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L’étonnant succès du mariage chrétien au Japon

Lu dans La Croix de juin 2013

Alors que les chrétiens ne représentent que 1 % de la population, la majorité des couples japonais demandent aux Églises protestantes ou catholique de bénir leur union.

Préparation 15 min avant la cérémonie, Mitsuhiko Sase et Manami Ishibashi n’ont jamais rencontré le prêtre avant et ne savent pas non plus comment faire : du coup on leur explique…

Soudain, les lumières de la « chapelle Maria-Mariveil » de Kashiwa s’éteignent. Au fond de l’église, seule la future mariée et sa robe ample, incrustée de roses en tissu, sont éclairées. L’organiste commence à jouer la marche nuptiale de Mendelssohn. Au côté de son père, la jeune femme s’approche lentement du pasteur et de son futur époux qui l’attend au bas de l’autel. Les deux hommes se saluent en s’inclinant à 90 degrés, à la japonaise. La cérémonie, d’une durée de vingt minutes, est menée selon une chorégraphie parfaitement réglée. Lectures de la Bible, échange des vœux et des alliances, sortie de l’église sous des pétales de roses et lancer de bouquet…

Une cérémonie ordinaire pour un mariage chrétien, sauf qu’aucun des promis n’est baptisé. Au Japon, un pays qui compte moins de 1 % de chrétiens, près de 60 % des couples se marient pourtant à l’église. Selon la revue du mariage Zexy, seuls 16 % des Japonais optent pour le mariage shinto, religion majoritaire, tandis que 24 % se marient uniquement civilement.

« Le Japon est le seul pays avec une telle demande pour le mariage chrétien alors que la religion y est aussi minoritaire, commente le P. Thierry Robouam, un jésuite qui enseigne à l’université Sophia de Tokyo. La situation est différente en Chine ou en Corée du Sud, où les chrétiens sont nombreux. »

« D’une certaine façon, ces gens obéissent à la loi divine en se mariant »

L’image romantique du mariage à l’église et l’attrait pour l’Occident expliquent pour beaucoup cette étonnante coutume nippone. « C’était tellement impressionnant d’avancer dans l’allée centrale face aux vitraux éclairés par un beau soleil ! se souvient Manami Sase, 27 ans, tout récemment mariée. J’ai toujours voulu me marier à l’église, le mariage shinto me semble coincé en comparaison. » La cérémonie n’est toutefois pas exactement la même que celle pratiquée en Europe ou aux États-Unis. Dans un souci « exotique », le pasteur protestant de la chapelle Maria-Mariveil alterne l’utilisation du japonais, de l’anglais et de l’espagnol.

Cette église œcuménique, bâtie en 1994 à une heure de Tokyo, est consacrée uniquement à la célébration des mariages. Peu regardante sur les « étiquettes », elle accueille aussi des mariages shintos. Soit 300 mariages par an, moyennant 1 200 € – réception comprise. Un vaste business qui entraîne son lot de dérives. La presse a même rapporté des cas de faux prêtres ou pasteurs, le plus souvent des professeurs d’anglais s’essayant le week-end à ce ministère rémunérateur…

Le pasteur Carlos Rivera, lui, n’est-il pas gêné de participer à ce folklore ? « Évidemment, cela me pose problème que les mariés ne soient pas chrétiens, explique cet ancien catholique d’origine mexicano-américaine converti au protestantisme. Mais la Bible dit : “Soyez féconds et multipliez-vous.” D’une certaine façon, ces gens obéissent à la loi divine en se mariant. » Ces mariages chrétiens permettent en outre, à ses yeux, de « semer les mots de Dieu » dans l’esprit des Japonais.

« Pendant la cérémonie, poursuit le pasteur, je partage l’Évangile avec les futurs mariés. Il m’arrive aussi de leur donner un “Digest” de la Bible. Plus tard, le couple revient parfois me présenter son premier enfant. Le mariage est le point de départ d’un dialogue. » Carlos Rivera reconnaît cependant qu’il n’a connaissance d’aucun cas de conversion au christianisme à la suite d’un mariage à l’église.

« La mission de l’Église est d’accueillir ceux qui frappent à sa porte »

Contre-pied aux chapelles et autels de circonstance, de « vraies églises », dépendantes d’une paroisse, proposent aux futurs époux de s’engager dans une démarche plus authentique. « J’ai discuté avec des amis étrangers qui m’ont montré à quel point certaines cérémonies chrétiennes pouvaient être fausses, raconte Akiko Hoshino, comptable de 36 ans qui prépare son mariage à l’église anglicane St. Andrew à Tokyo. Je tenais absolument à ce qu’il y ait un rituel fort lors de mon mariage. J’ai d’abord pensé à me marier dans un temple shinto avant de trouver cette église. »

S’ils optent pour un mariage catholique, les couples doivent s’engager dans un long processus de préparation. À la paroisse Saint-Ignace, en plein centre de Tokyo, il consiste en vingt séances d’une heure et demie réparties sur cinq mois. « C’est une occasion pour réfléchir au sens de la vie, de la foi et de l’amour », explique le P. Javier Garralda qui anime les séances.

Depuis 1975, le Vatican accorde le droit aux paroisses japonaises de bénir les unions de non-catholiques. Une autorisation exceptionnelle, accordée à de rares pays, qui visait à évangéliser et présenter aux Japonais une image positive de l’Église. Une cérémonie ad hoc, qui n’est pas un sacrement mais une simple bénédiction, est mise au point pour les couples non baptisés. Avec, notamment, l’ajout de la prière de saint François, qui semblait « plus adaptée aux sentiments des Japonais », explique le P. Garralda. « La mission de l’Église est d’accueillir ceux qui frappent à sa porte à ce moment clé de leur vie qu’est le mariage, précise une brochure éditée par l’association des évêques du Japon. L’Église leur révélera le sens profond du mariage et bénira leur union. »

MARIE LINTON, à KASHIWA et TOKYO (Japon)

Une tradition adoptée dans les années 1990


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