreur.

 

 

  1. D) Le Droit pénal : l’infraction (Vesco)

 

► les divorcés remariés sont confrontés à un dilemme impossible : ou bien rompre avec leur second conjoint ou bien vivre en « frère et sœur »

 

► quant à l’infraction (violation d’une loi), le droit pénal distingue :

* l’infraction instantanée ex : meurtre = irréversible

* l’infraction continue     ex : vol avec recel (cacher une chose volée) = possible restitution, qui repose sur la volonté.

Si le lien est rompu pour nouer une seconde alliance, il y a infraction instantanée.

Si le lien est rompu sans volonté de nouer un autre lien, il y a infraction continue.

 

► l’Église assimile la seconde union à une infraction continue, que l’on peut interrompre à tout moment. Mais en fait, la seconde union est plutôt une infraction instantanée, le passage d’une situation de mort à une situation de vie.

 

► une pastorale de la réconciliation suppose un pardon pour l’échec, et un « oui » pour la seconde union.

► ce n’est pas le sacrement de mariage qui rend indissoluble l’union des deux personnes, c’est l’indissolubilité de tout amour humain véritable qui rend possible le sacrement de mariage.

 

► l’Église reconnaît le caractère indissoluble de l’alliance entre l’homme et la femme. Donc, la seconde alliance, scellée au civil, ne peut être dissoute par un simple acte de volonté – pas plus que la première.

 

► il faut distinguer l’indissolubilité et l’unicité.

L’unicité, liée à l’image de l’amour du Christ pour l’Église signifiée par le sacrement de mariage, est non réitérable, d’où le non accès au sacrement de réconciliation.

Cela revient à considérer le second « oui » comme une faute impardonnable, situation à laquelle l’Église ne peut se résoudre.

 

► il faut distinguer :

* le consentement du « oui » initial qui fonde la relation conjugale,

* et les actes de volonté quotidiens qui vont épanouir cette alliance.

 

  1. cette distinction permet de prononce rune parole de vérité, et éventuellement de réconciliation sacramentelle sur une action passée, qui a des conséquences dans le présent et dans l’avenir. La première conséquence est de porter un regard apaisé sur ce qui a été, ce qui évite de considérer la rupture d’alliance sacramentelle comme irrémissible.

 

Un meurtrier repenti peut être sacramentellement réconcilié. Pourtant son acte emporte également des conséquences irréparables et définitives qui se prolongent dans le temps ne serait-ce que dans le cœur des proches de la victime.

Mais le meurtre est à juste titre traité comme une infraction instantanée car aucun retour en arrière n’est possible.

Le meurtrier peut donc bénéficier d’un pardon que l’on refuse à une personne engagée dans une seconde alliance tacitement assimilée à une infraction continue.

Mais s’il est posé qu’une seconde alliance crée une situation de vie tout aussi définitive que le meurtre crée une situation définitive de mort, on voit difficilement pourquoi une réconciliation sacramentelle pourrait être accordée à l’un et refusée à l’autre.

 

  1. cette distinction permet de distinguer chaque cas particulier qui nécessite un discernement et une recherche de vérité spécifiques : tenter de « refaire sa vie » après un deuil douloureux est différent de casser une alliance et partir avec l’un des morceaux, soi-même.

L’alliance véritable entre un homme et une femme tire sa grandeur de sa fragilité, et innombrables sont les causes de rupture.

 

  1. cette distinction permet de ne pas réduire au seul remariage la question de l’indissolubilité, mais de porter un regard sur la rupture du premier lien.

Le remariage ne dispense pas le conjoint du premier mariage :

○ d’assumer ses responsabilités,

○ de faire la vérité sur des actes qui peuvent nécessiter des regrets,

○ de demander pardon à son premier conjoint,

○ de demander la réconciliation sacramentelle

 

► paradoxalement, si l’on reste séparés alors que rien n’empêche la reconstitution de l’alliance conjugale, on est en état de péché, qui fait obstacle à la réception du sacrement de réconciliation.

 

► une nécessaire pastorale de la réconciliation ne remet pas en cause l’affirmation du caractère indissoluble du mariage.

 

le recours à la déclaration en nullité du premier mariage,

► trois formes de violence    l’abstinence eucharistique,

l’abstention des actes réservés aux époux « frère et sœur ».

 

Sans parler de l’intimité et de la tendresse au quotidien, l’acte réservé aux époux est d’abord de se regarder comme unique l’un pour l’autre et de se donner l’un à l’autre cette part la plus intime de soi telle que ce don fonde précisément l’unicité de l’alliance et son indissolubilité ontologique.

 

► l’expression « vivre en frère et sœur » n’est pas non plus dépourvue d’ambiguïté. En effet pour ceux qui ont ressenti l’appel à vivre quelque chose de cette fraternité, par exemple sous la forme de la vie religieuse, il y a là un idéal de vie qui diffère de la relation d’alliance entre deux personnes.

 

C’est une vocation, non un pis-aller. Et cette vocation consiste précisément à renoncer à ce don le plus intime de soi-même à une personne, à le réserver, afin de vivre quelque chose de l’universalité de l’amour divin. Entre ces deux états de vie, il y a plus qu’une question de relations sexuelles. Il s’agit d’une différence de vocations exprimant chacune, et de façon complémentaire, un aspect de l’amour divin.

 

 

  1. E) Attitudes de l’Église

 

  1. a) Reconnaît-elle la répugnance qu’ont parfois les époux à venir étaler leurs difficultés conjugales devant un tribunal ecclésiastique ?
  2. b) Peut-elle discerner convenablement quand un mariage est véritablement et irrémédiablement « mort » et quand un remariage peut être légitime ?
  3. c) Peut-on laisser aux personnes concernées le soin de juger si leur mariage est irrémédiablement « mort », et s’il leur est légitime, devant Dieu, de contracter un nouvel engagement ?
  4. d) Le remariage peut-il avoir un statut sacramentel ?

– si le remariage est légitime, il doit être reconnu de plein droit par l’Église.

– si le sacrement est très important pour ceux qui s’engagent dans le mariage, il l’est tout autant pour ceux qui s’engagent dans le remariage,

– l’attitude plénière d’accueil dans l’Église de ceux qui ont vécu une première épreuve difficile est incompatible avec une exclusion du sacrement par lequel l’Église veut justement que se sanctifient ceux qui s’engagent dans le mariage.

  1. e) Comment la religion de la miséricorde peut-elle tolérer de refuser l’accès au sacrement de pénitence et de la miséricorde de Dieu ?
  2. f) Comment une démarche d’amour sincère peut-elle être condamnée de façon irrémédiable dans une religion de l’Amour ?
  3. g) Pourquoi les divorcés remariés sont-ils exclus de la sacramentalité de l’Église, alors qu’ils ne sont pas exclus de l’Église ?
  4. h) Pourquoi les classer dans une catégorie « état peccamineux » en contradiction avec la communion eucharistique, et non de voir la conscience personnelle des personnes ?
  5. i) Surévaluation : le sacrement de mariage n’est pas LE sacrement de l’Alliance à l’égal de l’Eucharistie.

 

 

  1. F) La conscience personnelle

 

* L’Église ne peut attenter à la conscience individuelle.

 

* Faire appel au principe de la conscience personnelle suppose :

 

une conscience éclairée (culture, valeurs…),

une reconnaissance des fautes,

une besoin de l’Eucharistie.

 

* la personne humaine a droit à la liberté religieuse : nul ne peut être forcé d’agir contrer sa conscience.

 

* il y a une vérité objective (la personne du Christ : Je suis la vérité) et des consciences subjectives, autant que de personnes. Ceci va contre :

– le subjectivisme : à chacun sa vérité, c’est la sincérité qui compte,

– l’autoritarisme : la vérité doit obliger tout le monde, car l’erreur n’a aucun droit. Les conceptions autoritaires de la foi et de la vérité ont toujours tendance à réduire la foi et la morale à un système de défense.

 

* la conscience est la messagère de Celui qui, dans le monde de la nature comme dans celui de la grâce, nous parle à travers le voile, nous instruit et nous gouverne (Newman).

 

« Si l’Église te dit quelque chose et ta conscience te dit l’inverse, suis ta conscience tout en veillant à l’éclairer par l’enseignement de l’Église. C’est à toi que revient en conscience la décision. »(Gilbert) saint Thomas d’Aquin

 

* les divorcés remariés sont entrés par le baptême dans l’Église et dans la vie de Dieu. Mais l’eucharistie n’est pas pour eux (ni pour personne) un droit (ni une consommation).

 

* demander aux divorcés remariés de vivre comme « frère et sœur » pour pouvoir communier, cela n’a pas de sens :

– car comment vérifier qu’ils n’ont pas de relations sexuelles, dans la tendresse de leur intimité charnelle ? L’Église serait-elle comme un flic ?

– car cela souligne un certain mépris de la sexualité, qui est une tendance de l’Église hiérarchique. Ce qui est beau dans le mariage ne saurait être vécu par des divorcés remariés.

 

* en redécouvrant le mystère du sacrifice eucharistique, les « blessés de l’Alliance » y participent, mais à leur juste place. Ils nous réapprennent et nous révèlent ce que doit être la vraie communion eucharistique, vraie communion au Christ. Ils nous aident ainsi à comprendre la distinction entre la communion au Corps du Christ et la participation au sacrifice eucharistique.

 

 

  1. G) Mariage orthodoxe et principe de miséricorde

 

Chez les Orthodoxes :

* l’homme et la femme s’arrachent à leur lignée pour aller l’un vers l’autre et devenir une seule chair, un seul être.

* le mariage est le sacrement de l’amour ; il est indissoluble parce qu’il est saint.

* la sexualité perd son autonomie et devient langage dans la rencontre fidèle de deux personnes.

* le thème du péché originel lié à la sexualité est étranger à l’Orient chrétien.

* l’homme ne naît pas coupable, il naît pour mourir : c’est cette finitude close qui, barrant l’instinct d’éternité de l’image de Dieu en lui, suscite des conduites de fuite et des déviances.

* dans le Christ, l’homme renaît pour vivre à jamais : le mariage est une immense bénédiction de la vie.

* l’union conjugale de deux personnes devient une union divine : d’où le caractère de mystère que l’Église confère au sacrement. Il concerne le Christ et l’Église.

* un vrai mariage chrétien ne peut être qu’unique, « parce que c’est un mystère du Royaume de Dieu qui introduit l’homme dans la joie et l’amour éternels » (Meyendorff). L’homme, dépendant de la faiblesse et du péché de l’existence humaine, est convié à être un collaborateur de Dieu.

* finalité du mariage : d’abord l’amour mutuel, la communauté, et l’aide que s’apportent les conjoints dans la perspective de leur croissance dans le Christ. Ensuite maîtrise de la pulsion sexuelle, et procréation.

* la communauté conjugale a un caractère ecclésial : « la petite Église ». Les noces de Cana sont les noces des époux avec Jésus. Le mariage est une icône mystérieuse de l’Église.

 

* l’Eglise orthodoxe peut admettre le divorce et le remariage, sur la base d’une interprétation de ce que le Seigneur dit en Mt.,19,9: « Si quelqu’un répudie sa femme – sauf en cas d’union illégale – et en épouse une autre, il est adultère« . Selon l’évêque Kallistos Ware, le divorce est une attitude d' »économie » ou de « philanthropie » de l’Eglise envers un pécheur. « Puisque le Christ, selon le récit de Matthieu, a permis une exception à sa règle générale sur l’indissolubilité du mariage, l’Eglise orthodoxe peut consentir à des exceptions« .

La question qu’on peut se poser est celle de savoir si le Christ a considéré le mariage comme « indissoluble ». Sur ce point, il faut être très clair, car lorsqu’il enseigne que le mariage ne peut pas être dissous (donc ce n’est pas permis), cela ne veut pas dire que cela ne peut pas arriver (ce n’est donc pas exclus). La plénitude de la communauté conjugale peut être atteinte par le comportement erroné de l’être humain.

En d’autres termes, c’est la transgression qui rompt le lien. Le divorce n’est que le résultat d’une rupture.

 

*la dissolution d’un mariage ne crée pas ipso facto le droit de contracter un autre mariage. Si nous nous reportons à l’époque de l’Eglise primitive, celle des premiers siècles, il nous faut observer que l’Eglise n’avait aucune compétence juridique par rapport aux mariages, et qu’elle ne s’est donc jamais exprimée sur la validité de ceux-ci.

 

*Et pourtant le droit canonique orthodoxe permet, au nom de « l’économie », un deuxième et même un troisième mariage, mais interdit strictement un quatrième. En principe, le divorce n’est reconnu qu’en cas d’adultère, mais pratiquement il l’est aussi pour d’autres raisons. Il existe une liste de motifs de divorce, admis par l’Eglise orthodoxe. Dans la pratique les évêques appliquent à l’occasion l' »économie » avec libéralité. Pourtant, le divorce et le remariage ne sont tolérés qu’au nom de l’économie », c’est-à-dire par souci pastoral, par compréhension de la faiblesse humaine. Un deuxième ou un troisième mariage sera donc toujours une déviation par rapport à l' »idéal d’un mariage unique« , souvent une nouvelle chance pour « corriger une faute« .

 

* D’après le droit canonique de l’Eglise orthodoxe, l’économie est « la suspension d’une application absolue et stricte des directives canoniques et ecclésiastiques dans la direction et dans la vie de l’Eglise, sans que soient compromises pour autant les limites imposées par le droit. La mise en œuvre de l’économie n’est réalisée que par l’autorité ecclésiastique compétente et ne vaut que pour des cas concrets ».

 

*Un « canon » est une « règle » ou un « fil conducteur » pour la liturgie, les sacrements et la direction de l’Eglise. Il y a des canons définis par les Apôtres, par les Pères de l’Eglise, ou par des conciles locaux ou oecuméniques. Seul l’évêque, tête de l’Eglise locale, peut les adapter. Il peut les appliquer de manière stricte (« acrivia« ) ou souple (« économie »), mais la « précision » (acrivia) reste la norme. Une fois que la circonstance particulière est passée, qui a suscité un jugement indulgent et accommodant dans un cas bien précis, l' »akrivia » reprend toute sa force. Il ne peut se faire que l’économie, qui était nécessaire dans une situation concrète, puisse devenir un exemple attirant et, par la suite, être érigée en règle. Pour l’Eglise orthodoxe, l’économie est un concept qui ne peut être comparé à la « dispense » dans l’Eglise catholique romaine. La dispense est une exception dûment prévue, qui est considérée comme normative en marge de la règle juridique.

 

*En fait, l’économie se base sur la recommandation faite par le Christ à ses apôtres : « Recevez l’Esprit Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn, 20 22s).

C’est le cas lorsque une vie conjugale humaine devient impossible en raison du dépérissement spirituel de l’amour.

C’est alors que l’Eglise, Corps du Christ, peut appliquer l’économie, en raison de sa compréhension et de sa compassion, ainsi que par souci pastoral, en particulier « en admettant un divorce et en n’excluant pas des fidèles pécheurs et faibles, ne les privant pas de la miséricorde et de la grâce de Dieu« .

Le but de l’économie est très précisément d’empêcher qu’une personne fragile soit définitivement exclue de la communion ecclésiale, à l’exemple du Christ, toujours prompt à sauver celui qui est perdu.

 

* le Bon Pasteur n’hésite pas à partir à la recherche de la brebis perdue.

A l’égard des divorcés, il est clair que chaque chrétien doit témoigner d’un amour discret. Ceci se situe dans le prolongement de ce que S. Jean Chrysostome a appelé « le sacrement du frère« . Il faut en tout cas éviter de juger ou de condamner son frère ou sa soeur.

 

* Häring : il y a mort morale quand le mariage en question ne laisse plus rien apparaître du caractère salvifique qu’il devrait avoir ; plus encore, quand la vie commune peut être préjudiciable au salut et à l’intégrité de l’un des conjoints. (…)

La mort morale n’est diagnostiquée – dans la perspective économique – que lorsqu’il n’est plus possible d’espérer, au vu de la réalité, un nouveau réveil de ce mariage sur le plan économique salvifique.

Dans cette perspective, on n’imagine donc pas l’hypothèse d’un second mariage à la hâte. On demande un temps de recueillement, un intervalle pour guérir les blessures ».

Un temps de deuil et de pénitence est donc requis.

Jean Meyendorff, théologien orthodoxe, précise que depuis saint Basile le Grand (mort en 379), « les personnes qui contractent un second mariage, après veuvage ou divorce, doivent subir une pénitence, c’est-à-dire s’abstenir de la communion pendant un ou deux ans. »

Häring fait remarquer « la dimension thérapeutique de la spiritualité de l’Eglise orientale : « Qui a perdu son conjoint par mort morale a besoin d’une plus grande compassion, et cette compassion ne doit pas dispenser d’aider éventuellement la personne concernée à reconnaître, face à soi-même et à Dieu, un manque personnel dont il faudrait tirer des leçons. »

 

En tant que sacrement, le mariage n’est pas un acte magique, mais un don de la grâce.

Les partenaires, étant des êtres humains, peuvent avoir fait une erreur en sollicitant la grâce du mariage, alors qu’ils n’étaient pas prêts pour la recevoir ; ou bien ils peuvent être incapables de faire fructifier cette grâce.

Dans ces cas, l’Eglise peut admettre que la grâce n’a pas été « reçue », accepter la séparation et permettre le remariage.

Mais, bien évidemment, elle n’encourage jamais les remariages à cause du caractère éternel du lien matrimonial ; mais elle les tolère seulement lorsque, dans des cas concrets, ils apparaissent comme la meilleure solution pour un individu donné. » Ces remariages ne sont pas sacramentels, comme l’explique également Olivier Clément dans le livre d’Armand Le Bourgeois.

 

La bénédiction du second mariage dans l’esprit de l’oikonomia

 

  1. Häring : « Cette seconde bénédiction n’est pas comme la première une cérémonie entièrement dominée par la joie des noces, elle commence un peu comme une cérémonie pénitentielle en rappelant avec peine l’échec du premier mariage.

L’accent retombe alors sur la magnanimité de Dieu et sa miséricorde.

Evidemment, on n’insiste pas sur un droit, mais sur le fait qu’il faut rendre grâce à Dieu pour sa bonté et l’économie salvifique qui ne veut que le salut et le bien de l’homme.

Et on prie explicitement pour le don de la paix qui vient d’en haut. »

 

Rituel : « la longue ‘prière des anneaux’ est remplacée par une prière de supplication pénitentielle demandant ‘l’oubli des transgressions’, la purification, le pardon.

Les personnages bibliques mentionnés ne sont pas les couples pleins de gloire de l’Ancien Testament, mais Rahab, la prostituée (Josué 2, 1-24, Hébreux 11, 31 et Jacques 2, 25), le Pharisien et le Publicain (Luc 18, 10-14) et le Bon Larron (Luc 23, 40-43) : tous trois reçoivent de Dieu le pardon à cause de leur foi et de leur repentir.

Une deuxième prière indique que les fiancés ont été ‘incapables de supporter la chaleur du jour et le désir brûlant de la chair’ et que, pour cette raison, ils ont décidé d’accepter ‘le lien d’un second mariage’.

Sans procession vers le centre de l’église (donc sans Eucharistie), ni nouveau commencement, le couronnement est alors accompli et ne comporte que la troisième et très courte prière de l’ordo normal. »

 

Conclusion

 

L’Eglise orthodoxe, au nom du principe de l’oikonomia, selon lequel la miséricorde prime sur la rigueur en vue du salut des personnes, tolère une deuxième ou une troisième union, lorsque le précédent mariage est en quelque sorte « mort » moralement.

Sans encourager la nouvelle union, elle l’accepte et la bénit, au cours d’un rite spécifique, à la tonalité fortement pénitentielle.

 

En ce qui concerne le point de vue orthodoxe dans la problématique complexe du divorce et d’un éventuel remariage, il faut dire que tout cela est imprégné de sagesse. Elle souligne la valeur prioritaire du mariage chrétien durable et unique. Ce qui ne signifie pas que cette durabilité doive être vue en toutes circonstances comme le simple respect d’une décision juridique. L’Eglise orthodoxe ne veut pas fermer impitoyablement la porte de la miséricorde, mais elle reste néanmoins fidèle à l’enseignement du Nouveau Testament.

 

 

  1. H) L’accompagnement des « blessés de l’Alliance »

 

  1. a) Ces couples témoignent :

 

+ ils sont appelés à vivre dans l’Église où ils ont leur place ; ils ne sont pas excommuniés même s’ils ont une participation incomplète à la vie de l’Église.

+ ils peuvent et doivent s’ouvrir à la Parole de Dieu qui structure toute vie chrétienne.

+ ils vivent un réel engagement dans la foi, après l’épreuve et la souffrance.

+ ils sont témoins de la miséricorde de Dieu : leur mission est de montrer que rien n’est perdu, et que l’on peut recommencer même si l’on est allé très bas – ce qui est le propre du christianisme.

+ ils sont appelés à vivre leur état particulier comme un chemin de sainteté en lien avec la communauté ecclésiale, où la grâce de Dieu est présente ; elle n’est pas reçue uniquement dans les sacrements.

+ ils prennent part activement à toutes les formes d’expressions liturgiques (lecture de la Parole, animation de chants) et à toutes les assemblées de prière.

 

  1. b) Ces couples sont appelés à se convertir et à nous convertir :

 

                   □ rien ne peut se faire que dans la durée et à travers un accompagnement de la communauté elle-même qui permettra aux divorcés remariés de découvrir une nouvelle relation à Dieu, reposant sur la prière, sur l’Écriture, la Tradition et le Magistère.

                   □ par la reconnaissance de leur transgression, des torts causés à l’époux(se) et aux enfants, par la réparation si possible, par la réconciliation avec l’ancien conjoint, par l’acceptation de la permanence mystérieuse du premier lien, ils affirment leur désir de vivre le lien présent à la lumière de l’Évangile.

                  □ parce que le désir de communion est au fond le désir de tout homme, cette nouvelle relation à Dieu leur permet de retrouver la guérison et la paix avec l’Église.

 

  1. c) Ces couples nous montrent

 

÷ qu’il s’agit d’accueillir doucement une lumière qui vient d’ailleurs que de soi-même.

÷ que vivre cela permet finalement de rentrer plus profondément dans l’amour de Dieu.

÷ que le chemin de reconnaissance du péché est un chemin de joie, et c’est bien cela auquel on ne s’attend pas au départ !

÷ qu’il y a une communion possible au Christ sans eucharistie, il y a un pardon possible sans absolution.

÷ que l’opposition du Magistère à l’approche des sacrements relève de la morale sexuelle. mais tous les actes sexuels ne sont pas à mettre sur le même registre.

÷ qu’il est possible de se tromper, on a droit à l’erreur, et parfois, il vaut mieux se séparer que de se faire souffrir mutuellement.

÷ que communier est un don immense que Dieu nous fait.

÷ que le mariage chrétien est une vocation, une consécration, une mission qui nécessite donc une longue préparation.

÷ qu’ils vivent au plus profond d’une présence intérieure où Dieu les rejoint incontestablement et c’est là qu’ils témoignent de leur chemin de foi et y progressent (Longeat).

 

  1. d) Accueil de ces couples

 

~ cesser toute discrimination dans la participation aux services d’Église (ex. préparation au mariage),

période pénitentielle

~ ré-accès officiel aux sacrements après        accompagnement et discernement

autorisation état conjugal avec le nouveau conjoint

 

~ mais il ne faut pas que l’accès à la communion soit perçu comme une reconnaissance de la seconde union.

 

~ la miséricorde doit rejoindre les personnes en souffrance aux racines mêmes de leur souffrance : « Que veux-tu que je passe pour toi ? »

 

  1. e) Améliorer la préparation au mariage

 

– comment la préparation au mariage peut-elle développer in extenso toutes les exigences liées à la contraction du mariage ?

– et les fiancés peuvent-ils les entendre et les accepter ?

– les divorcés remariés, quant à eux, pourraient apporter un témoignage irremplaçable, en particulier sur la nécessité de dialogue dans le couple, la confiance redonnée, etc…

 

– les fiancés sont rarement conscients de tout ce qu’ils engagent dans le sacrement de mariage (immaturité) et ensuite l’Église leur oppose la profondeur de ce qu’ils ont engagé.

– les échecs font partie de la vie, même si le droit de l’Église ne le reconnaît pas.

 

  1. f) Catéchuménat du remariage

 

□ chemin de discernement et d’accompagnement ecclésial sur une durée significative et adaptée à chaque situation, qui ouvrirait au sacrement de réconciliation puis à l’eucharistie.

□ nouvelle union, remariage mais pas sacramentel.

□ accompagnement dans la durée.

DIVORCÉS REMARIÉS
Mars 2015

Dans l’Église catholique romaine, la question des divorcés-remariés désigne l’interdiction faite aux couples ayant reçu le sacrement de mariage puis vécu une rupture conjugale et vivant avec un nouveau conjoint de recevoir la communion eucharistique. Cette position est l’objet de critiques.

I/ La position traditionnelle du magistère

A) Exposé des motifs

L’Église catholique s’oppose à la communion eucharistique des divorcés remariés au nom de la contradiction entre le statut des divorcés remariés et l’alliance irrévocable conclue par le Christ avec son Église, dont l’Eucharistie est le signe.
Pour l’Église catholique, le lien sacré créé par le sacrement de mariage n’est pas rompu dans un divorce. Le divorce est la dissolution du seul mariage civil. En conséquence, un remariage religieux est impossible.
Ceux qui, étant divorcés, ne concluent pas un deuxième mariage civil, ont accès à tous les sacrements de l’Église et peuvent donc communier. En revanche, les personnes qui se remarient civilement ne peuvent recevoir la communion eucharistique1, tout en restant membres à part entière de l’Église2. Contrairement à une erreur courante, les divorcés-remariés ne sont notamment pas frappés d’excommunication.

B) Déclarations magistérielles

α) Familiaris Consortio 1981 Jean-Paul II

Dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, le magistère rappelle l’indissolubilité du mariage chrétien :
20. La communion conjugale se caractérise non seulement par son unité, mais encore par son indissolubilité: «Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité». C’est un devoir fondamental pour l’Église d’affirmer encore et avec force – comme l’ont fait les Pères du Synode – la doctrine de l’indissolubilité du mariage: à ceux qui, de nos jours, pensent qu’il est difficile, voire impossible, de se lier à quelqu’un pour la vie, à ceux encore qui sont entraînés par une culture qui refuse l’indissolubilité du mariage et qui méprise même ouvertement l’engagement des époux à la fidélité, il faut redire l’annonce joyeuse du caractère définitif de cet amour conjugal, qui trouve en Jésus-Christ son fondement et sa force.

Il précise pourquoi les divorcés remariés ne peuvent recevoir le sacrement eucharistique (communion) :

84. (…) L’Église, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l’Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d’y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier: si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage.

Jean-Paul II interdit aux prêtres d’autoriser ou de célébrer toute cérémonie à cette occasion :

84. (…) De la même manière, le respect dû au sacrement de mariage, aux conjoints eux-mêmes et à leurs proches, et aussi à la communauté des fidèles, interdit à tous les pasteurs, pour quelque motif ou sous quelque prétexte que ce soit, même d’ordre pastoral, de célébrer, en faveur de divorcés qui se remarient, des cérémonies d’aucune sorte. Elles donneraient en effet l’impression d’une célébration sacramentelle de nouvelles noces valides, et induiraient donc en erreur à propos de l’indissolubilité du mariage contracté validement.
β) Le Catéchisme de l’Église catholique 1992

1650. L’Église… ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le premier mariage l’était.
Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. Dès lors, ils ne peuvent accéder à la communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation…
La réconciliation par le sacrement de Pénitence ne peut être accordée qu’à ceux qui se sont repentis d’avoir violé le signe de l’alliance et de la fidélité au Christ, et se sont engagés à vivre dans une continence complète.
γ) Sacramentum Caritatis 2007

Dans l’exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, le magistère exprime sa position à cet égard :
Le Synode des Évêques a confirmé la pratique de l’Église, fondée sur la Sainte Écriture (cf. Mc 10, 2-12), de ne pas admettre aux sacrements les divorcés remariés, parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Église, qui est signifiée et mise en œuvre dans l’Eucharistie.
Toutefois, les divorcés remariés, malgré leur situation, continuent d’appartenir à l’Église, qui les suit avec une attention spéciale, désirant qu’ils développent, autant que possible, un style de vie chrétien, par la participation à la Messe, mais sans recevoir la Communion, par l’écoute de la Parole de Dieu, par l’adoration eucharistique et la prière, par la participation à la vie de la communauté, par le dialogue confiant avec un prêtre ou un guide spirituel, par le dévouement à la charité vécue et les œuvres de pénitence, par l’engagement dans l’éducation de leurs enfants ».
δ) Benoît XVI 1972 – 2014

Dans un article publié en 1972, Joseph Ratzinger, alors professeur de théologie à l’Université de Ratisbonne, prend position en faveur de l’admission à la communion des divorcés remariés dans certains cas. Il invoque deux arguments.
– D’abord l’imperfection des procès de reconnaissance en nullité qui limitent les questions à ce qui est juridiquement démontrable au risque de « négliger des faits décisifs ».
– Ensuite la notion d’indulgence développée par Basile de Césarée.

« Là où une première union conjugale se trouve rompue depuis longtemps et d’une manière irréversible pour les deux parties ;
Là où, en revanche, une seconde union contractée ultérieurement a fait ses preuves sur une période assez longue comme une réalité justifiable moralement et a été remplie d’un esprit de foi, spécialement aussi à propos de l’éducation des enfants,
On devrait, en recourant à une procédure extra-juridique et en vertu du témoignage du curé et des membres de la communauté paroissiale, permettre à ceux qui vivent ainsi dans une seconde union de recevoir la communion. Une telle réglementation me semble être justifiée au nom de la tradition. »

Selon le futur pape, il devrait être possible de permettre l’accès à la communion de personnes dont la première union « se trouve rompue depuis longtemps et d’une manière irréversible », et dont la seconde union « contractée ultérieurement a fait ses preuves sur une période assez longue comme une réalité justifiable moralement et a été remplie d’un esprit de foi ».

Le cardinal Ratzinger adresse une lettre aux évêques le 14 septembre 1994, dans laquelle il réfute expressément les thèses favorables à l’accès des divorcés remariés à la communion, thèses soutenues plus tard, entre autres, par le cardinal Kasper.

« Face aux nouvelles solutions pastorales… cette Congrégation juge donc qu’elle a le devoir de rappeler la doctrine et la discipline de l’Église à ce sujet. Celle-ci, fidèle à la parole de Jésus-Christ, affirme qu’elle ne peut reconnaître comme valide une nouvelle union, si le mariage précédent l’était. Si les divorcés se sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu et, dès lors, ils ne peuvent pas accéder la Communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation ». Et le cardinal poursuit : « Ceci ne signifie pas que l’Église n’ait pas à cœur la situation de ces fidèles, qui, du reste, ne sont en rien exclus de la communion ecclésiale. Elle se préoccupe de les accompagner pastoralement et de les inviter à participer à la vie ecclésiale dans la mesure où cela est compatible avec les dispositions du droit divin, dont l’Église ne dispose d’aucun pouvoir de dispense. »

Cette dernière phrase est assez délicate à interpréter. Certains y verront, par exemple, une invitation à interdire à une femme divorcée remariée de faire une lecture à la messe. D’autres, au contraire, n’hésiteront pas à le proposer, ne voyant en cela aucun problème de compatibilité avec « le droit divin ». Interprétation floue qui ne peut que renforcer le malaise ambiant.

Le cardinal Ratzinger a rédigé aussi en 1998, alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, un article publié dans l’Osservatore Romano, où il ouvre deux pistes :

1. « La première est le possible accroissement des reconnaissances canoniques de la nullité des mariages célébrés ‘sans foi’ par au moins l’un des deux époux, même s’il est baptisé.
2. La seconde est le possible recours à une décision ‘au for interne’, de la part d’un catholique divorcé et remarié, d’accéder à la communion au cas où la non-reconnaissance de la nullité de son précédent mariage (en raison d’un jugement considéré comme erroné ou de l’impossibilité d’en prouver la nullité par voie de procédure) serait en opposition avec sa ferme conviction en conscience que ce mariage était objectivement nul ».

Dans l’exhortation apostolique sur l’Eucharistie, parue en février 2007, Benoît XVI souligne que les divorcés remariés n’ont pas accès à l’Eucharistie « parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Eglise, signifié et mis en œuvre dans l’Eucharistie ».
Cependant, en 2014, Benoît XVI, devenu pape émérite, réécrit ces lignes dans le cadre de leur publication au t. 9 de ses Œuvres complètes qui paraissent en allemand chez l’éditeur Herder. L’idée d’une admission possible des divorcés remariés à la communion disparaît.
Selon Benoît XVI, il faut prendre en considération la difficile relation de nos sociétés contemporaines à la notion de fidélité. Il faut également approfondir la question de la foi des époux au moment du mariage.
Benoît XVI estime néanmoins possible que, tout en étant exclus de la communion, les divorcés remariés puissent s’engager dans les associations ecclésiales et être parrain ou marraine.

La « retractatio » de Benoît XVI – la nouvelle conclusion de l’article de 1972, rédigée en 2014 – mérite d’être lue. En voici un extrait :
« De tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant il résulte d’une part que l’Église d’Occident – l’Église catholique – sous la conduite du successeur de Pierre, sait qu’elle est étroitement liée à ce que le Seigneur a dit à propos de l’indissolubilité du mariage, mais d’autre part qu’elle a également cherché à discerner quelles étaient les limites de cette indication afin de ne pas imposer aux gens plus de contraintes que nécessaire.

C’est ainsi que, en partant de la suggestion faite par l’apôtre Paul et en s’appuyant en même temps sur l’autorité du ministère pétrinien, elle a en outre élaboré, pour les mariages non sacramentels, la possibilité de divorcer pour le bien de la foi [ndlt : lire le texte complet pour bien saisir cet aspect]. De la même manière, elle a examiné sous tous les aspects la question de la nullité d’un mariage.

L’exhortation apostolique « Familiaris consortio » de Jean-Paul II, publiée en 1981, a franchi un pas supplémentaire. Il est écrit, au numéro 84 : « Avec le Synode, j’exhorte chaleureusement les pasteurs et toute la communauté des fidèles à aider les divorcés en faisant en sorte, avec une grande charité, qu’ils ne se sentent pas séparés de l’Église […]. Que l’Église prie pour eux, qu’elle les encourage et se montre à leur égard une mère miséricordieuse et qu’ainsi elle les soutienne dans la foi et dans l’espérance ».

C’est ainsi qu’une mission importante est attribuée à la pastorale, mission qui n’a peut-être pas encore été suffisamment transposée dans la vie quotidienne de l’Église. Certains détails sont indiqués dans l’exhortation elle-même. Il y est dit que ces personnes, dans la mesure où elles sont baptisées, peuvent participer à la vie de l’Église et même qu’elles ont le devoir de le faire. Une liste des activités chrétiennes qui leur sont ouvertes et nécessaires est donnée. Peut-être, cependant, faudrait-il souligner avec davantage de clarté ce que peuvent faire leurs pasteurs et leurs frères dans la foi afin que ces personnes puissent ressentir véritablement l’amour de l’Église. Je pense qu’il faudrait leur reconnaître la possibilité de s’engager dans les associations ecclésiales et également celle d’accepter d’être parrain ou marraine, ce que le droit ne prévoit pas pour le moment.

Il y a un autre point de vue qui s’impose à moi. Si l’impossibilité de recevoir la sainte eucharistie est perçue comme tellement douloureuse, c’est notamment parce que, de nos jours, presque toutes les personnes qui participent à la messe s’approchent aussi de la table du Seigneur. Ce qui fait que ceux qui sont frappés par cette impossibilité apparaissent également comme étant publiquement disqualifiés en tant que chrétiens.

Je pense que l’avertissement que nous lance saint Paul, quand il nous invite à nous examiner nous-mêmes et à réfléchir au fait qu’il s’agit ici du Corps du Seigneur, devrait être de nouveau pris au sérieux : « Que chacun, donc, s’éprouve soi-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 28 s.).
Un sérieux examen de soi, qui peut même conduire à renoncer à la communion, nous ferait en outre sentir d’une manière nouvelle la grandeur du don de l’eucharistie et il représenterait en même temps une forme de solidarité avec les divorcés remariés.

Je voudrais ajouter à cela une autre suggestion pratique. Dans beaucoup de pays on a vu s’installer la coutume selon laquelle les personnes qui ne peuvent pas recevoir la communion (par exemple celles qui appartiennent à d’autres confessions) s’approchent de l’autel, mais en gardant les mains sur la poitrine. Elles font comprendre, par ce comportement, qu’elles ne reçoivent pas le saint sacrement, mais qu’elles demandent une bénédiction, qui leur est donnée en tant que signe de l’amour du Christ et de l’Église. Il est certain que cette forme pourrait être également choisie par les personnes qui vivent un second mariage et qui, par conséquent, ne sont pas admises à la table du Seigneur. Le fait que cela rende possible une communion spirituelle intense avec le Seigneur, avec tout son Corps, avec l’Église, pourrait être pour elles une expérience spirituelle qui leur donnerait de la force et les aiderait. »
ε) Le cardinal Gerhard Müller 2013

Dans un texte intitulé « La force de la grâce » et publié dans l’Osservatore Romano le 22 octobre 2013, le cardinal Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, affirme que l’admission à l’Eucharistie ne peut être accordée aux divorcés remariés. Il soutient que l’argument de la miséricorde est insuffisant, dans la mesure où il entraîne « un risque de la banalisation de l’image de Dieu ».

Cet article aurait même été publié «visiblement avec l’approbation du pape» et signifierait clairement un «gel des espoirs de changement» : «Que la « miséricorde » prêchée par le pape Jorge Mario Bergoglio prélude à une suppression de l’interdiction qui leur est faite de communier, comme beaucoup d’observateurs l’avaient déduit, c’est désormais à exclure.»

C’est le rôle de Mgr Gerhard Müller d’être le garant de la doctrine de l’Eglise, donc de ne pas anticiper sur de possibles ajustements. Néanmoins, souligne Isabelle de Gaulmyn (La Croix) :
« pour le fidèle catholique, qui reçoit ces deux discours en provenance de Rome, le message risque de se brouiller singulièrement.
D’autant plus que plusieurs passages de ce texte du cardinal Müller semblent prendre l’exact contre-pied d’autres expressions du pape François.
Ainsi, lorsque le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi explique qu’avec ce qui est « objectivement un faux appel à la miséricorde, on court de plus le risque d’une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner ».
Ou encore lorsqu’il oppose la conscience des fidèles à l’obéissance au magistère, on peut trouver une certaine contradiction avec les propos du pape, sur ce sujet, dans un entretien avec l’éditorialiste italien Eugenio Scalfari. »

Le cardinal Müller écarte également la possibilité pour l’Église catholique d’adopter une pratique voisine de celle des Églises orthodoxes, dont les fidèles divorcés, après un temps de pénitence, peuvent contracter un second mariage
On sait que les pressions actuelles s’appuient sur l’existence de difficultés personnelles rencontrées par des divorcés remariés qui, bien que se trouvant en situation « irrégulière », aimeraient pourtant continuer de pratiquer leur foi.

Le cardinal Müller : « Il existe évidemment et il a toujours existé des difficultés individuelles et personnelles dans le mariage, mais ici la question est celle du mariage en tant qu’institution divine. (…) Nous ne voulons pas seulement défendre le mariage et la famille, nous voulons aussi soutenir le développement de la famille dans notre société. Jésus-Christ a clairement institué le mariage en tant que sacrement, avec les éléments de l’indissolubilité et de la bipolarité des deux sexes. »

Il a rappelé à la Stampa que les « dimensions légale et pastorale » de la question ne s’opposent pas :
« Le ministère ne peut avoir une conception différente de celle de la doctrine, la doctrine et le soin pastoral sont la même chose. Jésus-Christ en tant que pasteur et enseignant et Jésus-Christ en tant que parole ne sont pas des personnes différentes. Non, la doctrine de l’Eglise est très claire.
Nous devons rechercher des manières pour développer le soin pastoral en faveur du mariage, mais pas seulement pour les divorcés-remariés, mais pour ceux qui vivent dans le mariage.
Nous ne pouvons pas toujours nous focaliser sur cette seule question de savoir s’ils peuvent communier ou non.
Les problèmes et les blessures résident dans le divorce, les enfants qui ne peuvent plus avoir leurs parents et qui sont contraints de vivre avec d’autres qui ne sont pas leurs parents : voilà les problèmes. »

Le cardinal ajoute : il faudrait aussi cesser d’utiliser l’expression de « divorcé-remarié » qui est un véritable oxymore (figure de style réunissant deux termes antinomiques), puisqu’au regard de la Foi il n’y a pas plus de « divorcés » que de « remariés ». Le seul cas de remariage est celui qui fait suite à un veuvage. En fait « divorcés-remariés » signifie : « adultères publics ». Et là on comprend mieux pourquoi l’Eglise ne peut cautionner cette pratique.

« Eux aussi, les fidèles divorcés et remariés, appartiennent à l’Église » et « ont droit à la sollicitude pastorale et doivent participer à la vie de l’Église », « l’admission à l’Eucharistie ne peut toutefois pas leur être accordée. Pour cela, un double motif est mentionné :
a) ”leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie” ;
b) ”si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage”. »

II/ Les demandes d’une réforme

A/ Quelles sont les difficultés théologiques ?

Pour Jean Mercier, journaliste à la Vie, l’impossibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements apparaît fréquemment comme illustrant les contradictions de l’Église catholique5.
– D’un côté, l’Église catholique exalte l’importance des sacrements comme médiation de la grâce, de l’autre elle oblige une frange importante des baptisé(e)s à vivre leur foi en se passant des sacrements.
– D’un côté, l’Église catholique prône l’accueil de ceux qui souffrent, de l’autre elle refuse l’accès aux sacrements à des personnes qui ont été très blessées par les vicissitudes de l’existence.
– L’Église catholique permet à des divorcés remariés de recevoir les sacrements s’ils vivent une abstinence sexuelle totale. Mais cette condition ne semble pas compatible avec une existence équilibrée.
– L’Église semble faire deux poids deux mesures. Les prêtres peuvent être réduits à l’état laïque et se marier, de même que les religieux peuvent être relevés de leurs vœux. En revanche, les gens mariés le sont irrévocablement. Seuls les mariés n’ont pas droit à l’erreur.
– Tous les divorcés remariés sont traités de la même manière, alors que les uns ont voulu le divorce tandis que d’autres l’ont subi. Il semble y avoir ici une injustice.
– Lors de la cérémonie du mariage, l’Église n’est pas claire sur ce que le sacrement implique, à savoir que chacun devra rester seul si l’autre vient à partir. Du coup, les époux ne s’engagent pas en tout lucidité sur ce point.

B/ Prises de position de prélats et de théologiens

a) Le cardinal Kasper, président émérite du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, s’est exprimé le 20 février 2014 sur la question de l’accès à la communion des divorcés-remariés, à l’ouverture du consistoire des cardinaux sur la famille. Son discours a été rendu public par le quotidien italien Il Foglio. À ses yeux, l’indissolubilité du mariage sacramentel ne peut être abandonnée. Toutefois, ne chercher la solution du problème que dans un élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une « erreur ».
En effet, dit le cardinal Kasper, cela ferait naître l’impression que l’Église procède « de manière malhonnête » pour accorder ce qui, « en réalité, est un divorce ».

Le cardinal Kasper affirme le besoin d’un « changement de paradigme », c’est à dire de « considérer également la situation dans la perspective de ceux qui souffrent et demandent de l’aide ».
Il demande qu’on revienne à la pratique de l’Église primitive, selon laquelle les chrétiens qui vivaient une seconde union alors même que leur premier partenaire était encore en vie pouvaient, après un temps de pénitence, participer à la communion.

Indissolubilité du mariage
« (L’Eglise) ne peut pas proposer une solution différente ou contraire à ce qu’a dit Jésus. L’indissolubilité d’un mariage sacramentel et l’impossibilité de contracter un nouveau mariage tant que l’autre partenaire est vivant fait partie de la tradition de foi contraignante de l’Église qui ne peut pas être abandonnée ou dissoute en faisant appel à une compréhension superficielle de la miséricorde à bas prix. »

Chemin de pénitence
« Ne chercher la solution du problème que dans un généreux élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une erreur. On ferait ainsi naître la dangereuse impression que l’Église procède de manière malhonnête pour accorder ce qui, en réalité, est un divorce. (…) L’Église des débuts nous fournit une indication qui peut aider à sortir de ce dilemme et à laquelle le professeur Joseph Ratzinger avait déjà fait allusion en 1972. (…) Dans chaque Église locale il existait un droit coutumier en vertu duquel les chrétiens qui vivaient une seconde union alors même que leur premier partenaire était encore en vie avaient à leur disposition, après un temps de pénitence, non pas un second mariage, mais plutôt, à travers la participation à la communion, une planche de salut.»

Le retour à l’Eglise des débuts
« Il est indubitable que, dans l’Église des débuts, beaucoup d’Églises locales, en vertu d’un droit coutumier, pratiquaient, après un temps de repentir, la tolérance pastorale, la clémence et l’indulgence.
Eviter le pire
« Cette voie possible ne serait pas une solution générale. Ce n’est pas la voie large de la grande masse, mais plutôt la voie étroite de la partie probablement la plus petite des divorcés remariés, sincèrement intéressée par les sacrements. Ne faut-il pas éviter le pire précisément sur ce point ? En effet, lorsque les enfants des divorcés remariés ne voient pas leurs parents s’approcher des sacrements, d’habitude ils ne trouvent pas non plus le chemin vers la confession et vers la communion. Est-ce que nous ne prendrons pas en compte le fait que nous perdrons aussi la génération suivante et peut-être même celle qui viendra ensuite ? Est-ce que notre pratique confirmée ne se montre pas contreproductive ? »
Cinq conditions : le « théorème Kasper »

Ce qui conduit le cardinal Kasper à développer cinq conditions permettant d’envisager un accès à la communion pour un divorcé remarié :

Un divorcé remarié :
1. s’il se repent de son échec dans son premier mariage,
2. s’il a clarifié les obligations correspondant à son premier mariage, s’il est définitivement exclu qu’il revienne en arrière,
3. s’il ne peut pas renoncer, sans ajouter d’autres fautes, aux engagements qu’il a pris dans le cadre de son nouveau mariage civil,
4. si toutefois il s’efforce de vivre au mieux de ses possibilités son second mariage à partir de la foi et d’élever ses enfants dans la foi,
5. s’il a le désir des sacrements en tant que source de force dans sa situation, devons-nous ou pouvons-nous lui refuser, après un temps de nouvelle orientation, de “metanoia”, le sacrement de pénitence puis celui de la communion ?

Cette voie, envisagée comme une « conversion », ne sera pas toutefois « une solution générale », pour « la grande masse », mais « la voie étroite », pour ceux qui sont « sincèrement intéressés par les sacrements».

Le cardinal Kasper a déclaré qu’il fallait faire et que l’on fera des changements dans la « pratique pastorale » de l’Eglise pour permettre aux catholiques « remariés » de s’approcher de la communion après avoir observé une « période pénitentielle » mais sans quitter leur nouvel état.

Il réfléchit également à une deuxième voie, plus classique, proposée aux divorcés remariés : la reconnaissance de nullité de mariage. Faisant valoir qu’on ne peut cantonner cette question hautement spirituelle et pastorale au champ juridique, il évoque l’idée que l’évêque puisse confier cette tâche à un prêtre possédant une expérience spirituelle et pastorale.
Réactions : l’opinion courante est que le « théorème Kasper » tend à faire en sorte que de manière générale les divorcés remariés puissent communier sans que le précédent mariage soit reconnu nul.
Actuellement ceci n’est pas le cas, sur la base des mots de Jésus, très sévères et explicites sur le divorce. Celui qui a une vie matrimoniale complète sans que le premier lien soit considéré non valable par l’Église se trouve, selon la doctrine actuelle, en situation permanente de péché.

C’est en ce sens qu’ont parlé clairement le cardinal de Bologne, Mgr Caffarra, ainsi que le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal allemand Müller.
Tout aussi explicite a été le cardinal Walter Brandmüller (« Ni la nature humaine, ni les Commandements, ni l’Évangile n’ont une date d’expiration… Il est bon d’avoir le courage d’énoncer la vérité, même contre les usages du moment. Un courage que toute personne qui parle au nom de l’Église doit posséder, si elle ne veut pas manquer à sa vocation… le désir d’obtenir l’approbation et l’adhésion est une tentation toujours présente dans la diffusion de l’enseignement religieux… » – des paroles qu’il a ensuite rendues publiques).
Même le président des évêques italiens, le cardinal Bagnasco, s’est exprimé de manière critique sur le « théorème Kasper ».
Le cardinal africain Robert Sarah, responsable de « Cor unum », a rappelé, en conclusion de son intervention, qu’au cours des siècles, même sur des questions dramatiques, il y a eu des divergences et des controverses au sein de l’Église, mais que le rôle de la Papauté a toujours été de défendre la doctrine.
Le cardinal Re : je suis totalement contre ce rapport .
Même le Préfet de la Penitenzieria, le cardinal Piacenza, s’est déclaré contre, disant à peu près : « Nous sommes ici maintenant, et nous serons ici en octobre pour un Synode sur la Famille, et si nous voulons faire un Synode positif, je ne vois pas pourquoi nous devrions aborder seulement le thème de la communion pour les divorcés. Et il a ajouté : Pour tenir un discours pastoral, il me semble que nous devrions prendre acte d’un pansexualisme très largement diffusé et d’une agression de l’idéologie du gender qui tend à détruire [littéralement : sortir de ses gonds] la famille telle que nous l’avons toujours connue. Il serait providentiel que nous soyons la Lumen gentium pour expliquer dans quelle situation nous nous trouvons et ce qui peut détruire la famille. »
Le cardinal Tauran, du Dialogue Interreligieux, a repris le thème de l’agression contre la famille, y compris sous l’angle des rapports avec l’islam.
Et le cardinal de Milan lui-même, Mgr Scola, a formulé des doutes théologiques et doctrinaux. L’Eucharistie « n’est pas un sacrement de guérison », et que dans le cas des divorcés remariés, il ne s’agit pas d’ « un seul péché, toujours pardonnable quand la personne se repent et demande pardon à Dieu », mais « d’un état de vie (…) qui demande à être changé pour pouvoir correspondre à ce que les deux sacrements actualisent ».
Une forte critique est venue du cardinal Camillo Ruini: « Je ne sais pas si j’ai bien noté, mais jusqu’ici 85 pour cent environ des cardinaux qui se sont exprimés semblent contre à la position du rapport », ajoutant que parmi ceux qui n’avaient rien dit et ne pouvaient pas être classifiés, il avait observé des silences « qui [lui] semblaient embarrassés ».
Le cardinal Ruini a ensuite cité le Bon Pape Jean XXIII, disant en substance : « Lorsque Jean XXIII a prononcé le discours d’ouverture du Concile Vatican II, il a dit qu’on pouvait tenir un Concile pastoral parce que, heureusement, la doctrine était pacifiquement acceptée par tous et qu’il n’y avait pas de controverses ; donc on pouvait prendre une approche pastorale sans crainte d’être mal compris, puisque la doctrine restait très claire. Si Jean XXIII a eu raison à cet instant, a noté le prélat, Dieu seul le sait, mais apparemment cela était peut-être vrai en grande partie. Aujourd’hui, cela ne pourrait plus être dit de manière aussi absolue, parce que la doctrine non seulement n’est pas partagée, mais elle est combattue. Ce serait une erreur fatale de vouloir parcourir le chemin de la pastorale sans faire référence à la doctrine. »

Il est donc compréhensible que le cardinal Kasper ait paru être un peu vexé dans l’après-midi lorsque le pape Bergoglio lui a permis de répondre, sans cependant permettre de susciter une vraie contradiction : seul Kasper a parlé. Aux critiques formulées en Consistoire envers le « théorème Kasper », il s’en ajoute d’autres, formulées en privé au Pape, ou publiques, de la part de cardinaux de chaque partie du monde. Le problème soulevé par beaucoup de voix critiques est que sur ce point l’Évangile est très explicite. Et ne pas en tenir compte (c’est cela que l’on craint) rendrait très instable, et modifiable à loisir, n’importe quel autre point de doctrine basé sur les Évangiles. »

b) Mgr Johan Josef Bonny, évêque d’Anvers, plaide dans un texte publié en septembre 2014 pour une évolution du magistère, tout en précisant que celle-ci ne concernerait pas le contenu de la doctrine mais la méthode pour la propager.
Prenant acte de « l’incompréhension croissante » et de « l’indifférence progressive » entre les croyants et l’enseignement moral de Rome, il met en avant trois facteurs qui ont contribué à établir un « terrain particulièrement conflictuel » :
+ le manque de collégialité entre Rome et les conférences épiscopales,
+ la non-reconnaissance par le magistère de la place de la conscience personnelle,
+ une conception statique de la tradition.

Il considère que, si l’Église veut être « maison et école de communion », elle doit tenir compte de la complexité des situations réelles. À ses yeux, pour faire comprendre le bien-fondé de sa doctrine, l’Église gagnerait à se positionner comme compagnon de route plus que comme surveillant général de l’application des règles. Jusqu’à quel point est-il légitime, pour aborder ces questions, de privilégier une seule école de théologie morale?

c) Le cardinal Georges Pell, l’un des proches du pape François puisqu’il fait partie de son conseil de 9 cardinaux, et le cardinal Ouellet se prononcent contre tout changement autorisant l’accès à l’eucharistie pour les divorcés remariés.

d) Pour le P. Alain Thomasset, s.j., professeur de théologie morale au Centre Sèvres, il serait utile de remettre en valeur la « loi de gradualité » pour trouver des solutions pastorales plus miséricordieuses face aux situations « difficiles ». Selon ce principe, formulé par saint François de Sales et repris par Jean-Paul II dans Familiaris consortio, on ne peut exiger du chrétien qu’il applique la loi morale entièrement et d’un coup. Mais il faut au contraire l’aider à avancer sur un chemin de croissance, dans la durée. A. Thomasset regrette que, dans la théologie catholique, l’école personnaliste, qui place la personne humaine au cœur de la morale en vue de son développement vers une plus grande dignité, ait été délaissée depuis plusieurs décennies au profit d’une école qui met au premier plan la loi naturelle.

e) Pour le théologien Xavier Lacroix, on ne peut assimiler le remariage après divorce à un adultère. Il considère que cet état de vie comporte une dimension de péché mais aussi « d’indéniables biens éthiques ». Tout en défendant l’indissolubilité du mariage, il se montre favorable, pour les divorcés-remariés, à un accès à l’eucharistie. Cet accès devrait faire suite à un temps de pénitence et de jeûne eucharistique, mais il ne serait pas conditionné par l’abstinence sexuelle.
Interview de Xavier Lacroix et du Père Gérard Berliet, du diocèse de Dijon

Gérard Berliet : accompagner les gens sur un chemin de conversion à partir de la discipline de l’Eglise catholique

« Je ne parle que de mon expérience de pasteur, liée aux personnes que j’ai accompagnées et aux questions que cela m’a posé. Pour moi sortir de l’impasse, c’est rechercher les fruits d’un cheminement vécu à partir de la situation actuelle, et essayer de rendre possible ce que l’on croyait illusoire au départ.

Ma perspective était de partir des repères donnés par l’Eglise catholique, en cherchant à les utiliser pour qu’ils conduisent à la consolation et à la pacification progressive des personnes, mais aussi à la croissance de leur foi. J’ai réellement fait l’expérience que les Ecritures, la tradition et le magistère ne peuvent subsister séparément, et qu’y revenir permet à la personne d’être mieux dans sa vie, mais aussi devant Dieu.
Parmi ces fruits, il y a des choses très simples qui sont du ressort de la guérison et de la paix retrouvée avec l’Eglise. Pour certains cela prend quinze ans, mais ce temps vaut le coup lorsqu’il s’agit d’être restauré intérieurement ! Cela suppose d’entrer dans un chemin de conversion, pour l’amour de Dieu, même si au départ on ne comprend rien. On accepte de dire devant Dieu qu’en effet il y a quelque chose dans notre vie qui n’est pas droit. Ce n’est pas un drame par rapport à mon salut !
Il n’est pas question de se placer sur le plan de la loi. Ce dont il s’agit, c’est de l’amour de Dieu.

Il y a des choses très concrètes à rechercher, des apprentissages à faire : comment se situer par rapport aux enfants, apprendre à écouter leur ressenti, avancer dans sa relation avec son conjoint précédent, reconnaître le péché, et vivre de façon nouvelle les sacrements… Car on n’est pas dans le tout ou rien : il y a des chemins qui existent pour vivre quelque chose des sacrements, et ce ne sont pas des miettes. Il y a une véritable communion au Christ possible sans eucharistie. Il y a un pardon possible, même si je ne reçois pas l’absolution.

J’ai parfois reçu des personnes qui ne demandaient pas à se confesser, mais simplement à parler avec moi et à comprendre la position de l’Eglise; je la leur exposais avec une certaine crainte de leur réaction, alors que finalement ils allaient tout à fait l’accepter. Savoir que je ne peux communier au Christ en m’approchant de la Table mais que je peux le faire par le cœur, était tout à fait reçu. Dans notre difficulté à accueillir la loi, et dans le sens que cela prend pour nous, il y a une difficulté culturelle propre à l’Occident; cela n’est pas vécu ainsi dans d’autres pays.

Pour sortir de l’impasse, il faut réfléchir sur ce qu’est le sacrement. Dans le sacrement, le Christ désire renforcer notre lien avec lui, nous communiquer quelque chose de ce qu’il est, nous prendre en lui pour faire de nous des Fils, quel que soit notre état de cœur, de corps et de foi. Vivre le sacrement dans sa plénitude ou pas ne change rien à l’objectif du Christ vis-à-vis de nous. Il déborde le sacrement. La question, c’est celle des modalités de la communion au Christ. Le Christ offre son pardon; il s’agit de savoir si je suis dans des dispositions de cœur pour le recevoir. En revanche, le célébrer sacramentellement risquerait à mes yeux d’être perçu comme une approbation du nouveau lien.  »
Xavier Lacroix : construire un chemin qui amène à vivre la réconciliation avec l’Eglise

« Il n’y a pas de solution simple, évidente, facile, pour sortir de l’impasse. Saint Augustin lui-même disait, après avoir étudié la question de l’adultère, qu’il ne pensait pas être arrivé à une solution qui prétende à la « perfection ».
La question, c’est de savoir comment on peut tenir à la fois le fondamental et le vécu concret, être attentif à un interdit évangélique très net que l’on trouve dans la bouche de Jésus (si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il commet l’adultère), sans le plaquer sur le droit canonique. C’est ma voie de recherche.

Car d’emblée nous sommes face à une contradiction. D’un côté il y a un bien réel dans l’indissolubilité du mariage, l’idée qu’il y a un lien qui dure toujours. On ne peut pas brader cette notion et dire aux gens que si c’est trop dur ils pourront arrêter. Humainement, il y a de l’irréversible dans le lien conjugal, on ne peut prétendre qu’il n’en reste rien : vivre l’intimité sexuelle, connaitre les familles, les fragilités de l’autre, avoir des enfants crée des liens durables.
De l’autre côté il y a l’attention aux personnes et aux histoires : on peut se tromper, on peut vivre une belle seconde histoire, on peut désirer être réconcilié avec l’Eglise… Le problème c’est que si on se remarie, il y a deux liens conjugaux simultanés, cela crée un vrai problème et je comprends que l’Eglise le marque par sa discipline.

La solution actuelle c’est de priver des sacrements pour marquer qu’il n’y a pas pleine communion avec l’Eglise. Creuser le sens de cela et prendre conscience de sa situation peut mener à de beaux cheminements spirituels. Mais cette discipline pose problème, notamment parce qu’elle est définitive, ce qui devient de plus en plus dur à vivre avec le temps, et aussi parce qu’on fait de l’adultère le seul péché impardonnable. Ensuite cela aboutit au fait qu’on trouve dans l’Eglise toute une palette d’attitudes des plus contradictoires sur la question, et c’est une véritable cacophonie.

L’essentiel n’est pas l’opposition permis/défendu, mais le cheminement proposé à ces personnes. Je propose qu’on supprime les sacrements pendant un temps donné de quelques années; c’est une façon de marquer le coup, qu’il y a eu transgression d’un commandement du Seigneur, et de faire réfléchir au fait que le mariage qui est vécu n’est pas celui qui a été célébré sacramentellement.

Mais alors il faudrait proposer un cheminement qui permette d’aller vers le sacrement de pénitence. Ce doit être un cheminement à la fois personnel et communautaire, qui aide à faire la lumière sur sa situation, et à voir pourquoi on en est arrivé là. Il ne s’agit pas de légitimer ce qui arrive, mais de proposer des étapes pour un pardon : reconnaissance de la transgression, des torts causés à l’époux et aux enfants, avec réparation si possible, réconciliation envers l’ancien conjoint, reconnaissance de la permanence mystérieuse du premier lien, affirmation du désir de vivre le lien présent à la lumière de l’Evangile…

Le cheminement de conversion à partir de la discipline de l’Eglise est très beau, mais tout le monde n’est pas en mesure de le comprendre et de le vivre. Je pense que si les gens savent que le pardon de l’Eglise est possible, il y a plus de chances que cette conversion se vive pour le plus grand nombre. L’idée est de proposer une voie moyenne qui soit compréhensible pour la plupart. Il faut une parole de l’Eglise, et je plaide pour qu’elle soit explicite. »
Richard Martz, diacre de la paroisse de Illkirsh, au sud de Strasbourg, a créé un groupe pour les personnes qui vivent une rupture. Il a assisté au débat sur les divorcés remariés, et nous explique son point de vue.

En quoi consiste l’accompagnement que vous proposez?

« Au départ j’ai sollicité des personnes pour être des écoutants et constituer un groupe de parole pour accueillir les personnes qui subissent une rupture dans le couple, afin qu’elles puissent venir dire leur colère, leurs souffrances, leurs interrogations. Car bien souvent quand elles se présentent, on n’est pas prêt à les accueillir, on ne sait pas quoi leur dire ni leur proposer, donc cela s’arrête vite là.
Et puis nous avons voulu aller plus loin et leur proposer un cheminement, afin de les aider réellement à grandir dans la foi, à partir de la reconnaissance de leur rupture et de la discipline de l’Eglise. En leur disant que si le sacrement de réconciliation est le mode habituel du pardon, on peut être pardonné autrement, en priant ensemble par exemple.
En ce qui concerne l’eucharistie, après plusieurs séances de partage sur les textes, nous faisons en fin d’année une cérémonie de lavement des pieds. Puis nous allons à la messe tous ensemble, afin de remettre ce que nous avons vécu. Chacun fera ce qu’il veut en terme de communion, cela ne regarde que lui et sa conscience, en fonction du besoin qu’il ressent.
Mais cela sera fait de toute façon en Eglise, parce que cela aura été précédé de tout ce cheminement. Quand on est rentré dans un chemin de pardon vécu, on n’ a plus forcément de souffrance à ne pas communier, notamment parce que tout cela se vit dans le lien avec l’Eglise et non dans la rupture. »

Pourquoi vous sentez-vous en porte-à-faux dans cette initiative?

« Notre curé est informé de tout cela. Mais comme aujourd’hui on ne peut pas formaliser une parole publique sur ce que nous vivons au sein de notre groupe, cela reste quelque chose de confidentiel. Il faudrait que cela devienne un objectif pastoral d’Eglise, et non que cela relève de l’initiative individuelle, afin que la communauté chrétienne puisse y être associée.
Si un paroissien voit quelqu’un du groupe « rupture » lire les intentions de prière, il sait qu’il y a des gens qui, par respect de la discipline, n’iront pas communier. Et alors les divorcés deviennent des prophètes pour tous ceux qui ont des difficultés dans l’accès au sacrement; des gens dont l’effort peut porter les autres, et les introduire eux-mêmes dans le questionnement sur ce qu’ils vivent. L’idée serait de banaliser la proposition d’une telle démarche, pour qu’elle fasse partie de notre intelligence collective. »

Pensez-vous qu’il faille faire évoluer les choses comme le pense Xavier Lacroix, ou que cet accompagnement suffit?

« Aujourd’hui nous avons tous les outils à notre disposition, mais on ne fait résonner qu’un seul type de parole, celui qui sonne comme une condamnation pour les personnes concernées; il faudrait une autre parole, tout aussi officielle, qui est celle d’inviter au cheminement personnel.
Nous ne disons pas aux gens que nous allons leur donner accès aux sacrements, mais nous les formons à rentrer dans une vie de foi plus profonde. Après, se dénoue ce qui doit se dénouer, et nous n’en sommes pas propriétaires. Cette démarche rend les gens libres. Il ne s’agit pas de dire que chacun peut faire ce qu’il veut, mais qu’avec un certain bagage, après avoir mûri son chemin, on devient apte à s’interroger personnellement sur ce que l’on doit faire. »

f) Selon le P. Jean-François Chiron, professeur à l’Université catholique de Lyon (2014)

* Le remariage civil n’a pas d’effets sur le lien sacramentel qui a été noué auparavant : aux yeux du magistère catholique, il ne s’agit que d’une forme d’entrée en concubinage.
Un mariage civil conclu avant le mariage religieux n’est d’ailleurs pas davantage pris en considération par l’Église: des catholiques mariés seulement civilement peuvent sans problèmes se marier religieusement après leur divorce, même s’ils ont des enfants;
* La communion eucharistique redevient possible pour des divorcés remariés s’ils vivent dans la continence (cf. le n° 1650 du Catéchisme de l’Église catholique). Seuls sont donc visés par l’interdit ecclésial les couples ayant des relations sexuelles – sinon, même les divorcés remariés continents seraient privés d’accès à l’Eucharistie.
* Ce qui est problématique n’est donc pas la ratification purement civile d’une nouvelle union, puisqu’elle est sans effet sur le lien sacramentel; c’est la dimension sexuée du nouvel état.
L’opposition du magistère à la communion eucharistique des divorcés remariés relève de la morale sexuelle. Leur union comporte normalement des rapports sexuels « illégitimes ». Ils ne peuvent être sacramentellement pardonnés, et donc empêchent la communion eucharistique.
* Alors que des divorcés remariés vivant dans la continence mettent fin à la situation de péché qui est la leur, et c’est cela qui compte aux yeux de l’Église.
* Le magistère catholique considère que toute relation sexuelle hors mariage sacramentel est «intrinsèquement désordonnée », indépendamment de tout contexte et de toute circonstance.
Or la situation de couples divorcés remariés désirant vivre une relation stable et fidèle (ce qu’indique précisément leur remariage civil) est-elle comparable à celle de personnes trompant leur conjoint, ou se livrant à une forme de « vagabondage sexuel »?
* Tous les actes sexuels ici évoqués sont-ils à mettre sur le même registre, à considérer comme également immoraux et donc interdisant, au même titre, l’accès à l’Eucharistie ? On comprend aussi que des couples refusent de voir réduit au seul registre génital, quelle que soit son importance anthropologique, ce qu’ils s’efforcent de reconstruire avec la grâce de Dieu : de vraies valeurs y sont engagées, ce que nul dans l’Église ne saurait contester.
* Rappelons enfin le principe énoncé par le pape François: « L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Evangelii gaudium, n° 47).
* C’est la définition d’un acte humain, – et donc d’un acte sexuel -, qui est ici en cause : dans quelle mesure le contexte et les circonstances doivent-ils être pris en compte dans sa définition, et donc son évaluation éthique ? Il faut aussi se demander si une appréciation pastorale a sa place dans l’évaluation de la moralité d’un acte.
* C’est la dimension éthique, inséparable d’une approche pastorale, qui est au cœur de cette question.

f) Pour le P. Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique de Paris, il serait bon que l’Église catholique s’inspire de l’Église orthodoxe sur la question des divorcés-remariés. Dans l’orthodoxie, explique-t-il, on ne se marie sacramentellement qu’une seule fois. Mais, pour des personnes se trouvant dans une deuxième union, il y a la possibilité d’une préparation de trois ans avec un prêtre et des laïcs, puis d’une bénédiction à l’Église à tonalité pénitentielle. Pour Philippe Bordeyne, il est souhaitable que l’Église catholique trouve « des procédures permettant aux personnes qui en feraient la demande d’accéder à une forme de réconciliation dans l’Église et de communier ».

Les Églises orthodoxes ont conservé, conformément au point de vue pastoral de la tradition de l’Église des débuts, le principe, qu’elles considèrent comme valide, de l’oikonomia. À partir du VIe siècle, cependant, se référant au droit impérial byzantin, elles ont été au-delà de la position de la tolérance pastorale, de la clémence et de l’indulgence, en reconnaissant également, à côté des clauses relatives à l’adultère, d’autres motifs de divorce, qui partent de la mort morale et pas seulement physique du lien matrimonial.

g ) Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon

Pourquoi la communion est-elle interdite, tout comme d’ailleurs le sacrement de réconciliation (confession), aux catholiques remariés après un divorce ? Seraient-ils indignes ?

Tout est dans la symbolique de l’Alliance : le baptême, le mariage et l’Eucharistie… C’est une alliance humaine qui se fonde sur l’Alliance entre Dieu et son peuple. A propos du mariage, Jésus dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».
L’Eglise considère donc, en raison de cette parole du Christ, qu’il doit y avoir une cohérence entre la communion, c’est-à-dire, le fait de recevoir Dieu en soi, et le communiant qui doit avoir le désir de vivre selon l’appel de Dieu. Où en suis-je de mon désir de conversion?
Les pécheurs que nous sommes tous ont besoin de la communion, et ils peuvent la recevoir, à condition de désirer clairement vivre selon les Paroles de Jésus.

Le divorce est-il considéré comme un péché ?

Non… Il se peut que je porte une responsabilité dans un divorce, ou au contraire, pas du tout. En revanche, celui ou celle qui se remarie considère que la première alliance qu’il a nouée devant Dieu n’existe plus. Et psychologiquement, c’est souvent vrai.
Mais aux yeux du Seigneur et donc de l’Eglise, le premier mariage demeure. C’est précisément cette question que le pape a souhaité aborder.

Tout le monde peut se tromper. Un remariage peut rendre une famille plus heureuse.
L’amour n’est-il pas au cœur du message évangélique ?

Quelques pères synodaux ont proposé de faciliter la reconnaissance de la nullité de certains mariages, car la procédure est assez complexe et longue, ce qui est tout à l’honneur du respect du droit de chacun.
Mais tous se sont montrés clairs sur l’indissolubilité du mariage, ce qui nous vient directement de Jésus, dans l’Evangile. Tout le monde connaît des personnes remariées qui vivent un beau chemin d’amour et cherchent à vivre dans la fidélité au Christ. Il faut donc les y aider, et c’est l’un des objectifs du Synode ; il en est maintenant à mi-parcours.

Et ceux qui communient en douce ?

On ne demande pas à quelqu’un ses papiers quand il vient communier. Ce que Dieu et l’Eglise leur demandent, ils le savent… nous savons l’amour et la foi qu’il nous faut pour accomplir fidèlement la volonté de Dieu. Chacun est placé devant ses responsabilités.

Il y a des sanctions ? Peuvent-elles aller jusqu’à l’excommunication ?

Non. C’est un combat spirituel que chacun doit mener : vivre selon la volonté de Dieu et continuer à éclairer sa conscience. Nous le demandons au cœur du Notre Père : « Que ta volonté soit faite… » Comme disait saint Paul, hélas, « je vois le bien, mais je fais le contraire… »
Pour nous les prêtres, nous voulons toujours donner aux gens le meilleur, mais ce qui est difficile, c’est d’unir la compassion, la charité avec la vérité. Il n’y a pas de véritable amour sans vérité.

h) Pour le Père Cédric Burgun, enseignant-chercheur en droit canonique,

Il y aurait derrière les « revendications » d’assouplissement à l’égard des divorcés remariés une double habitude chez les fidèles qu’il faudrait questionner. D’abord, écrit-il, « si nous étions plus conscients de ce don immense que Dieu nous fait, si nous ne communions non pas par droit, mais par amour et par respect du Seigneur, communierons-nous si souvent ? Je ne veux pas revenir à près de 100 ans en arrière où les gens ne communiaient pratiquement plus du fait de conditions trop strictes. Mais avouons que nous sommes tombés dans l’excès inverse : nous communions trop souvent pour le peu d’examens de conscience que nous posons. »
Et par ailleurs, insiste-t-il également, « nous sortons d’une période où le mariage à l’église était une habitude. Aujourd’hui encore, nous voyons se présenter des jeunes qui demandent la bénédiction d’un engagement qu’ils ne mesurent plus. Dire que les jeunes se marient aujourd’hui en étant immatures ne suffit pas à déclarer un mariage invalide.
Or, la question du mariage avait été soulevée par les disciples qui se demandent déjà eux-mêmes, face à ”l’intransigeance” de Jésus sur le divorce, s’il y a bien ”intérêt à se marier” dans ces conditions (cf. Mt 19, 10) ? Et Jésus répond cette parole quelque peu énigmatique qui, me semble-t-il, n’a pas suffisamment attiré notre attention : ”Ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l’a révélée” (Mt 19, 11). »
i) Jean Mercier, rédacteur adjoint de La Vie

La seule marge de manœuvre disponible serait d’accroître la possibilité de faire déclarer la nullité du lien matrimonial. Mais actuellement, les procès en déclaration de nullité s’intéressent à la question de savoir s’il existe un vice de forme du lien au moment du mariage, qu’il s’agisse du dol (tromperie de l’un des partenaires), ou immaturité, ou manque de liberté. Il s’agit de savoir si les promesses du mariage reposaient sur du solide ou si elles étaient viciées.
Or on sait que de nombreux problèmes de couple interviennent après le mariage, sans qu’il soit possible de trouver un vice de forme. Il faudrait alors que les juristes de l’Eglise élargissent le périmètre de la déclaration en nullité, quitte peut-être à redéfinir ce terme.

Le pape met l’Eglise sous tension en ouvrant ce chantier qui va déboucher sur des débats qu’il faudra assumer, et qui vont entraîner des tensions fortes entre les tenants d’un maintien des normes actuelles, et ceux qui veulent les faire évoluer .

j) Christian Mignonat, défenseur du lien conjugal à Lyon, couples divorcés remariés

◙ Distinguer l’état conjugal du mariage sacramentel

Si l’on croit que le mariage est un sacrement qui fait l’objet d’une consécration et qu’il s’agit bien d’un ministère, il est très surprenant que l’on ne consacre pas un temps suffisant à la formation de ceux qui sont appelés à cette vocation. En effet quand on voit que la préparation de ceux qui vont recevoir le sacrement de l’ordre dure 6 ans, et que la préparation de ceux qui prononcent des vœux religieux (qui ne sont pas un sacrement) comprend plusieurs années de postulat et de noviciat, on peut s’interroger, d’autant plus que ces deux dernières démarches peuvent être suspendues si l’on juge que la personne n’est pas prête ou apte à la vocation religieuse ou sacerdotale.

Concernant les baptisés non pratiquants ou non croyants, on oppose souvent l’incapacité à mesurer la foi des personnes et donc à leur refuser la grâce du sacrement de mariage. On oppose aussi l’argument du « droit au mariage ». Or cette objection vient, à notre avis, de la confusion que l’on fait entre l’état conjugal et le mariage. De la même manière que l’Eglise fait la distinction entre le sacrement de l’ordre et l’état clérical qui lui permet de maintenir la réalité du sacrement tout en développant des suspensions ou suppression de l’état clérical, il serait indiqué de distinguer « l’état conjugal » et le sacrement de mariage, ce qui permettrait de préserver l’indissolubilité du mariage sacramentel, tout en gérant l’état conjugal par des dispenses appropriées. Le Code de Droit canonique fait déjà cette distinction puisque c’est l’état conjugal qui génère pour les baptisés deux obligations principales : le mariage sacrement pour l’édification du Peuple de Dieu et l’éducation chrétienne des enfants.

◙ Séparés et divorcés remariés : le sens brouillé par les contradictions

Un couple marié sur deux divorce, sans compter les séparations au sein des unions libres évoquées plus haut. Un grand nombre de personnes concernées ont quitté l’Eglise ou s’en sont senties exclues.

– Soit parce qu’elles ont été écartées au seul motif de leur divorce (éventuellement sans remariage). Ce qui montre que les traces du code de droit canonique de 1917 (qui considérait les divorcés remariés comme « publiquement indignes », et les frappait d’excommunication, ndlr) ne sont pas effacées. Ce qui montre aussi un défaut de réception de Vatican II et une insuffisance de la catéchèse de miséricorde, ainsi que les effets collatéraux de la discipline sacramentaire vis-à-vis des divorcés.

– Soit implicitement du fait d’une réticence sociale de certains membres de la communauté, des traces du code de 1917 qui restent imprégnées dans les esprits des intéressés eux-mêmes, et par la mise en ghetto de fait qu’opère la discipline qui n’est pas recevable pour un grand nombre.

Pour les personnes divorcées remariées, qui n’ont pas quitté l’Eglise, il est évident que le non accès aux sacrements est une souffrance d’autant plus que c’est source d’incompréhension :

+ Comment la religion de la miséricorde et de la résurrection peut-elle tolérer de refuser l’accès au sacrement de pénitence et de la miséricorde de Dieu, d’autant plus que les situations sont diverses et que dans nombre de cas, les personnes se sentent plutôt victimes dans leur divorce, sans parler de celles qui n’ont fait qu’épouser un divorcé ?

+ Comment une démarche d’amour sincère peut être condamnée de façon irrémédiable dans une religion de l’Amour ?

Au nom de quoi les personnes divorcées remariées sont-elles frappées d’interdiction des sacrements puisqu’elles ne sont pas exclues de la communauté ? Une première explication « canonique » est l’interprétation qui déclare que la formule « …ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste… » s’applique d’autorité aux personnes divorcées remariées.
Ceci revient par ailleurs à statuer non sur la situation de conscience personnelle des personnes, mais à les classer selon un critère d’appartenance à un « état peccamineux », « un état de vie en contradiction objective avec la communion, telle qu’elle s’exprime dans la communion eucharistique ». Ceci revient bien à inventer une nouvelle catégorie de fidèles qui, bien que baptisés n’ont pas accès aux sacrements du simple fait d’un état de vie qui ne devrait subir aucune contrainte. À ce titre la discipline qui impose de « vivre en frère et sœur » pour avoir accès aux sacrements est contradictoire car l’état de vie objectif n’est pas modifié.

On peut s’interroger sur la superposition des justifications qui conduisent à la surévaluation du lien fait entre l’Eucharistie, sacrement de la Nouvelle Alliance et du Salut, centre et sommet de la vie chrétienne, et le sacrement de mariage, sacrement de l’Amour incarné qui est signe tangible des différentes facettes de l’Amour de Dieu (trinitaire, éternel, fidèle, créateur, miséricordieux…) mais ne saurait être LE sacrement de l’Alliance à l’égal de l’Eucharistie.

Cette surévaluation revient à donner à la rupture conjugale des personnes divorcées remariées la capacité d’altérer la Nouvelle Alliance et le salut que nous apporte le Christ, ce qui est bien évidemment exagéré et immérité. Faire porter la responsabilité aux personnes divorcées remariées de l’altération d’une symbiose entre sacrement de mariage et sacrement de l’Eucharistie est totalement contradictoire avec la pratique de l’Eglise aujourd’hui, qui tend à dissuader une partie des nouveaux mariés de célébrer leur mariage au cours d’une Eucharistie.
La proposition est donc de replacer le sacrement de Mariage à une juste place, sans le surévaluer en l’assimilant au sacrement de la Nouvelle Alliance, sans le dévaluer en le ramenant à la seule relation sexuelle, et à revoir les interprétations imprégnées de nostalgie du code de 1917 en contradiction avec l’esprit de Vatican II.

◙ La reconnaissance de nullité du lien matrimonial : à manier avec précaution

Présenter la reconnaissance de nullité comme une solution aux problèmes des personnes divorcées remariées traduit une méconnaissance de la réalité des « problèmes » de la majorité de ces personnes et constitue un détournement de l’objet même de la reconnaissance de nullité ou plus précisément de l’invalidité du consentement matrimonial initial.

Rappelons d’abord que la reconnaissance de nullité ne règle pas les problèmes liés au divorce lui-même (garde/éducation des enfants, relation avec l’ex-conjoint, la belle famille, soucis économiques, etc…). Précisons aussi que cette procédure est purement juridique à ce jour et ne prend absolument pas en compte dans la décision les conséquences d’une telle reconnaissance sur les enfants, la relation de justice et de charité due à l’ex-conjoint, etc.

Le but de la reconnaissance de nullité est de faire la vérité sur la réalité du consentement initial et de reconnaître, le cas échéant, que toutes les conditions n’étaient pas remplies pour s’engager dans et construire un lien matrimonial chrétien sacramentel. En faire un moyen de gommer les difficultés générées par la discipline sacramentaire ou les comportements discriminatoires de certains membres de l’Eglise reviendrait donc à en détourner l’objet.

De plus, les personnes divorcées remariées responsables et « honnêtes » ne se voient pas imposer à leurs enfants une « nullité » qui pourrait les impacter psychologiquement (perte de légitimité comme étant fruits d’une erreur) d’une part. Elles considèrent d’autre part que le vécu avec l’ex-conjoint n’a pas été vide de sens, et qu’il a contribué à leur construction, même si la relation s’est avérée impossible à l’usage. Elles ne comprennent pas comment et pourquoi on découvrirait soudainement que le Christ n’était pas présent à leur côté sur ce chemin matrimonial parcouru, surtout quand des efforts de vie chrétienne ont été vécus (éducation des enfants, pratique religieuse…).

Enfin, « libéraliser » la reconnaissance de nullité va à l’encontre du respect de la dignité du sacrement de mariage et de la valorisation de l’indissolubilité, puisque moyennant une procédure invoquant une immaturité des jeunes époux que l’on arrivera presque toujours à mettre en évidence, tout mariage pourra être reconnu nul.
Au demeurant les personnes divorcées remariées qui restent attachées à l’Eglise, ne contestent pas l’indissolubilité et la fidélité du mariage, même si elles n’ont pas réussi à vivre cet idéal qu’elles souhaitent revivre à leur mesure dans leur nouvelle union.

La solution serait plutôt :

* Dans la cessation de toute discrimination dans la participation aux services d’Eglise, y compris dans ceux qui touchent au sacrement de mariage tels que la préparation au mariage où ils pourraient apporter un témoignage irremplaçable, en particulier sur la nécessité de dialogue dans le couple, la confiance redonnée…
* Dans un chemin de « ré accès » officiel aux sacrements après une période dite pénitentielle permettant un accompagnement et un discernement assorti d’une autorisation à l’état conjugal avec le nouveau conjoint (même si l’on souhaite que le lien sacramentel initial perdure, comme on le considère pour les prêtres relevés de l’état clérical dont le sacrement de l’ordre perdure).

N’oublions pas que l’Eglise envisage déjà la séparation de corps (avec maintien du lien), ce qui avalise dans une certaine mesure la rupture de l’engagement matrimonial existant, puisque les époux sont dispensés de l’obligation de communauté de vie et d’amour. Le maintien du lien apparaît juridiquement illogique puisqu’une fin essentielle du mariage selon Vatican II (le code canonique parle de « l’alliance matrimoniale par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie ») a disparu.

Une telle approche permettrait de garder le caractère indissoluble du mariage chrétien sacramentel tout en gérant par le biais d’une dispense la cessation de l’état conjugal (les obligations parentales étant maintenues) et en autorisant l’état conjugal avec une autre personne dans le cadre d’une démarche miséricordieuse de ré accès aux sacrements.

Ceci constituerait un véritable accompagnement de cheminement de foi, non seulement pour les intéressés, mais aussi pour la communauté qui pourrait mieux mesurer les biens du mariage et les difficultés du divorce, tout en étant éduquée à une pratique de la miséricorde au lieu d’une approche légaliste et justicière bâtie sur l’autosatisfaction ou la peur.

Une soi-disant annonce de la miséricorde, qui ne rejoint pas les personnes en souffrance aux racines mêmes de leur souffrance, pour se contenter de paroles ou de préceptes théoriques, est vide de sens pour les intéressés. L’Evangile ne cesse de le rappeler : « Que veux tu que je fasse pour toi ? »
k) Le pape François

Le pape François a abordé largement la question de l’accueil des divorcés remariés.

Cette problématique, très souvent évoquée dans l’Eglise, pose de nombreuses difficultés dans les diocèses et les paroisses avec l’augmentation ces dernières décennies du nombre de divorces, y compris chez les croyants. En effet, le mariage étant chez les catholiques un sacrement indissoluble, ceux qui se séparent et se remarient se trouvent dans une situation où ils ne peuvent plus recevoir les sacrements – notamment la communion – à moins que leur premier mariage ne soit reconnu comme « nul » canoniquement par un tribunal ecclésiastique (reconnaissance qui ne peut aboutir qu’après des démarches généralement longues de plusieurs années).

Des voix s’élèvent régulièrement pour demander un assouplissement des règles à leur égard, soulignant la souffrance de ces fidèles qui le ressentent parfois comme une mise au ban de la communauté chrétienne.

Ce « sérieux problème », le pape semble tout disposé à s’en saisir.
Soulignant que son prédécesseur, Benoît XVI, avait déjà cette question « à cœur », François a rappelé le fait qu’il ne pouvait pas être « réduit seulement au fait de recevoir ou non la communion. Car celui qui pose le problème en ces termes n’a pas compris quel est le vrai problème ». Ces précautions prises, le pape a néanmoins reconnu que « l’Eglise doit faire quelque chose pour résoudre les problèmes des nullités de mariage, appelant par exemple à « trouver une autre voie, dans la justice » pour ces reconnaissances, aux démarches administratives très lourdes et pas toujours accessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de les entreprendre dans les villes où se trouvent les tribunaux compétents en la matière.
l) Témoignage

Les divorcés remariés, s’il est bien vrai qu’ils soient conscients de leur situation, peuvent faire la communion de désir.

Dans le fait de recevoir un sacrement il y a une partie objective et une partie subjective. On sait que ce qui est le plus important, c’est la grande grâce qui est associée au sacrement. Cependant je peux perdre cette grâce et même commettre un sacrilège si je m’approche de la communion avec légèreté ou d’une manière indigne.
Au point de vue subjectif, je pense que, pour eux, il est beaucoup plus existentiel qu’ils se limitent au désir de la communion plutôt que de recevoir la communion elle-même.
Le fait d’accepter de bon gré cette abstinence fera beaucoup de bien à leur âme et à la sainteté de cette communauté chrétienne qu’est l’Église.

m) Service pastoral du diocèse de Friboug-en-Brisgau

Le service pastoral du diocèse de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne a publié un document permettant l’accès aux sacrements « à la suite d’une décision de conscience prise de manière responsable », sous certaines conditions.
Ces conditions incluent notamment le fait « qu’un retour au premier partenaire n’est vraiment pas possible et que le premier mariage, avec la meilleure volonté, n’est pas vivable », mais également que la nouvelle relation conjugale dans laquelle la personne est engagés soit elle-même solide.
(Rappelons que, contrairement à une idée répandue, les divorcés qui restent célibataires peuvent toujours communier ou se confesser.)
L’annonce de cette initiative diocésaine, qui correspond certainement à ce qu’un certain nombre de paroisses pratiquent déjà sans le dire, a donné lieu à un appel à la prudence de la part du Vatican, qui a alors rappelé par la voix de son porte-parole, le père Federico Lombardi, que « proposer des solutions particulières de la part de personnes ou de services locaux peut risquer de générer de la confusion. (…) Il est bon de mettre en évidence l’importance de mener un chemin dans la pleine communion de la communauté ecclésiale. »

n) Gérard Leclerc, éditorialiste France catholique et Radio Notre-Dame

En ce qui concerne les divorcés remariés, il faut bien comprendre que ces réflexions ne sont pas surprenantes, dans la mesure où elles sont le fruit de plusieurs mois de débats intenses. Le texte produit par le synode propose à certaines personnes de faire un chemin de pénitence pour avoir à nouveau accès au sacrement de pénitence, ainsi qu’à l’eucharistie. Toutefois, les conditions de cette pénitence ne sont pas encore clairement définies, et le seront ultérieurement.
Il ne s’agit, à mon sens, pas d’une révolution : en effet, ce genre d’exceptions, accordant aux divorcés le droit à l’eucharistie, existe en réalité dans les faits depuis longtemps. Certains évêques et confesseurs acceptent déjà les divorcés, par charité au vu de la difficulté de leur situation personnelle. Ainsi, ce texte, en tout état de cause, ne ferait que codifier ce qui relevait jusqu’alors de la dispense personnelle. L’Eglise préciserait, pour la première fois, officiellement, les conditions dans lesquelles une telle dispense pourrait être admise.

Il ne faut donc pas donner de faux espoirs aux divorcés remariés : une telle dispense relèverait de l’exception, du cas particulier, et ne concernerait en cela qu’une minorité de personnes.

o) P. Guy Gilbert

L’Eucharistie, c’est la force pour les faibles. Alors, à mon avis, les divorcés remariés devraient communier. Nous, prêtres de l’Église, n’avons pas le droit de remarier les divorcés parce que le sacrement du mariage est unique…
Je suis de plus en plus sollicité pour bénir les divorcés remariés. Je le fais discrètement, bien sûr…
Les positions de l’Église sont variées. Des évêques engagent les prêtres à faire selon leur conscience. Certains refusent la communion, d’autres l’acceptent. Dans des cas prévis, je dis : « Demande pardon d’abord, et puis si, en conscience, tu veux communier, alors fais-le ».
J’ai étudié cette phrase de saint Thomas d’Aquin : « Si l’Église te dit quelque chose et ta conscience te dit l’inverse, suis ta conscience tout en veillant à l’éclairer par l’enseignement de l’Église. C’est à toi que revient en conscience la décision. »
Il faudrait que nous ayons une politique théologique et disciplinaire commune dans l’Église.

On dit que les divorcés remariés peuvent vivre comme frère et sœur. Je ne connais pas très bien la chose, mais dans un plumard pendant vingt ans comme frère et sœur, c’est un peu difficile, me semble-t-il. Par ailleurs, on sait que les relations sexuelles permettent à un couple de se construire.
Le Christ dit : « Prenez, ceci est mon corps. Prenez, ceci est mon sang. » C’est qu’il voulait que nous ayons un contact matériel et corporel avec sa présence. Ce contact physique dit quelque chose de notre union à lui. Faire fi du corps de façon durable peut être dangereux pour la foi.
Les exclus de la communion prétendent que l’Église fait fi de la miséricorde…

Il y a quelque chose d’intéressant chez nos frères orthodoxes. Leur Église propose la bénédiction des divorcés remariés jusqu’à trois fois… Comme l’Église catholique, elle garde l’indissolubilité : il n’y a qu’un mariage.
Mais l’Église orthodoxe tient compte de la fragilité des gens. Elle autorise une seconde union, non sacramentelle, mais faite sous le regard de Dieu et de la famille. L’Église orthodoxe bénit le pécheur qui demande pardon, sans autoriser un nouveau sacrement. Les orthodoxes savent qu’ils ont droit à un repêchage.

La miséricorde me semble ici plus essentielle que la défense de l’indissolubilité quand elle reste fragile.

p) Des catholiques de Bron

Baptisés pour témoigner de la bonne nouvelle de l’Evangile, nous sommes tous, en tant que membres de notre Eglise, des pécheurs pardonnés. Mais nous souffrons parce que l’Eglise exclut de la miséricorde qu’elle est chargée de transmettre une catégorie de croyants.

Quelques constats :

• On peut aussi remarquer la contradiction entre les limites de l’accompagnement initial vers le mariage et les exigences radicales sous-tendues par la contraction de ce mariage. Il y a souvent un écart entre l’attente des couples et ce que l’Eglise leur propose : les mariés sont rarement conscients de ce qu’ils engagent et ensuite l’Eglise leur oppose la profondeur de ce qui est engagé.
• Il ne s’agit pas de remettre en cause l’indissolubilité du mariage sacramentel mais de reconnaître qu’elle n’empêche pas la réalité des échecs de la relation humaine. Echecs qui font partie de la vie. La position théologique qui identifie le lien entre les époux à celui du Christ et de son Eglise pose question et crée même une impasse. Si la fidélité de Dieu est de toujours à toujours, celle de l’homme est limitée par sa condition pécheresse.

Quelques pistes :

• S’il y a échec (séparation durable, divorce), il pourrait être proposé aux personnes concernées un chemin de discernement sur une durée significative, adaptée à chaque situation, avec un groupe d’accompagnement (prêtre et laïcs formés).
• Cette démarche serait donc ecclésiale, en écho à la démarche du mariage elle-même ecclésiale. Elle permettrait la reconnaissance par chacun de sa responsabilité dans l’échec, de son péché. Cela ouvrirait précisément à une démarche de pardon, au sacrement de réconciliation.
• Cela ouvrirait à la réception de l’Eucharistie, « qui n’est pas un prix destiné aux parfaits mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » comme le dit le Pape François au n°47 de son exhortation Evangelii Gaudium. Et nous sommes tous faibles !
• Dès lors, une éventuelle nouvelle union serait reçue par les personnes et par l’Eglise comme une heureuse bonne nouvelle de vie. Y aurait-il remariage ? Sans doute, mais pas sacramentel.
• Enfin, plus globalement, il faudrait remettre en question la pastorale du mariage, en vue d’un meilleur soutien aux époux : celui de leur préparation, celui de leur accompagnement dans la durée, dans les joies et les difficultés.

En conclusion :

Nous attendons de notre Eglise non un surcroit d’explication mais une conversion théologique et pastorale qui ouvre radicalement à la miséricorde (et aide l’autre à progresser, sans qu’elle soit contraire à la doctrine catholique).

q) Cardinal Francesco Coccopalmerio, président du Conseil pontifical pour les textes législatifs.

Le cardinal souhaite «simplifier les procédures de reconnaissance de nullité d’un mariage».
Comme il l’a expliqué, l’Église «n’a pas le pouvoir» de «délier» un mariage. Elle peut constater seulement que le mariage n’a pas vraiment eu lieu, même s’il a été célébré.
Cela s’appelle la «reconnaissance de nullité». L’une de ces trois raisons est souvent invoquée :
* l’un des contractants envisageait un divorce en se mariant ;
* il refusait la perspective d’avoir des enfants ;
* il était immature en s’engageant.
Pour alléger cette longue procédure juridique qui passe par un procès, l’Église catholique travaillerait à trois nouveautés :
+ supprimer tout d’abord la «double sentence conforme» actuellement nécessaire. Elle doit être prononcée par un second groupe de trois juges ecclésiastiques. Un jugement en une seule instance suffirait.
+ supprimer ensuite l’instance collégiale de trois juges pour n’avoir «plus qu’un seul juge».
+ ouvrir enfin une voie parallèle, dite «administrative» pour les «cas évidents» : le demandeur – par déclaration personnelle formelle – affirmerait qu’il a contracté un mariage catholique sans aucune intention de le respecter. Il obtiendrait l’annulation du mariage par simple décision de l’évêque diocésain.

r) Position de l’Église

1. Les divorcés remariés baptisés se trouvent dans une situation objectivement contraire à l’indissolubilité du mariage.
C’est le point clé de tout l’édifice doctrinal de l’Église catholique. Puisque le sacrement du mariage noue entre les fiancés un lien à l’image de celui qui unit le Christ à son Église, difficile de concevoir que ce lien puisse être rompu ! Cet argument repose notamment sur cette phrase de saint Paul : Comme dit l’Écriture : « A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Église » (Lettre aux Éphésiens, chapitre 5, versets 31 et 32).
Jésus cite ce même passage de l’Écriture – il s’agit du récit de la création de l’homme et de la femme dans le livre de la Genèse (Gn 2, 24). A des Pharisiens qui lui demandent si un homme peut renvoyer sa femme pour n’importe quel motif, il leur répond : « N’avez-vous pas lu l’Écriture ? Au commencement, le Créateur les fit homme et femme, et il leur dit : « Voilà pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. » A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 1-6).
Avec cette dernière phrase, tout semble être dit. Et pourtant…

2. Les divorcés remariés sont membres du Peuple de Dieu : ils ne sont pas excommuniés.
Ce deuxième point est capital tant il est encore répandu dans l’opinion que les divorcés sont ipso facto excommuniés, c’est-à-dire jetés hors de l’Église ! Il est vrai que jadis l’Église n’était pas tendre avec les divorcés : pas de sépulture, pas de baptême pour les enfants issus d’un remariage, etc.
Autrement dit, l’Église insiste beaucoup, pour que rien ne puisse être dit ou être fait pour donner à penser aux chrétiens divorcés qu’ils ne font plus partie du Peuple de Dieu. Il suffit de se rappeler cette phrase de Jean-Paul II à Sainte-Anne d’Auray en 1996 : « L’Église a aussi le souci de ceux qui sont séparés, divorcés et divorcés remariés. Ils restent membres de la communauté chrétienne ».

3. En raison de leur situation objective, les divorcés remariés ne peuvent être admis à la communion.
L’affaire se complique immédiatement avec la participation des divorcés remariés à l’eucharistie. Ils peuvent bien évidemment célébrer le Seigneur avec tous les fidèles… mais sans communier. Pourquoi une telle interdiction ? Elle est inévitable compte tenu du premier point mentionné ci-dessus. Plusieurs évêques, notamment en France et en Allemagne, essaieront de contourner cet obstacle.
s) P. Thierry Lamboley, sj.

Exigence de vérité et miséricorde du Christ qui pardonne

Tenir ensemble l’exigence de vérité et la manifestation de la miséricorde du Christ, voilà la tension inconfortable dans laquelle nous sommes actuellement.

– D’un côté, l’Eglise est réellement attachée à la vérité des situations humaines (tout divorce, quel qu’il soit, est toujours un échec) et de la signification du sacrement du mariage (un lien que rien ne peut détruire si ce n’est la mort). Cette exigence interdit toute banalisation du divorce, comme drame humain, et du mariage chrétien, comme sacrement.
– De l’autre côté, une autre exigence : celle de la miséricorde de Jésus. Les Evangiles ne cessent de nous montrer un Fils de Dieu qui ne juge pas mais qui pardonne. A tous les chrétiens de lui emboîter le pas en refusant de condamner les personnes divorcées remariées. Il se pourrait bien qu’elles soient « les premières dans le Royaume des Cieux » !

Ouvrir le débat

Alors, comment avancer ? Certainement pas en durcissant les positions de part et d’autre. Sans doute en prenant le temps de s’écouter. En apprenant aussi à mieux gérer cette tension entre vérité et miséricorde. L’enjeu est important : remettre de la parole, des nuances et de la diversité là où trop ont tendance à déclarer comme définitif ou irréformable ce qui ne peut que changer… si chacun accepte de se convertir un peu plus au Christ.

t) Le Père Jean-Pierre Longeat, ancien Abbé de saint Martin de Ligugé

Si nous recevons le sacrement du baptême, de la confirmation, du mariage, de l’onction des malades et bien sûr de l’Ordre, c’est toujours pour manifester la dynamique eucharistique du Christ et de l’Eglise. Et si nous vivons le sacrement de réconciliation, c’est pour rétablir la circulation de ce signe sacramentel que nous avons pu rendre moins pertinent par nos actes ou nos paroles.

Or, les personnes qui vivent la réalité d’une nouvelle situation de couple après l’impossibilité de poursuivre leur union dans le sacrement du mariage sont bel et bien membres de l’Eglise mais manifestent autrement leur appartenance au mouvement eucharistique de la communauté chrétienne.

Impossibilité de participer aux sacrements

Dans la pratique actuelle de l’Eglise, ils ne peuvent participer aux sacrements extérieurement parlant mais ils les vivent au plus profond d’une présence intérieure où Dieu les rejoint incontestablement et c’est là qu’ils témoignent de leur chemin de foi et y progressent.

La discipline de l’Eglise est certes interrogée sur cette pratique, cependant actuellement, le Magistère reste sur une telle position. C’est une situation qui ne va pas de soi, mais elle nous fait percevoir au moins que la vie de l’Eglise ne se déploie pas uniquement dans les formes extérieures des sept sacrements.

Le Christ invite toute personne à faire un chemin de renoncement à soi-même jusqu’à partager la vie de Dieu dans l’amour au cœur d’une communauté de frères et de sœurs : c’est là la véritable dynamique eucharistique : tout recevoir du Père et tout rendre au Père en le partageant avec tous comme le Christ, sur le chemin de la vie.

C’est le grand enjeu du témoignage de l’Eglise, les sacrements y participent pour leur part mais d’autres éléments interviennent également pour en être les acteurs. Par ailleurs, si l’on ne peut pas vivre le sacrement de réconciliation, il est toujours possible de vivre un accompagnement spirituel et de prier avec celui ou celle à qui l’on a parlé pour demander à Dieu qu’il nous donne sa paix.

u) Mgr Thomas, ancien évêque de Versailles

Une personne victime du divorce (abandonnée par son conjoint), qui a refait sa vie en se remariant, est à présent heureuse en couple. Elle avoue communier régulièrement. Mais elle est très culpabilisée de transgresser les interdits de l’Église. Quoi lui dire ?

Je suis pasteur, voilà ce que je peux lui dire :

C’est à Dieu qu’appartient le jugement final sur nos choix. Dès à présent, essayez de croire qu’il porte sur vous le seul regard à la fois objectif, complet, juste et plein de compassion. Lui seul vous connaît à fond, évalue votre part de responsabilité dans l’histoire de votre premier couple. Prenez le temps de lire lentement, pour le méditer, ce que saint Jean écrivait aux chrétiens (voir 1 Jean 2,1-2 et 3,18-23). Cette lecture méditée activera le niveau profond de votre âme. Demandez à l’Esprit Saint de vous rendre totalement disponible à ce qu’Il veut vous faire comprendre.

Méditez ensuite sur le comportement et les paroles de Jésus à la Samaritaine (elle vivait avec un cinquième mari), aux pharisiens sollicitant la condamnation de la femme adultère, à ceux qui demandaient dans quelle mesure l’homme pouvait répudier sa femme, à Simon qui s’étonnait de voir Jésus accepter l’attitude de la femme pécheresse (voir Jean 4, 16-30 ;8, 1-11 ; Matthieu 19, 1-12 ; Luc 7, 36-50.). Donnez tout son poids au principe par lequel Jésus justifie cette proximité avec les pécheurs : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Nous accordons du crédit aux paroles de l’Église. Avons-nous donné à la Parole du Fils de Dieu tout le poids qu’elle mérite ? Pour un chrétien, l’Autorité de Dieu doit toujours l’emporter sur les autorités humaines, y compris religieuses.

En mon âme et conscience

Lisons maintenant quelques affirmations officielles de notre Église. « L’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience. S’il agissait délibérément contre ce dernier, il se condamnerait lui-même » (Catéchisme de l’Église catholique n° 1790). « Dans la formation de la conscience, la Parole de Dieu est la lumière sur notre route » (CEC n° 1785). « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même… inscrite par Dieu au coeur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu ». Ces phrases furent votées par plus de deux mille évêques lors du concile Vatican II (« Gaudium et spes », n° 16). Leur autorité ne peut être contestée.

Malheureusement, nous préférons parfois une réponse simple, formulée par un homme d’Église, à une réflexion plus exigeante menée en notre âme et conscience. Serait-ce par peur de nous tromper ? Ou de céder à une certaine complaisance ? Les êtres humains sont ainsi faits : ils pensent généralement qu’une réponse dure, exigeante, est plus conforme à la pensée de Dieu. Si nous appliquions cette règle aux réponses de Jésus, nous devrions dire que sa miséricorde déformait la pensée de son Père. Or Jésus était la Vérité même. Il se montrait sévère avec ceux qui exigeaient des autres une rigueur qu’ils ne s’appliquaient pas à eux-mêmes (Matthieu 23). Il voulait faire reconnaître que Dieu se comporte en Père, que sa priorité n’est pas de juger mais d’aider et de sauver avec tendresse. Et Jésus a vécu comme son Père le désirait. Fidèlement.

Mon premier mariage était-il valide ?

L’Église romaine s’efforce d’aider les époux à porter un jugement éclairé sur la validité de leur mariage. S’ils se séparent ou divorcent (selon la loi civile), elle les invite à faire « juger » la validité de leur engagement par six juges (trois en première instance du tribunal ecclésiastique, et trois en seconde instance). Si les deux instances estiment que l’engagement formulé « à l’église » fut invalide, l’Église accepte de bénir le nouveau mariage que chaque époux peut contracter. Elle n’annule pas le premier lien, elle estime qu’il ne fut pas valide.

Or, ce recours aux tribunaux ecclésiastiques nécessite enquêtes, témoignages, retour sur un passé qui ravive des plaies au cœur des époux et pose de rudes questions aux enfants nés de ce mariage. Il prend plusieurs années et occasionne des frais. Aussi beaucoup hésitent-ils à choisir cette voie. Il ne manque pas d’époux pour penser, en leur âme et conscience, que leur mariage fut invalide, même sans l’avoir soumis au jugement d’un tribunal ecclésiastique. Ils se privent de son aide, ce qui est dommage. Ils restent seuls dans l’analyse de leur passé, oscillant parfois en conscience, ce qui n’est pas confortable et les fait souffrir. Beaucoup d’époux ayant divorcé se trouvent dans cette situation. Des groupes de réflexion sont alors indispensables pour permettre leur libre expression sur leur premier lien conjugal. Agréés par l’autorité ecclésiale locale, ils deviennent un lieu de vérité, de soutien et de reconstruction après la blessure d’un divorce.

L’Église orthodoxe propose un temps de conversion

Autre limite, et de taille. L’Église romaine examine la validité des mariages seulement au moment où ils furent contractés. Elle s’interdit de faire un discernement sur un mariage estimé valide à l’origine, mais devenu par la suite un enfer pour l’un ou l’autre des époux, au point de rendre indispensable une séparation définitive. Multiples peuvent être les raisons : accident, maladie imprévisible, évolution psychique régressive de l’un des époux, violence, alcool, drogue, etc. Nombreux demeurent les cas où la bonne volonté et le courage d’un époux ne suffisent pas à éviter la séparation ou le divorce.

L’Église orthodoxe, elle, se risque à aider les époux lorsque le couple s’est écroulé, s’est séparé, a divorcé. Elle reconnaît que les humains peuvent commettre des erreurs et qu’il n’est pas évangélique de les abandonner à un jugement négatif, en les laissant définitivement dans une situation invivable. Elle propose un temps de réflexion, de reconnaissance des torts que chacun a pu avoir. Elle invite à une sorte de conversion avant d’accepter de bénir le mariage de personnes qui furent amenées à divorcer.

Telle est la perspective que j’ai proposée dès 1991 aux époux abandonnés ou contraints au divorce qui, par la suite, ont contracté mariage. L’Église romaine ne la propose pas, à la différence de l’Église orthodoxe. Aussi l’ai-je présentée comme une « décision de conscience » et non comme une solution agréée par l’Église romaine. Cependant, qui sait si elle ne l’acceptera pas un jour, notamment si la communion renaît entre les Églises chrétiennes ?

Pour une vraie décision

Pour l’élaborer, le divorcé remarié doit donc se questionner devant Dieu, principalement sur les points suivants :

1. Est-ce que je cherche à vivre la foi chrétienne de plus en plus profondément, notamment depuis mon nouveau mariage ?

2. Le couple que je forme actuellement est-il stabilisé depuis un temps notable (dix ans), paisible, vivant sous le regard du Seigneur avec espoir fondé de durer dans la fidélité ?

3. Ai-je essayé de faire la clarté sur la validité de mon premier mariage ?

4. Ai-je reconnu loyalement mes torts dans le déroulement puis l’effondrement de mon couple ? Suis-je allé jusqu’à solliciter le pardon de mon conjoint ou des enfants que mon attitude aurait pu blesser ?

5. Ai-je lutté pour ne pas entretenir et manifester une attitude agressive envers mon conjoint, ou sa famille, ou les enfants, ou les représentants de l’Église ?

6. Ai-je dialogué avec des chrétiens sur les questions de conscience posées par mon divorce et mon remariage civil ? Cette recherche de dialogue m’a-t-elle fourni des éléments de discernement spirituel ayant apaisé « mon état d’âme » ? Suis-je actuellement dans une certaine paix intérieure depuis que j’ai choisi de communier quand je participe à l’eucharistie ?

Si vous répondez positivement à ces questions, je ne suis pas seul à penser que vous vivez dans une attitude loyale envers Dieu. Vous pouvez estimer que vous êtes en paix avec Lui et en harmonie avec l’enseignement du Christ, le Juge de tous les humains. Il vous aime et vous demeurez en lui.
v) Le cardinal Godfried Danneels, archevêque émérite de Malines-Bruxelles

« Dieu est juste et miséricordieux. Il ne peut se contredire. Il est capable de faire le grand écart entre juste et bon. Nous, nous avons un chemin difficile, car nous ne sommes que de pauvres danseurs dans le ballet de l’histoire. Nous, pauvres ministres, nous avons à trouver le moyen d’inventer des chemins de miséricorde sans nuire à la vérité et à chercher le chemin à chaque époque et pour chaque culture. A nous de trouver les chemins de miséricorde.

Je voudrais me limiter à un seul chemin de la miséricorde pour notre époque. Je pense à ceux et à celles, dont le premier mariage a échoué et qui se sont engagés dans un second mariage non valide pour l’Eglise et non sacramentel. Ils sont nombreux à notre époque. Que faisons-nous pour eux, qui souvent voudraient régulariser leur état de vie et qui savent qu’il n’y a pas de possibilité.

Il y a des jours où je pense qu’il faudrait instituer dans l’Eglise quelque chose de semblable au catéchuménat et à l’ordo penitentium dont l’Eglise d’alors s’occupait comme une mère. Peut-être rien de vraiment institutionnel, mais un souci pastoral organisé pour des divorcés remariés.

Comment préparer des prêtres et des laïcs pour cette pastorale spéciale comme jadis pour les catéchumènes et pour ceux qui étaient dans un chemin pour obtenir l’absolution de leur péché ?

La première attitude est celle d’un immense respect pour ces frères et sœurs divorcés et remariés. Le début de toute miséricorde, c’est un respect inconditionnel pour tous ceux et celles qui vivent dans l’Église, mais ne peuvent se remarier et recevoir la communion.

Les mariages de fait méritent un même respect. Car certains portent leur union comme dans un hiver – des semences qui dorment. Très souvent les divorces remariés suivent un chemin, – conscients ou inconscients – pour sortir de cette situation. Mais cela n’est pas possible.
Dans beaucoup de ces situations les époux se trouvent dans une démarche graduelle vers un idéal qu’ils désirent. Le respect est la pastorale que la mère Église doit pratiquer.
C’est une pastorale de la gradualité : loi de gradualité mais non gradualité de la foi.
La Loi ne s’impose pas à moi de l’extérieur, mais rejoint en profondeur ce que Dieu révèle au fond de mon être sur ce qui est bien, sur l’Alliance.

Mais on ne peut exiger du chrétien qu’il applique la loi morale entièrement et d’un seul coup. Il faut l’aider à avancer sur un chemin de croissance, dans la durée.

D’abord les chercher. Car beaucoup se cachent et n’osent pas le dire, même pas au conjoint. Ils souffrent en cachette. A nous prêtres de nous mettre à découvrir ces brebis qui voudraient, mais n’osent pas le dire.

Ensuite les inviter à se rencontrer, former des groupes où ils peuvent s’écouter les uns les autres ; Mais le pasteur doit être là. Sans focaliser uniquement sur cette douloureuse question de la communion refusée. Le prêtre doit écouter par son cœur. Il n’est point besoin dès le début d’enseigner, mais d’écouter. Car toute écoute est thérapeutique.

Il est nécessaire de leur parler, ou leur faire parler de la beauté du mariage et de la famille chrétienne.
Le beau est tout puissant.

Il ne s’agit pas d’une beauté esthétique, mais la beauté, sœur de la vérité et de la bonté. La beauté est selon Aristote :’la splendeur de la vérité’. « Pulchrum est splendor veri’.

Les divorcés remariés ne sont pas les seuls enfants en problème. Mais ils réclament des pasteurs, qui ont un cœur de berger et qui prennent sur les épaules le pauvre petit agneau, qui s’est cassé la patte.

La vérité peut susciter le scepticisme. La bonté peut décourager, mais la beauté désarme. Et nous avons des atouts. En effet, rien de plus beau que le mariage chrétien et la vie familiale chrétienne. Il faut dire la vérité aux divorcés remariés mais en se souvenant de saint François d’Assise qui disait à ses gardiens des petites communautés : « Ne permettez pas que quelqu’un vous quitte triste. »
w) Témoignage chrétien, octobre 2014

« Le mariage est le symbole de la vie, il ne s’agit pas d’une fiction. (Il n’est pas) un chemin uni, sans conflits : non, alors cela ne serait pas humain. »
Ainsi parlait le Pape François, dimanche 14 septembre, durant l’homélie du sacrement du mariage de vingt couples du diocèse de Rome. Le mariage est tellement humain qu’il échoue souvent – 44 % des cas en France en 2011 –, et que le remariage civil est fréquent.

La conséquence pour les époux mariés initialement à l’église – l’impossibilité de recevoir les sacrements – demeure un des points noirs de la discipline ecclésiale. Et le moins explicable. Même si bien des fidèles (et des pasteurs) s’affranchissent de cette règle violente et injuste, celle-ci doit changer. D’autant plus que les jeunes prêtres en France apparaissent moins portés sur les arrangements.

Guère nouvelle, la question est désormais officiellement en débat. « Le problème doit être étudié dans le cadre de la pastorale du mariage », disait le pape en juillet 2013, parlant même d’un « devoir d’avancer » sur la question. Le sujet sera au centre du Synode des évêques sur la famille, qui se tient à Rome du 5 au 19 octobre.

Changement de paradigme

Depuis quelques mois, les langues se délient de façon inédite. Les réponses au questionnaire préparatoire ont montré l’incompréhension d’une majorité de fidèles (du moins en Occident) et leur rejet de la sévérité de la règle. Et la posture de François rend optimistes les tenants de l’évolution. En février dernier, devant tous les cardinaux, le pape avait confié le soin d’introduire le sujet à Walter Kasper.

Or, le théologien allemand, ancien président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens, s’était déjà exprimé pour une ouverture. La moitié de son exposé était consacrée aux divorcés-remariés. « Nous avons besoin d’un changement de paradigme et nous devons – comme l’a fait le Bon samaritain – considérer également la perspective de ceux qui souffrent et demandent de l’aide ».

Jusqu’alors, dans tout discours romain, le sacrement et son caractère définitif primaient sur les considérations individuelles.

« Des divorcés remariés ont aussi besoin de l’eucharistie pour croître en alliance avec le Christ et la communauté d’Église, et pour prendre leur responsabilité de chrétiens dans la nouvelle situation donnée », écrivit de son côté Johann Bonny, évêque d’Anvers, dans un texte très remarqué en France, surtout devant le mutisme de ses collègues de l’hexagone.

L’Église doit « oser aller du “vécu” à la “doctrine”. Sur un tel chemin, l’Église n’a rien à perdre », ajoutait le prélat belge.
Les participants au synode vont donc échanger sur les solutions proposées. La plus simple à mettre en œuvre existe déjà. Et certains veulent en généraliser l’usage. Il s’agit de l’annulation du sacrement de mariage initial. Solution rude, basée sur des arguties juridiques peu évidentes, blessante pour les enfants nés de la première union, elle n’est guère satisfaisante. Sauf pour ceux qui ne veulent toucher en rien à l’édifice doctrinal et pastoral.

Comme d’autres, le cardinal Kasper propose, lui, la mise en place d’un chemin de pénitence pour les chrétiens vivant en secondes noces. Il s’inspire de la longue pratique des chrétiens orthodoxes, peu réputés pour leur laxisme moral. Si pour eux comme pour les catholiques, le sacrement ne peut être défait, ils font appel au principe de « l’économie de la miséricorde », fidèles en cela aux travaux des Pères de l’Église comme Origène, Basile le Grand ou Grégoire de Nazianze.

« Mort morale »

Les orthodoxes évoquent le terme de « mort morale » du premier mariage et proposent, après un temps de deuil et de pénitence (sous forme d’une privation d’eucharistie d’une ou deux années), un second mariage.
C’est cette piste qui devra être explorée sereinement, afin de mettre en place un dispositif qui réponde à la demande pastorale, sans trop ébranler les bases théologiques de l’indissolubilité du sacrement.

x) Jacques-Hubert Mabille de Poncheville

Âgé de 70 ans, l’auteur, boulonnais, marié et père de trois enfants, journaliste pour encore quelques semaines à La Voix du Nord, fut prêtre diocésain en 1970-1980. C’est de la pastorale paroissiale ordinaire avesnoise auprès des personnes divorcées remariées que démarrent ses notes qui, 30 ans plus tard, deviennent livre à partager.

Un sujet source de division

Aucun ton polémique donc chez l’auteur pour qui, sur ce sujet délicat, « Dieu fait un cadeau à l’Église ». Il propose un argumentaire en trois volets : les regards sur les comportements des chrétiens divorcés remariés, les inconvénients de la loi actuelle, et la voie vers une solution issue de l’eucharistie elle-même.
Il analyse : « Bien que vivante, la doctrine de l’Église sur la sexualité ou le divorce n’est plus reçue même si le Concile continue. Au sein des familles dont bon nombre sont recomposées, ce sujet de société est source de scandales et de divisions. Beaucoup de divorcés-remariés ne se posent plus de questions ou recourent à leur seule conscience. Pourquoi ne pas prendre les personnes là où elles (en) sont, infiniment précieuses auprès d’un Dieu ne cessant de créer, de s’offrir, de tout renouveler sans cesse. J’ai relevé ce que j’ai entendu d’une petite communauté eucharistique locale avec le père Jean Dubreucq (1930-2014), mon doyen, un vrai prophète ! Nous avions devant nous un trésor ouvert à resituer dans la tradition de l’Église, jamais fermée, jamais cernée ! »

Pas de victoire de l’un sur l’autre

Pas d’« interdit-permis », pas de victoire d’un camp sur l’autre : pour Jacques-Hubert, « le seul camp, c’est Jésus-Christ pour qui tout est miséricorde ». Citant Benoît XVI parlant d’« un problème pastoral épineux et complexe », saluant François « qui situe la question dans la totalité de la pastorale du sacrement de mariage et de la famille », rappelant la tradition de l’Église orthodoxe, dont la discipline est moins sévère, l’auteur cite des faits vécus ou rapportés : difficulté pour une communauté à aider un frère ou une sœur divorcé(e) non remarié(e) à vivre le chemin de la solitude assumée, passe-droits clandestins, recours aux tribunaux ecclésiastiques… Sans oublier le fait que la rigueur du code de droit canon (1983) encourage, indirectement, le mariage civil et pénalise un comportement qui n’a rien à voir avec des péchés plus graves (meurtre, adultère) où le mis en cause peut communier.

Trois pistes

S’appuyant sur la grandeur du sacrement de mariage et de l’eucharistie, Jacques-Hubert Mabille de Poncheville donne trois pistes d’action pastorale :

En premier, l’assemblée eucharistique locale sur lequel l’Esprit Saint descend tout entier. « On doit rappeler que les sacrements sont reçus pour la multitude, et d’abord pour les personnes blessées. »

En second, inviter les divorcés remariés à participer aux assemblées eucharistiques et pénitentielles locales pour « faire station » selon la coutume chrétienne pédagogique imposée aux pêcheurs et pénitents.

En dernier lieu, interpeller l’évêque – l’auteur a adressé son manuscrit aux évêques de notre région et cite telle réaction. Celui-ci dirait à quelles conditions il accepte une pleine réintégration de ses divorcés remariés à l’eucharistie locale.

Faire se rencontrer le meilleur de la théologie et du cœur humain dans une pastorale diocésaine au service de la gloire de Dieu et du salut des hommes, c’est le plaidoyer de Jacques-Hubert Mabille de Poncheville qui attend beaucoup des directives romaines d’octobre 2015.
y) Mgr Jean-Paul Vesco,op ancien prieur provincial des dominicains de France, évêque d’Oran,
Pourquoi avez-vous décidé de vous engager pour les divorcés remariés ?
C’est une révolte intérieure très ancienne face à la souffrance d’énormément de personnes. Elles ne se reconnaissent pas dans ce que l’Église dit de leur état de vie. Alors beaucoup s’en vont sur la pointe des pieds, ne font pas baptiser leurs enfants. Ma révolte vient aussi de ce qu’il n’est pas seulement fait violence aux personnes, mais aussi à des fondements de notre foi : l’alliance, la miséricorde de Dieu et le sacrement de réconciliation, le sacrement de l’eucharistie. J’ai la conviction qu’il est théologiquement possible d’affirmer en même temps l’indissolubilité de tout amour conjugal réel, l’unicité du mariage sacramentel et la possibilité d’un pardon en cas d’échec de ce qui constitue l’une des plus belles mais aussi des plus périlleuses aventures humaines, le mariage pour toute la vie.

Quelle est la « faute » des divorcés remariés ?

C’est le deuxième « oui ». Dès lors qu’il y a eu union sacramentelle, en contracter une deuxième est considéré comme un adultère. S’agissant d’un péché grave, pour recevoir l’eucharistie il faut s’être confessé et avoir reçu l’absolution. Pour cela, les divorcés remariés doivent prendre la résolution de quitter leur « état de péché ». Concrètement, cela suppose pour eux de rompre avec leur second conjoint, avec lequel ils ont reconstruit leur vie et ont peut-être eu des enfants. Ou alors de « vivre en frère et sœur » avec toute l’ambiguïté de cette expression. Ils sont placés face à une décision impossible, tout simplement parce que leur seconde union est, elle aussi, devenue indissoluble.

C’est ce que l’on appelle la persistance dans « l’état de péché »…

Une personne qui a vécu un échec dont elle est prête à assumer une part de responsabilité, qui a reconstruit sa vie et qui au quotidien vit une relation de fidélité ne peut pas se reconnaître en situation d’adultère. L’adultère, dans la vie réelle, c’est le fait d’entretenir une relation avec deux personnes à la fois. Telle n’est pas la vie des divorcés remariés.

Mais Jésus dit dans l’Évangile : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Marc 10, 9) !

Le sacrement de mariage est unique et doit le rester. Mais il importe de distinguer unicité et indissolubilité.
Ce n’est pas le sacrement qui rend le mariage indissoluble, c’est l’indissolubilité de toute relation d’amour véritable qui rend possible ce sacrement, lequel est unique.
Jésus n’est pas l’inventeur du mariage indissoluble, il ne l’a pas décrété, mais il a révélé le caractère sacré de tout amour humain véritable depuis la première union de l’homme et de la femme.
C’est ainsi que l’Église reconnaît le caractère indissoluble du mariage civil de deux personnes non baptisées.
L’indissolubilité n’épuise pas le sens du mariage sacramentel, qui est la reconnaissance par les époux que Dieu est présent au cœur de leur amour. C’est faire du mariage une consécration.

Quelle solution proposez-vous pour sortir de cette notion de « persistance dans l’état de péché » sans transiger avec l’unicité du sacrement et l’indissolubilité de l’union ?

La position de l’Église en matière de mariage apparaît souvent comme juridique à l’excès. Il me semble au contraire que, paradoxalement, elle pêche par une carence dans le raisonnement juridique. Tous les grands systèmes de droit opèrent une distinction fondamentale entre infraction instantanée et continue. L’infraction instantanée, tel le meurtre, résulte d’un acte unique de la volonté qui entraîne des conséquences définitives contre lesquelles la volonté du meurtrier elle-même ne peut rien. L’infraction continue, tel le vol avec recel, suppose que l’auteur de l’infraction prolonge l’infraction par un acte répété de la volonté. Il pourrait rendre à tout moment l’objet dérobé, alors que le meurtrier, lui, ne peut plus redonner la vie qu’il a prise. Dès lors que cette distinction n’est pas posée en droit canonique, toute la question est de savoir si le fait de contracter une seconde union après l’échec d’un mariage sacramentel peut être assimilé analogiquement à une infraction instantanée ou à une infraction continue.

Et quelle est votre réponse ?

La position actuelle de l’Église revient implicitement à assimiler une seconde union à une infraction continue dans laquelle les personnes se maintiennent par une manifestation répétée de la volonté. À tout moment, elles seraient censées pouvoir interrompre cette seconde union.
C’est faire fi de la situation définitive que l’indissolubilité de leur amour a créée. Je crois que l’analogie avec l’infraction instantanée est plus juste. En effet, de même que le meurtre crée une situation définitive de mort, la seconde union crée une situation définitive de vie.

Quel est l’intérêt de cette distinction ?

Si l’Église prenait acte de la situation définitive née de la volonté d’entrer dans une seconde relation d’alliance, elle pourrait s’autoriser une parole de vérité, et le cas échéant de pardon, sur le « oui » de la seconde union sans avoir à exiger le préalable d’une impossible séparation. Dès lors, elle permettrait aussi aux personnes de faire la vérité sur leur mariage et les raisons de son échec. Il est plus facile de poser un regard serein sur son passé, au lieu de l’occulter, dès lors qu’un avenir réconcilié est envisageable. Cette distinction, fondée sur la prise en compte des conséquences du caractère indissoluble de tout amour conjugal véritable, ouvre la voie à une nécessaire pastorale de la réconciliation, dont les modalités restent à inventer. Et cela sans que soient relativisées l’unicité et la valeur ineffable du mariage sacramentel catholique.
Une approche théologique et juridique de la question de l’accès des « divorcés-remariés » aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie.

L’indissolubilité d’une alliance véritable entre deux êtres a été affirmée par le Christ avec force et mise en relation par Lui avec la création de l’homme et de la femme (Mt 19.4). Elle a, dès les temps apostoliques, occupé une place particulière dans la doctrine de l’Église, plus que dans aucune autre religion ou tradition. C’est ainsi qu’à l’instar de Paul qui associe au même mystère l’alliance des époux et celle du Christ et de l’Église (Ep 5.32), le mariage a été élevé, des siècles plus tard, au rang de sacrement. Le mariage chrétien est un trésor qu’il importe de protéger et de valoriser, spécialement à un moment où en France et ailleurs en Europe, le fossé se creuse entre le mariage sacramentel chrétien et le mariage civil.

Néanmoins, si l’alliance conjugale entre deux personnes est par essence indissoluble, elle demeure une des aventures humaines les plus belles mais aussi les plus périlleuses qui soit. Nombreux sont les couples qui se déchirent et se défont, et nombreux aussi sont ceux qui, après une première alliance conclue en conscience et en vérité, se trouvent dans la situation d’en conclure une seconde, également en conscience et en vérité. Ce sont ceux que l’on appelle trop communément les « divorcés-remariés ». On sait combien cette terminologie générique peut renfermer d’histoires de vies, toutes singulières et toutes différentes, qu’il est difficilement tenable d’enfermer dans un même vocable et dans un même traitement.

En vertu du caractère indissoluble du premier lien sur lequel il ne se reconnaît aucun pouvoir, le Magistère de l’Eglise considère aujourd’hui que l’état de vie des « divorcés-remariés » est assimilable à une persistance obstinée dans un état de péché grave (l’adultère) qui leur interdit l’accès au sacrement de réconciliation et donc aussi à la communion eucharistique (art 915 du code de droit canonique). Cette notion de persistance obstinée dans un état de péché est le point d’achoppement qui distingue les « divorcés-remariés » du commun des pécheurs que nous sommes tous puisqu’elle interdit l’accès au sacrement de réconciliation. Il n’est en effet pas de pardon sacramentel possible sans la volonté ferme de renoncer à son péché. Or, seule cette réconciliation sacramentelle après une faute grave peut ouvrir la voie au sacrement de l’eucharistie.

Cette notion de persistance obstinée dans un état de péché grave est bien sûr sans rapport avec la vie de tant de ces couples qui mettent tout leur cœur à (re)construire jour après jour une vie conjugale vraie et féconde. Leur vie n’a pas grand-chose à voir avec le désordre et la duplicité d’une vie adultère qui suppose une relation simultanée avec deux personnes, ce qui n’est pas leur cas.

Même s’ils sont prêts à reconnaître que leur vie est marquée par une rupture douloureuse et possiblement fautive par rapport à l’engagement pris au jour de leur mariage, ils ne se reconnaissent pas dans la situation d’adultère qui est la leur au regard de l’Eglise. Dès lors la position magistérielle apparait comme injuste, juridique à l’excès, ne faisant aucune place à l’expression de la miséricorde divine. Ils se sentent exclus, ou pire encore s’auto-excluent de l’Eglise, et nombre d’entre eux perdent le chemin de la foi.

Pourtant il semble bien que l’on peut faire le pari de la non contradiction entre d’une part l’affirmation sans concession de l’indissolubilité intrinsèque à tout véritable amour, et d’autre part l’échec, à vue humaine, de cet amour.
Il faut pour cela revenir aux sources de l’indissolubilité et opérer une distinction entre indissolubilité et unicité.

Revenir aux sources de l’indissolubilité du mariage sacramentel

Pour pouvoir recevoir le sacrement de réconciliation, et donc ensuite avoir accès à la communion eucharistique, les personnes « divorcées-remariées » sont placées face à une décision impossible, celle de rompre une union conjugale heureuse de laquelle sont peut-être nés des enfants. Cette décision est impossible à prendre non pas en raison d’un manque de courage ou d’un manque de foi. Elle est impossible car leur choix de s’engager dans une seconde alliance a créé un second lien tout aussi indissoluble que le premier.

En effet, ce n’est pas le sacrement de mariage qui rend indissoluble l’union de deux personnes qui entendent se donner complètement l’une à l’autre, c’est l’indissolubilité de tout amour humain véritable qui rend possible le sacrement de mariage.

La puissance révolutionnaire des paroles de Jésus sur le mariage ne vient pas du fait qu’il aurait décrété l’indissolubilité de l’union réelle de l’homme et de la femme. Elle vient du fait que Jésus la révèle, la reconnait, dès l’origine, dans l’épaisseur de la réalité humaine qu’est l’union véritable de l’homme et de la femme (« l’homme quittera son père et sa mère… Mt 19,5 s).

Il y a dans l’alliance conjugale entre deux personnes du « définitif » qui se crée, qui dépasse les deux personnes elles-mêmes et qui interdit de penser une nouvelle alliance après divorce comme une relation adultère de laquelle on pourrait sortir par un simple acte de volonté. La naissance d’enfants est le signe le plus manifeste de ce « définitif » qui est advenu.

Face à ce définitif créé par une deuxième alliance l’Église elle-même ne peut rien, et cela en vertu du caractère ontologiquement indissoluble qu’elle reconnait à l’alliance de deux personnes qui se donnent réellement l’une à l’autre. Elle rencontre la limite qu’elle oppose par ailleurs aux « divorcés-remariés » pour ce qui concerne la première union qui ne peut être rompue. Il n’est en effet pas possible de défendre d’un côté l’indissolubilité du mariage sacramentel en se fondant sur une indissolubilité ontologique que le sacrement viendrait révéler, conforter, transcender et d’un autre côté considérer une seconde union, souvent humainement plus solide, comme pouvant être dissoute du seul fait d’un acte de volonté. Ou alors, il faudrait se résoudre à placer le fondement, le tout de l’indissolubilité, dans la seule action du sacrement. Cela n’est bien sûr pas le cas puisque l’Eglise reconnaît le caractère indissoluble du mariage civil entre deux personnes non-baptisées.

Distinguer indissolubilité et unicité

Reconnaître le caractère d’indissolubilité à une seconde union après un divorce, et ainsi faire droit à l’expérience humaine vécue par tant et tant de personnes, suppose de ne pas trop facilement associer indissolubilité et unicité.

Les personnes veuves qui font le choix, après un temps, de se remarier font le plus souvent l’expérience bouleversante et déstabilisante de pouvoir aimer deux personnes d’un amour différent mais total. Ces personnes découvrent que leur second amour n’a pas dissous le premier qui conserve toute sa place, toute sa valeur unique. Ils font, de façon licite aux yeux de l’Eglise, l’expérience que font de façon illicite les « divorcés-remariés ». C’est un fait, nos relations amoureuses véritables laissent une trace indissoluble, ineffaçable, dans nos vies. Elles ne s’effacent pas les unes les autres.

L’unicité qui est la vocation ultime de tout amour conjugal véritable, image de l’amour du Christ pour son Eglise, est signifiée par le sacrement de mariage qui, lui, n’est pas réitérable (sauf veuvage ou annulation du premier mariage). Par le sacrement dont ils sont les ministres, les époux reconnaissent explicitement la présence du Seigneur au cœur de leur amour. Ils reconnaissent explicitement cet amour comme un don de Dieu. Ils reconnaissent que leur mariage est une vocation, un appel à donner à voir une forme particulière de l’amour intime de Dieu pour chacune de ses créatures. L’indissolubilité est en conséquence bien loin d’épuiser à elle seule le tout de la valeur unique du sacrement de mariage.

Dès lors que les personnes « divorcées-remariées » sont confrontées au définitif de la situation qu’elles ont créée en s’engageant dans une deuxième union conjugale véritable, cela signifie-t-il pour autant que tout accès au sacrement de réconciliation serait impensable ? Cela reviendrait à considérer leur second « oui » comme une faute impardonnable, situation à laquelle l’Eglise, dispensatrice de la miséricorde divine, peut difficilement se résoudre.

Pour sortir de cette impasse, le recours à la distinction entre infraction instantanée et infraction continue en droit pénal est particulièrement éclairant. Cette analogie permet de fonder une nécessaire distinction entre d’une part la décision de s’engager dans une seconde union, et d’autre part les conséquences objectives et définitives entrainées par cette décision. Et d’en tirer les conséquences.

La distinction entre infractions simples et infractions continues en droit pénal

Dans le droit pénal en vigueur dans tous les systèmes de droit tant romain qu’anglo-saxon, la doctrine commune opère une distinction fondamentale entre les infractions instantanées et les infractions continues.
Les infractions instantanées sont des infractions, tels le meurtre, dont l’acte d’exécution se déroule en un temps limité et clairement identifiable. Le meurtre emporte une conséquence définitive sur laquelle le meurtrier ne peut plus rien. Il peut être jugé sur la gravité de son acte et il peut le cas échéant en demander pardon.

Les infractions continues au contraire, tels le vol avec recel (c’est-à-dire le fait de conserver pour soi l’objet volé), se prolongent de manière indéfinie dans le temps, et l’infraction se réalise aussi longtemps qu’il n’est pas mis fin volontairement à la situation répréhensible. Le voleur continue l’infraction qui s’aggrave avec le temps aussi longtemps qu’il n’a pas rendu l’objet volé. Il ne peut demander pardon avant d’avoir rendu l’objet à son propriétaire.
Cette distinction emporte des effets juridiques significatifs. C’est ainsi notamment que, dans le cas de l’infraction continue, aucun délai de prescription ne peut courir aussi longtemps qu’il n’est pas mis volontairement fin à la situation répréhensible. Il est important de bien noter que le critère discriminant est celui de la volonté : une infraction est dite continue parce qu’une action répréhensible se poursuit dans le temps du fait d’actes de volonté sans cesse réitérés et que l’on pourrait donc stopper à tout instant.

La question est de savoir si le fait de s’être engagé dans une seconde union conjugale est analogiquement assimilable à une infraction instantanée ou à une infraction continue. Est-ce que, comme dans le cas du vol, on peut mettre fin à tout moment à l’infraction (rompre la seconde alliance), ou est-ce que, comme dans le cas du meurtre, le fait de s’être engagé dans une seconde alliance crée du définitif qui échappe à la volonté même de ceux qui l’ont contractée ?

La position magistérielle actuelle de l’Eglise, sans avoir posé explicitement cette distinction, assimile en fait une seconde alliance entre deux personnes, dont l’une au moins a été mariée sacramentellement, à une infraction continue, c’est-à-dire une infraction qui persiste dans le temps en raison d’une manifestation répétée de la volonté des conjoints de persister dans une situation gravement fautive. Il semblerait plus juste de ranger le fait d’entrer dans une seconde alliance dans la catégorie des infractions instantanées dont les effets perdurent dans le temps.

Il s’agit en effet clairement d’une action unique de la volonté qui entraîne des conséquences permanentes, et même définitives. Il y a d’une part un acte de la volonté, possiblement fautif, qui est celui de s’engager dans une nouvelle alliance. Et il y a d’autre part tous les actes de la volonté qui vont être posés au fil des jours et des ans et qui sont de même nature que ceux posés par tous les couples qui construisent une destinée commune et en assument ensemble les difficultés. Ces actes de la volonté ne font pas absolument nombre avec le « oui » prononcé un jour devant le maire ou dans l’intimité d’une relation. Ils sont la conséquence nécessaire de ce « oui ». Ils ne peuvent être considérés comme une persistance obstinée dans une situation de péché mais bien comme la volonté de vivre et de réussir une relation d’alliance dans laquelle on a, un jour, décidé de s’engager, serait-ce pour la seconde fois, serait-ce même de manière gravement fautive. La différence entre ces deux ordres de volonté est fondamentale par les conséquences qu’elle emporte.

Les conséquences de la reconnaissance de la seconde alliance comme « infraction » instantanée et non pas continue

La distinction (sans séparation) entre d’une part l’acte singulier de la volonté, enfermé dans le temps d’un « oui », d’entrer dans une relation d’alliance conjugale, et d’autre part les actes quotidiens de la volonté de faire s’épanouir cette alliance afin qu’elle donne ses fruits (des enfants peut-être, mais pas uniquement) entraine au moins trois conséquences positives :

1. Elle permet de prononcer une parole de vérité, et donc aussi éventuellement de réconciliation sacramentelle, sur une action passée qui emporte des conséquences dans le présent et dans l’avenir.
Dès lors en effet que l’on considère, comme c’est le cas en ce moment, qu’il ressort d’un même acte de la volonté de s’engager dans une nouvelle alliance et de s’y maintenir (infraction continue), il ne peut être dit sur cette situation aucune parole de vérité et de réconciliation sacramentelle aussi longtemps que la personne ne renonce pas à cette deuxième alliance. Or cela est impossible si cette deuxième alliance est une véritable alliance conjugale qui pourrait être couronnée par le sacrement de mariage s’il n’y avait pas l’impossibilité dirimante d’un premier mariage sacramentel valide.

En revanche dès lors que l’on distinguerait entre d’une part la décision fondatrice de l’alliance conjugale (le « oui »), et d’autre part la situation permanente qui en résulte, l’Église pourrait poser sur les actes qui ont conduit à la rupture de l’alliance une parole de vérité et possiblement une parole de réconciliation. Elle pourrait ainsi pleinement honorer sa vocation de pasteur qui éclaire, guide, juge et réconcilie sacramentellement. Un berger ne peut pas laisser une de ses brebis dans une situation impossible. Ou alors cela signifie qu’il se résigne à courir le risque de la perdre.

Cette distinction permettrait aussi aux personnes concernées de pouvoir, peut-être dans le cadre d’un cheminement spirituel accompagné, poser un regard apaisé sur des agissements passés qui ont pu contribuer à la rupture de l’alliance. Un tel regard sur son passé est rendu d’autant plus possible qu’une vie chrétienne dans l’Eglise, nourrie par les sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie, peut être envisagée.

Considérer qu’il est impossible de prononcer une parole sacramentelle de pardon en faveur d’une personne ayant pleinement conscience de ses éventuels manquements mais confrontée au définitif de sa situation, revient en fait à reconnaître dans la rupture d’alliance sacramentelle une faute irrémissible. Il vaut mieux le dire plutôt que de s’abriter derrière la fiction d’un impossible retour en arrière.

A cet égard l’analogie précédemment évoquée avec le meurtre est provocante mais éclairante. Un meurtrier repenti peut être sacramentellement réconcilié. Pourtant son acte emporte également des conséquences irréparables et définitives qui se prolongent dans le temps ne serait-ce que dans le cœur des proches de la victime. Mais le meurtre est à juste titre traité comme une infraction instantanée car aucun retour en arrière n’est possible. Le meurtrier peut donc bénéficier d’un pardon que l’on refuse à une personne engagée dans une seconde alliance tacitement assimilée à une infraction continue. Mais s’il est posé qu’une seconde alliance crée une situation de vie tout aussi définitive que le meurtre crée une situation définitive de mort, on voit difficilement pourquoi une réconciliation sacramentelle pourrait être accordée à l’un et refusée à l’autre.

2. Elle permet aussi de distinguer entre les différentes situations personnelles et de sortir de l’appellation peu satisfaisante des « divorcés-remariés ».

Le fait de s’attacher à considérer pour elle-même, et dans son caractère irréversible, la décision fondatrice, le « oui » de la deuxième alliance, permet de sortir de l’amalgame du groupe des « divorcés-remariés ». Chaque personne a une histoire singulière qui nécessite un discernement et une recherche de vérité spécifiques. Être quitté(e) pour un(e) autre et tenter de « refaire sa vie » après un deuil douloureux est différent de briser une alliance et partir avec l’un des morceaux. Cela permet aussi de ne pas trop facilement enfermer dans une même « solidarité de péché » celui ou celle qui n’a jamais été marié(e) et qui épouse une personne divorcée sans avoir aucune part de responsabilité dans la rupture de la première union. L’alliance véritable entre deux personnes tire sa grandeur de sa fragilité et innombrables sont les causes de rupture, il n’est pas besoin de s’étendre.

3. Elle permet enfin de ne pas réduire au seul remariage la question de l’indissolubilité, mais de porter un regard sur la rupture en elle-même.
Selon la position magistérielle actuelle de l’Eglise, c’est le remariage davantage que la rupture de la première alliance qui pose véritablement problème. Ainsi lorsque l’Encyclique « Familiaris Consortio » traite des « divorcés non remariés », elle fait preuve de la plus grande compréhension quant aux causes possibles d’une rupture d’alliance :
« Divers motifs, tel l’incompréhension réciproque, l’incapacité de s’ouvrir à des relations interpersonnelles, etc., peuvent amener à une brisure douloureuse, souvent irréparable, du mariage valide. Il est évident que l’on ne peut envisager la séparation que comme un remède extrême après que l’on ait vainement tenté tout ce qui est raisonnablement possible pour l’éviter. » (F.C.83)

Il y a là la reconnaissance explicite de la possibilité objective d’une rupture irréparable du lien d’alliance, mais ce n’est pas elle qui est répréhensible si elle est justifiée par l’impossibilité objective de maintenir une vie commune.

Une focalisation excessive sur la deuxième alliance peut masquer le fait que l’atteinte fondamentale, humainement et spirituellement, se fait bien d’abord et avant tout au moment de la rupture du premier lien. Donner l’impression que l’on pourrait exonérer un conjoint de sa responsabilité dans la rupture au seul motif qu’il ne s’est pas engagé dans un nouveau lien d’alliance, lui fait courir le risque de ne pas pouvoir faire la vérité sur un acte qui peut nécessiter regret, demande de pardon à son conjoint, et demande de réconciliation sacramentelle.

Dans ce cas encore, l’analogie avec la distinction entre infraction instantanée et infraction continue est pertinente. En effet, dès lors qu’une seconde alliance véritable est conclue après la rupture du premier lien, on se trouve, selon nous, analogiquement dans le cas d’une infraction instantanée qui emporte des effets permanents et définitifs. Dès lors en revanche qu’un lien est rompu sans volonté de nouer un autre lien, mais avec la seule volonté, par exemple, de jouir d’une liberté que l’on considérait perdue, on se trouve dans le cas d’une infraction continue et non plus instantanée.
Dans ce cas en effet, il y aurait clairement une volonté répétée de se maintenir dans une situation de séparation alors que rien ne ferait obstacle formellement à la reconstitution de l’alliance conjugale. C’est bien le même mouvement de la volonté qui a décidé de la rupture et qui maintient dans cette situation de rupture. On perçoit aisément la différence avec la situation précédente. Dans ce cas-là paradoxalement, on comprendrait davantage que l’on puisse faire état d’une persistance dans l’état de péché de nature à faire obstacle à la réception du sacrement de réconciliation.

Vers une nécessaire pastorale de la réconciliation

La distinction juridique opérée par l’analogie avec les infractions continues et instantanées en droit pénal présente l’avantage d’ouvrir théologiquement la porte à une pastorale de la réconciliation sans que soit remise en cause l’affirmation du caractère indissoluble du mariage. Une telle pastorale de la réconciliation est même la seule à pouvoir conjuguer deux réalités qui par essence ne peuvent pas être incompatibles : l’indissolubilité du mariage et la miséricorde infinie de Dieu. Or toutes les alternatives offertes aujourd’hui aux « divorcés-remariés » font injure à l’une, à l’autre ou au deux.

– Le recours à la déclaration en nullité du premier mariage pour un vice de consentement (immaturité…) revient à dire qu’il n’y a jamais eu alliance. Les cas de véritable nullité sont extrêmement rares et sont la conséquence d’une déficience de la part de ceux qui ont préparé les futurs époux. Ou alors cela signifie qu’il faudrait avoir le courage de refuser de célébrer de nombreux mariages, avec les conséquences pastorales que l’on peut aisément imaginer. Si en revanche la procédure est employée pour adoucir ou détourner la règle de l’indissolubilité, elle fait violence tant à la doctrine véritable de l’Eglise en matière d’indissolubilité qu’aux personnes dont des années de vie sont niées, comme nulles et non avenues. Sans parler des enfants qui seraient nés du néant.

– L’abstinence eucharistique découlant de l’impossibilité de recevoir le sacrement de réconciliation est aussi une violence inouïe faite aux personnes dont il est difficile de mesurer la portée. Cette interdiction, sauf arrangement pastoral plus ou moins clandestin, est parfois pudiquement appelée « jeûne eucharistique ». Mais le jeûne est par nature fait pour être rompu. Or des divorcés-remariés qui n’entendent pas briser leur famille ne pourront jamais rompre le jeûne. Il ne s’agit donc pas d’un jeûne mais de la privation définitive d’une nourriture que nous tenons pour essentielle dans la vie d’un chrétien. Autant le dire clairement.

– L’abstention des actes réservés aux époux, ou la vie en « frère et sœur », pour désigner une vie conjugale dépourvue de relations sexuelles, placent les personnes dans une situation pour ainsi dire impossible. Et là encore les formulations font violence tant aux personnes qu’à la vision chrétienne de l’alliance. Les relations sexuelles n’épuisent pas l’alliance, il y a une vie dans l’alliance après les relations sexuelles ou même sans elles. Elles ne sont en aucun cas l’ultime de l’alliance et il y a bien d’autres actes réservés aux époux.

Sans parler de l’intimité et de la tendresse au quotidien, l’acte réservé aux époux est d’abord de se regarder comme unique l’un pour l’autre et de se donner l’un à l’autre cette part la plus intime de soi telle que ce don fonde précisément l’unicité de l’alliance et son indissolubilité ontologique.

L’expression « vivre en frère et sœur » n’est pas non plus dépourvue d’ambiguïté. En effet pour ceux qui ont ressenti l’appel à vivre quelque chose de cette fraternité, par exemple sous la forme de la vie religieuse, il y a là un idéal de vie qui diffère de la relation d’alliance entre deux personnes.

C’est une vocation, non un pis-aller. Et cette vocation consiste précisément à renoncer à ce don le plus intime de soi-même à une personne, à le réserver, afin de vivre quelque chose de l’universalité de l’amour divin. Entre ces deux états de vie, il y a plus qu’une question de relations sexuelles. Il s’agit d’une différence de vocations exprimant chacune, et de façon complémentaire, un aspect de l’amour divin.

Pour conclure…

C’est dans le fondement même de l’indissolubilité de l’alliance véritable entre deux êtres qu’il faut chercher à résoudre les signes de contradiction entre ce sommet de l’amour humain et ses inévitables et douloureux échecs, et non pas dans la recherche d’un compromis a minima entre deux ordres de réalités qui seraient divergents. Il n’y a pas d’un côté des paroles du Christ qui dessineraient un idéal de l’amour conjugal et de l’autre côté de nécessaires concessions qui risqueraient de trop les relativiser.

La voie qui a été explorée vise à considérer dans sa radicalité le caractère indissoluble de l’alliance entre deux êtres et à le reconnaître à la seconde alliance au même titre qu’à la première. La deuxième alliance crée donc une situation définitive qui dépasse tant les deux partenaires que l’Église elle-même. Il ne s’agit nullement de relativiser la valeur unique du mariage sacramentel. Bien au contraire, lorsqu’un avenir se dessine, la tentation est moins forte de vouloir nier le passé.

L’expérience humaine atteste qu’il est possible de vivre une seconde alliance dans toute sa fécondité, même après l’échec d’une première. Il importe en conséquence de bien distinguer indissolubilité du lien conjugal et unicité qui ne sont pas synonymes. L’unicité à laquelle aspire l’amour conjugal est signifiée par le sacrement de mariage dont l’indissolubilité n’épuise pas le sens.

L’analogie avec la distinction entre infraction instantanée et infraction continue en droit pénal permet d’opérer une distinction essentielle entre deux niveaux de volonté : d’une part l’acte de volonté fondateur de la deuxième alliance (le « oui »), et d’autre part les actes quotidiens de la volonté inhérents à la réussite de toute relation conjugale.
Dès lors, la prise en compte du caractère définitif, indissoluble, d’une alliance véritable, même non sacramentelle, ainsi que la distinction des différents niveaux de volonté, permet de sortir de l’impasse que constitue la qualification de persistance obstinée dans un état de péché pour des couples qui vivent un amour conjugal véritable.

Il devient alors possible tant pour les personnes en cause que pour l’Eglise elle-même de porter un regard de vérité, et le cas échéant une parole de pardon, sur un acte (l’engagement dans une seconde alliance) enfermé dans le temps d’un « oui », et cela indépendamment de la persistance de la deuxième alliance. Cette possibilité ouvre la porte à une démarche de réconciliation sacramentelle, selon des modalités à définir, en dépit de la poursuite d’une seconde alliance. Ces modalités qui pourraient prévoir un cheminement, des étapes, devraient évidemment aussi prendre en compte la dimension de réparation autant que cela est possible comme dans toute démarche de réconciliation.

Une telle voie ne serait pas de nature à entraîner plus de scandale ou d’incompréhension que les alternatives actuellement offertes aux « divorcés-remariés » qui ont en commun de faire violence tant aux personnes qu’aux fondements même de la foi. Bien au contraire elle ouvrirait grand les portes de la miséricorde de Dieu manifestée sacramentellement, sans faire bien sûr l’économie de l’épreuve de la vérité et sans remettre en cause le caractère unique du sacrement de mariage.

z/ Conférences épiscopales

Dans un document publié le 22 décembre 2014, la conférence épiscopale allemande se prononce pour un accès sous condition des divorcés remariés aux sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation. Le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la Conférence des évêques allemands déclare dans un communiqué publié le même jour : « En raison de leur expérience pastorale et sur la base de leur réflexion théologique, [les évêques allemands] plaident pour des solutions différenciées qui répondent à chaque cas de façon équitable et permettent l’admission aux sacrements sous certaines conditions.»

III / Quelques pistes de réflexion
A) L’enseignement du Christ et des apôtres

Jésus rappelle avec force le grave devoir de fidélité au regard de l’indissolubilité de l’engagement matrimonial : il est centré sur la personne et non d’abord sur le droit. Il ne s’agit pas non plus d’une nouvelle formulation juridique de la loi mosaïque.

L’enseignement des apôtres tient compte des milieux et laisse place à des situation d’exception.

B) L’enseignement de l’Église

◙ l’Église ne reconnaît pas l’échec en matière de relations conjugales : vous êtes mariés ? Vous êtes condamnés au bonheur !

◙ les divorcés remariés sont exclus de la sacramentalité de l’Église. Ils sont souvent considérés comme étant en état de péché grave.
« L’état des divorcés remariés et leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le Christ et l’Église, signifié et mis en œuvre dans l’Eucharistie » (Benoît XVI).

Tension entre :
+ l’exigence de vérité : tout divorce est la sanction d’un échec,
+ et la miséricorde de Jésus qui ne juge pas cet échec.

◙ si le remariage peut être légitime dans certains cas où le mariage précédent est vraiment « mort », les exclusions n’ont plus de raison d’être. Oui, mais quand peut-on dire qu’un mariage est « vraiment mort » ?

◙ et puis l’Église reconnaît bien la séparation de corps, où la communauté de vie et d’amour a disparu.

◙ la théologie identifie le lien entre les époux à celui du Christ et de l’Église, d’après Éphésiens 5 : cela pose question. N’y a-t-il pas moyen de trouver une autre base théologique et scripturaire au mariage ?
C) Le Droit canonique : la nullité de mariage

¤ La nullité de mariage est un procès qui ne prend en considération que les irrégularités au jour du « mariage » et déclare justement qu’il n’y a pas eu mariage, même s’il y a des enfants nés de ce « mariage ».

¤ Mais comment déclarer nul, à cause de difficultés rencontrées, un mariage valide à l’origine et qui a parfois été vécu pendant des années comme une vraie communion de vie et d’amour, un vrai bonheur ?
De nombreuses difficultés de couples peuvent survenir après le mariage, sans qu’il soit possible de trouver un vice de forme.

¤ Le « droit au mariage » résulte de la confusion entre l’état conjugal et le sacrement de mariage. Si l’on distingue ces deux réalités, on peut préserver l’indissolubilité du mariage sacramentel, tout en gérant l’état conjugal par des dispositions appropriées.

¤ Le Droit canon dit que l’état conjugal génère pour les baptisés deux obligations :
* le mariage sacrement pour l’édification du Peuple de Dieu,
* l’éducation chrétienne des enfants.

¤ La reconnaissance de nullité du mariage va à l’encontre du respect de la dignité du sacrement de mariage et de la valorisation de l’indissolubilité. En fait, dans un mariage, il y a toujours immaturité et tous les mariages devraient être nuls !

D’ailleurs, le cardinal Kasper pense que chercher la solution du problème dans un élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une erreur.
D) Le Droit pénal : l’infraction (Vesco)

► les divorcés remariés sont confrontés à un dilemme impossible : ou bien rompre avec leur second conjoint ou bien vivre en « frère et sœur »

► quant à l’infraction (violation d’une loi), le droit pénal distingue :
* l’infraction instantanée ex : meurtre = irréversible
* l’infraction continue ex : vol avec recel (cacher une chose volée) = possible restitution, qui repose sur la volonté.
Si le lien est rompu pour nouer une seconde alliance, il y a infraction instantanée.
Si le lien est rompu sans volonté de nouer un autre lien, il y a infraction continue.

► l’Église assimile la seconde union à une infraction continue, que l’on peut interrompre à tout moment. Mais en fait, la seconde union est plutôt une infraction instantanée, le passage d’une situation de mort à une situation de vie.

► une pastorale de la réconciliation suppose un pardon pour l’échec, et un « oui » pour la seconde union.
► ce n’est pas le sacrement de mariage qui rend indissoluble l’union des deux personnes, c’est l’indissolubilité de tout amour humain véritable qui rend possible le sacrement de mariage.

► l’Église reconnaît le caractère indissoluble de l’alliance entre l’homme et la femme. Donc, la seconde alliance, scellée au civil, ne peut être dissoute par un simple acte de volonté – pas plus que la première.

► il faut distinguer l’indissolubilité et l’unicité.
L’unicité, liée à l’image de l’amour du Christ pour l’Église signifiée par le sacrement de mariage, est non réitérable, d’où le non accès au sacrement de réconciliation.
Cela revient à considérer le second « oui » comme une faute impardonnable, situation à laquelle l’Église ne peut se résoudre.

► il faut distinguer :
* le consentement du « oui » initial qui fonde la relation conjugale,
* et les actes de volonté quotidiens qui vont épanouir cette alliance.

1. cette distinction permet de prononce rune parole de vérité, et éventuellement de réconciliation sacramentelle sur une action passée, qui a des conséquences dans le présent et dans l’avenir. La première conséquence est de porter un regard apaisé sur ce qui a été, ce qui évite de considérer la rupture d’alliance sacramentelle comme irrémissible.

Un meurtrier repenti peut être sacramentellement réconcilié. Pourtant son acte emporte également des conséquences irréparables et définitives qui se prolongent dans le temps ne serait-ce que dans le cœur des proches de la victime.
Mais le meurtre est à juste titre traité comme une infraction instantanée car aucun retour en arrière n’est possible.
Le meurtrier peut donc bénéficier d’un pardon que l’on refuse à une personne engagée dans une seconde alliance tacitement assimilée à une infraction continue.
Mais s’il est posé qu’une seconde alliance crée une situation de vie tout aussi définitive que le meurtre crée une situation définitive de mort, on voit difficilement pourquoi une réconciliation sacramentelle pourrait être accordée à l’un et refusée à l’autre.

2. cette distinction permet de distinguer chaque cas particulier qui nécessite un discernement et une recherche de vérité spécifiques : tenter de « refaire sa vie » après un deuil douloureux est différent de casser une alliance et partir avec l’un des morceaux, soi-même.
L’alliance véritable entre un homme et une femme tire sa grandeur de sa fragilité, et innombrables sont les causes de rupture.

3. cette distinction permet de ne pas réduire au seul remariage la question de l’indissolubilité, mais de porter un regard sur la rupture du premier lien.
Le remariage ne dispense pas le conjoint du premier mariage :
○ d’assumer ses responsabilités,
○ de faire la vérité sur des actes qui peuvent nécessiter des regrets,
○ de demander pardon à son premier conjoint,
○ de demander la réconciliation sacramentelle

► paradoxalement, si l’on reste séparés alors que rien n’empêche la reconstitution de l’alliance conjugale, on est en état de péché, qui fait obstacle à la réception du sacrement de réconciliation.

► une nécessaire pastorale de la réconciliation ne remet pas en cause l’affirmation du caractère indissoluble du mariage.

le recours à la déclaration en nullité du premier mariage,
► trois formes de violence l’abstinence eucharistique,
l’abstention des actes réservés aux époux « frère et sœur ».

Sans parler de l’intimité et de la tendresse au quotidien, l’acte réservé aux époux est d’abord de se regarder comme unique l’un pour l’autre et de se donner l’un à l’autre cette part la plus intime de soi telle que ce don fonde précisément l’unicité de l’alliance et son indissolubilité ontologique.

► l’expression « vivre en frère et sœur » n’est pas non plus dépourvue d’ambiguïté. En effet pour ceux qui ont ressenti l’appel à vivre quelque chose de cette fraternité, par exemple sous la forme de la vie religieuse, il y a là un idéal de vie qui diffère de la relation d’alliance entre deux personnes.

C’est une vocation, non un pis-aller. Et cette vocation consiste précisément à renoncer à ce don le plus intime de soi-même à une personne, à le réserver, afin de vivre quelque chose de l’universalité de l’amour divin. Entre ces deux états de vie, il y a plus qu’une question de relations sexuelles. Il s’agit d’une différence de vocations exprimant chacune, et de façon complémentaire, un aspect de l’amour divin.
E) Attitudes de l’Église

a) Reconnaît-elle la répugnance qu’ont parfois les époux à venir étaler leurs difficultés conjugales devant un tribunal ecclésiastique ?
b) Peut-elle discerner convenablement quand un mariage est véritablement et irrémédiablement « mort » et quand un remariage peut être légitime ?
c) Peut-on laisser aux personnes concernées le soin de juger si leur mariage est irrémédiablement « mort », et s’il leur est légitime, devant Dieu, de contracter un nouvel engagement ?
d) Le remariage peut-il avoir un statut sacramentel ?
– si le remariage est légitime, il doit être reconnu de plein droit par l’Église.
– si le sacrement est très important pour ceux qui s’engagent dans le mariage, il l’est tout autant pour ceux qui s’engagent dans le remariage,
– l’attitude plénière d’accueil dans l’Église de ceux qui ont vécu une première épreuve difficile est incompatible avec une exclusion du sacrement par lequel l’Église veut justement que se sanctifient ceux qui s’engagent dans le mariage.
e) Comment la religion de la miséricorde peut-elle tolérer de refuser l’accès au sacrement de pénitence et de la miséricorde de Dieu ?
f) Comment une démarche d’amour sincère peut-elle être condamnée de façon irrémédiable dans une religion de l’Amour ?
g) Pourquoi les divorcés remariés sont-ils exclus de la sacramentalité de l’Église, alors qu’ils ne sont pas exclus de l’Église ?
h) Pourquoi les classer dans une catégorie « état peccamineux » en contradiction avec la communion eucharistique, et non de voir la conscience personnelle des personnes ?
i) Surévaluation : le sacrement de mariage n’est pas LE sacrement de l’Alliance à l’égal de l’Eucharistie.
F) La conscience personnelle

* L’Église ne peut attenter à la conscience individuelle.

* Faire appel au principe de la conscience personnelle suppose :

une conscience éclairée (culture, valeurs…),
une reconnaissance des fautes,
une besoin de l’Eucharistie.

* la personne humaine a droit à la liberté religieuse : nul ne peut être forcé d’agir contrer sa conscience.

* il y a une vérité objective (la personne du Christ : Je suis la vérité) et des consciences subjectives, autant que de personnes. Ceci va contre :
– le subjectivisme : à chacun sa vérité, c’est la sincérité qui compte,
– l’autoritarisme : la vérité doit obliger tout le monde, car l’erreur n’a aucun droit. Les conceptions autoritaires de la foi et de la vérité ont toujours tendance à réduire la foi et la morale à un système de défense.

* la conscience est la messagère de Celui qui, dans le monde de la nature comme dans celui de la grâce, nous parle à travers le voile, nous instruit et nous gouverne (Newman).

« Si l’Église te dit quelque chose et ta conscience te dit l’inverse, suis ta conscience tout en veillant à l’éclairer par l’enseignement de l’Église. C’est à toi que revient en conscience la décision. »(Gilbert) saint Thomas d’Aquin

* les divorcés remariés sont entrés par le baptême dans l’Église et dans la vie de Dieu. Mais l’eucharistie n’est pas pour eux (ni pour personne) un droit (ni une consommation).

* demander aux divorcés remariés de vivre comme « frère et sœur » pour pouvoir communier, cela n’a pas de sens :
– car comment vérifier qu’ils n’ont pas de relations sexuelles, dans la tendresse de leur intimité charnelle ? L’Église serait-elle comme un flic ?
– car cela souligne un certain mépris de la sexualité, qui est une tendance de l’Église hiérarchique. Ce qui est beau dans le mariage ne saurait être vécu par des divorcés remariés.

* en redécouvrant le mystère du sacrifice eucharistique, les « blessés de l’Alliance » y participent, mais à leur juste place. Ils nous réapprennent et nous révèlent ce que doit être la vraie communion eucharistique, vraie communion au Christ. Ils nous aident ainsi à comprendre la distinction entre la communion au Corps du Christ et la participation au sacrifice eucharistique.
G) Mariage orthodoxe et principe de miséricorde

Chez les Orthodoxes :
* l’homme et la femme s’arrachent à leur lignée pour aller l’un vers l’autre et devenir une seule chair, un seul être.
* le mariage est le sacrement de l’amour ; il est indissoluble parce qu’il est saint.
* la sexualité perd son autonomie et devient langage dans la rencontre fidèle de deux personnes.
* le thème du péché originel lié à la sexualité est étranger à l’Orient chrétien.
* l’homme ne naît pas coupable, il naît pour mourir : c’est cette finitude close qui, barrant l’instinct d’éternité de l’image de Dieu en lui, suscite des conduites de fuite et des déviances.
* dans le Christ, l’homme renaît pour vivre à jamais : le mariage est une immense bénédiction de la vie.
* l’union conjugale de deux personnes devient une union divine : d’où le caractère de mystère que l’Église confère au sacrement. Il concerne le Christ et l’Église.
* un vrai mariage chrétien ne peut être qu’unique, « parce que c’est un mystère du Royaume de Dieu qui introduit l’homme dans la joie et l’amour éternels » (Meyendorff). L’homme, dépendant de la faiblesse et du péché de l’existence humaine, est convié à être un collaborateur de Dieu.
* finalité du mariage : d’abord l’amour mutuel, la communauté, et l’aide que s’apportent les conjoints dans la perspective de leur croissance dans le Christ. Ensuite maîtrise de la pulsion sexuelle, et procréation.
* la communauté conjugale a un caractère ecclésial : « la petite Église ». Les noces de Cana sont les noces des époux avec Jésus. Le mariage est une icône mystérieuse de l’Église.

* l’Eglise orthodoxe peut admettre le divorce et le remariage, sur la base d’une interprétation de ce que le Seigneur dit en Mt.,19,9: « Si quelqu’un répudie sa femme – sauf en cas d’union illégale – et en épouse une autre, il est adultère ». Selon l’évêque Kallistos Ware, le divorce est une attitude d' »économie » ou de « philanthropie » de l’Eglise envers un pécheur. « Puisque le Christ, selon le récit de Matthieu, a permis une exception à sa règle générale sur l’indissolubilité du mariage, l’Eglise orthodoxe peut consentir à des exceptions ».
La question qu’on peut se poser est celle de savoir si le Christ a considéré le mariage comme « indissoluble ». Sur ce point, il faut être très clair, car lorsqu’il enseigne que le mariage ne peut pas être dissous (donc ce n’est pas permis), cela ne veut pas dire que cela ne peut pas arriver (ce n’est donc pas exclus). La plénitude de la communauté conjugale peut être atteinte par le comportement erroné de l’être humain.
En d’autres termes, c’est la transgression qui rompt le lien. Le divorce n’est que le résultat d’une rupture.

*la dissolution d’un mariage ne crée pas ipso facto le droit de contracter un autre mariage. Si nous nous reportons à l’époque de l’Eglise primitive, celle des premiers siècles, il nous faut observer que l’Eglise n’avait aucune compétence juridique par rapport aux mariages, et qu’elle ne s’est donc jamais exprimée sur la validité de ceux-ci.

*Et pourtant le droit canonique orthodoxe permet, au nom de « l’économie », un deuxième et même un troisième mariage, mais interdit strictement un quatrième. En principe, le divorce n’est reconnu qu’en cas d’adultère, mais pratiquement il l’est aussi pour d’autres raisons. Il existe une liste de motifs de divorce, admis par l’Eglise orthodoxe. Dans la pratique les évêques appliquent à l’occasion l' »économie » avec libéralité. Pourtant, le divorce et le remariage ne sont tolérés qu’au nom de l’économie », c’est-à-dire par souci pastoral, par compréhension de la faiblesse humaine. Un deuxième ou un troisième mariage sera donc toujours une déviation par rapport à l' »idéal d’un mariage unique », souvent une nouvelle chance pour « corriger une faute ».

* D’après le droit canonique de l’Eglise orthodoxe, l’économie est « la suspension d’une application absolue et stricte des directives canoniques et ecclésiastiques dans la direction et dans la vie de l’Eglise, sans que soient compromises pour autant les limites imposées par le droit. La mise en œuvre de l’économie n’est réalisée que par l’autorité ecclésiastique compétente et ne vaut que pour des cas concrets ».

*Un « canon » est une « règle » ou un « fil conducteur » pour la liturgie, les sacrements et la direction de l’Eglise. Il y a des canons définis par les Apôtres, par les Pères de l’Eglise, ou par des conciles locaux ou oecuméniques. Seul l’évêque, tête de l’Eglise locale, peut les adapter. Il peut les appliquer de manière stricte (« acrivia ») ou souple (« économie »), mais la « précision » (acrivia) reste la norme. Une fois que la circonstance particulière est passée, qui a suscité un jugement indulgent et accommodant dans un cas bien précis, l' »akrivia » reprend toute sa force. Il ne peut se faire que l’économie, qui était nécessaire dans une situation concrète, puisse devenir un exemple attirant et, par la suite, être érigée en règle. Pour l’Eglise orthodoxe, l’économie est un concept qui ne peut être comparé à la « dispense » dans l’Eglise catholique romaine. La dispense est une exception dûment prévue, qui est considérée comme normative en marge de la règle juridique.

*En fait, l’économie se base sur la recommandation faite par le Christ à ses apôtres : « Recevez l’Esprit Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn, 20 22s).
C’est le cas lorsque une vie conjugale humaine devient impossible en raison du dépérissement spirituel de l’amour.
C’est alors que l’Eglise, Corps du Christ, peut appliquer l’économie, en raison de sa compréhension et de sa compassion, ainsi que par souci pastoral, en particulier « en admettant un divorce et en n’excluant pas des fidèles pécheurs et faibles, ne les privant pas de la miséricorde et de la grâce de Dieu ».
Le but de l’économie est très précisément d’empêcher qu’une personne fragile soit définitivement exclue de la communion ecclésiale, à l’exemple du Christ, toujours prompt à sauver celui qui est perdu.

* le Bon Pasteur n’hésite pas à partir à la recherche de la brebis perdue.
A l’égard des divorcés, il est clair que chaque chrétien doit témoigner d’un amour discret. Ceci se situe dans le prolongement de ce que S. Jean Chrysostome a appelé « le sacrement du frère ». Il faut en tout cas éviter de juger ou de condamner son frère ou sa soeur.

* Häring : il y a mort morale quand le mariage en question ne laisse plus rien apparaître du caractère salvifique qu’il devrait avoir ; plus encore, quand la vie commune peut être préjudiciable au salut et à l’intégrité de l’un des conjoints. (…)
La mort morale n’est diagnostiquée – dans la perspective économique – que lorsqu’il n’est plus possible d’espérer, au vu de la réalité, un nouveau réveil de ce mariage sur le plan économique salvifique.
Dans cette perspective, on n’imagine donc pas l’hypothèse d’un second mariage à la hâte. On demande un temps de recueillement, un intervalle pour guérir les blessures ».
Un temps de deuil et de pénitence est donc requis.
Jean Meyendorff, théologien orthodoxe, précise que depuis saint Basile le Grand (mort en 379), « les personnes qui contractent un second mariage, après veuvage ou divorce, doivent subir une pénitence, c’est-à-dire s’abstenir de la communion pendant un ou deux ans. »
Häring fait remarquer « la dimension thérapeutique de la spiritualité de l’Eglise orientale : « Qui a perdu son conjoint par mort morale a besoin d’une plus grande compassion, et cette compassion ne doit pas dispenser d’aider éventuellement la personne concernée à reconnaître, face à soi-même et à Dieu, un manque personnel dont il faudrait tirer des leçons. »

En tant que sacrement, le mariage n’est pas un acte magique, mais un don de la grâce.
Les partenaires, étant des êtres humains, peuvent avoir fait une erreur en sollicitant la grâce du mariage, alors qu’ils n’étaient pas prêts pour la recevoir ; ou bien ils peuvent être incapables de faire fructifier cette grâce.
Dans ces cas, l’Eglise peut admettre que la grâce n’a pas été « reçue », accepter la séparation et permettre le remariage.
Mais, bien évidemment, elle n’encourage jamais les remariages à cause du caractère éternel du lien matrimonial ; mais elle les tolère seulement lorsque, dans des cas concrets, ils apparaissent comme la meilleure solution pour un individu donné. » Ces remariages ne sont pas sacramentels, comme l’explique également Olivier Clément dans le livre d’Armand Le Bourgeois.

La bénédiction du second mariage dans l’esprit de l’oikonomia

B. Häring : « Cette seconde bénédiction n’est pas comme la première une cérémonie entièrement dominée par la joie des noces, elle commence un peu comme une cérémonie pénitentielle en rappelant avec peine l’échec du premier mariage.
L’accent retombe alors sur la magnanimité de Dieu et sa miséricorde.
Evidemment, on n’insiste pas sur un droit, mais sur le fait qu’il faut rendre grâce à Dieu pour sa bonté et l’économie salvifique qui ne veut que le salut et le bien de l’homme.
Et on prie explicitement pour le don de la paix qui vient d’en haut. »

Rituel : « la longue ‘prière des anneaux’ est remplacée par une prière de supplication pénitentielle demandant ‘l’oubli des transgressions’, la purification, le pardon.
Les personnages bibliques mentionnés ne sont pas les couples pleins de gloire de l’Ancien Testament, mais Rahab, la prostituée (Josué 2, 1-24, Hébreux 11, 31 et Jacques 2, 25), le Pharisien et le Publicain (Luc 18, 10-14) et le Bon Larron (Luc 23, 40-43) : tous trois reçoivent de Dieu le pardon à cause de leur foi et de leur repentir.
Une deuxième prière indique que les fiancés ont été ‘incapables de supporter la chaleur du jour et le désir brûlant de la chair’ et que, pour cette raison, ils ont décidé d’accepter ‘le lien d’un second mariage’.
Sans procession vers le centre de l’église (donc sans Eucharistie), ni nouveau commencement, le couronnement est alors accompli et ne comporte que la troisième et très courte prière de l’ordo normal. »

Conclusion

L’Eglise orthodoxe, au nom du principe de l’oikonomia, selon lequel la miséricorde prime sur la rigueur en vue du salut des personnes, tolère une deuxième ou une troisième union, lorsque le précédent mariage est en quelque sorte « mort » moralement.
Sans encourager la nouvelle union, elle l’accepte et la bénit, au cours d’un rite spécifique, à la tonalité fortement pénitentielle.

En ce qui concerne le point de vue orthodoxe dans la problématique complexe du divorce et d’un éventuel remariage, il faut dire que tout cela est imprégné de sagesse. Elle souligne la valeur prioritaire du mariage chrétien durable et unique. Ce qui ne signifie pas que cette durabilité doive être vue en toutes circonstances comme le simple respect d’une décision juridique. L’Eglise orthodoxe ne veut pas fermer impitoyablement la porte de la miséricorde, mais elle reste néanmoins fidèle à l’enseignement du Nouveau Testament.
H) L’accompagnement des « blessés de l’Alliance »

a) Ces couples témoignent :

+ ils sont appelés à vivre dans l’Église où ils ont leur place ; ils ne sont pas excommuniés même s’ils ont une participation incomplète à la vie de l’Église.
+ ils peuvent et doivent s’ouvrir à la Parole de Dieu qui structure toute vie chrétienne.
+ ils vivent un réel engagement dans la foi, après l’épreuve et la souffrance.
+ ils sont témoins de la miséricorde de Dieu : leur mission est de montrer que rien n’est perdu, et que l’on peut recommencer même si l’on est allé très bas – ce qui est le propre du christianisme.
+ ils sont appelés à vivre leur état particulier comme un chemin de sainteté en lien avec la communauté ecclésiale, où la grâce de Dieu est présente ; elle n’est pas reçue uniquement dans les sacrements.
+ ils prennent part activement à toutes les formes d’expressions liturgiques (lecture de la Parole, animation de chants) et à toutes les assemblées de prière.

b) Ces couples sont appelés à se convertir et à nous convertir :

□ rien ne peut se faire que dans la durée et à travers un accompagnement de la communauté elle-même qui permettra aux divorcés remariés de découvrir une nouvelle relation à Dieu, reposant sur la prière, sur l’Écriture, la Tradition et le Magistère.
□ par la reconnaissance de leur transgression, des torts causés à l’époux(se) et aux enfants, par la réparation si possible, par la réconciliation avec l’ancien conjoint, par l’acceptation de la permanence mystérieuse du premier lien, ils affirment leur désir de vivre le lien présent à la lumière de l’Évangile.
□ parce que le désir de communion est au fond le désir de tout homme, cette nouvelle relation à Dieu leur permet de retrouver la guérison et la paix avec l’Église.

c) Ces couples nous montrent

÷ qu’il s’agit d’accueillir doucement une lumière qui vient d’ailleurs que de soi-même.
÷ que vivre cela permet finalement de rentrer plus profondément dans l’amour de Dieu.
÷ que le chemin de reconnaissance du péché est un chemin de joie, et c’est bien cela auquel on ne s’attend pas au départ !
÷ qu’il y a une communion possible au Christ sans eucharistie, il y a un pardon possible sans absolution.
÷ que l’opposition du Magistère à l’approche des sacrements relève de la morale sexuelle. mais tous les actes sexuels ne sont pas à mettre sur le même registre.
÷ qu’il est possible de se tromper, on a droit à l’erreur, et parfois, il vaut mieux se séparer que de se faire souffrir mutuellement.
÷ que communier est un don immense que Dieu nous fait.
÷ que le mariage chrétien est une vocation, une consécration, une mission qui nécessite donc une longue préparation.
÷ qu’ils vivent au plus profond d’une présence intérieure où Dieu les rejoint incontestablement et c’est là qu’ils témoignent de leur chemin de foi et y progressent (Longeat).

d) Accueil de ces couples

~ cesser toute discrimination dans la participation aux services d’Église (ex. préparation au mariage),
période pénitentielle
~ ré-accès officiel aux sacrements après accompagnement et discernement
autorisation état conjugal avec le nouveau conjoint

~ mais il ne faut pas que l’accès à la communion soit perçu comme une reconnaissance de la seconde union.

~ la miséricorde doit rejoindre les personnes en souffrance aux racines mêmes de leur souffrance : « Que veux-tu que je passe pour toi ? »

e) Améliorer la préparation au mariage

– comment la préparation au mariage peut-elle développer in extenso toutes les exigences liées à la contraction du mariage ?
– et les fiancés peuvent-ils les entendre et les accepter ?
– les divorcés remariés, quant à eux, pourraient apporter un témoignage irremplaçable, en particulier sur la nécessité de dialogue dans le couple, la confiance redonnée, etc…

– les fiancés sont rarement conscients de tout ce qu’ils engagent dans le sacrement de mariage (immaturité) et ensuite l’Église leur oppose la profondeur de ce qu’ils ont engagé.
– les échecs font partie de la vie, même si le droit de l’Église ne le reconnaît pas.

f) Catéchuménat du remariage

□ chemin de discernement et d’accompagnement ecclésial sur une durée significative et adaptée à chaque situation, qui ouvrirait au sacrement de réconciliation puis à l’eucharistie.
□ nouvelle union, remariage mais pas sacramentel.
□ accompagnement dans la durée.


Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *