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Rome 1 mars 2014

Kasper change le paradigme, Bergoglio applaudit

Le texte, désormais public, du rapport explosif qui a ouvert le consistoire consacré à la famille.

Il indique deux voies pour permettre aux divorcés remariés de communier à nouveau.

En suivant l’exemple de ce qui se faisait dans l’Église de l’antiquité

par Sandro Magister
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350729?fr=y

ROME, le 1er mars 2014 – Le rapport introductif du cardinal Walter Kasper au consistoire de la semaine dernière n’est plus sous clé. C’est le quotidien italien « Il Foglio », dirigé par Giuliano Ferrara, qui l’a rendu public, réalisant ainsi un coup de maître journalistique puisqu’il a largement devancé la publication de ce rapport sous forme de livre par la maison d’édition Queriniana.

Mais l’idée même que ce rapport devait rester secret est devenue un contresens, après les propos dont le pape François l’avait honoré le 21 février, au terme des deux jours du consistoire consacrés à la question de la famille : « Hier, avant de dormir, mais pas pour m’endormir, j’ai lu – ou plutôt relu – le travail du cardinal Kasper et je voudrais le remercier parce que j’y ai trouvé une théologie profonde et aussi une pensée sereine dans cette théologie. Il est agréable de lire de la théologie sereine. Et j’y ai également trouvé ce dont saint Ignace nous parlait, ce ‘sensus Ecclesiæ’, l’amour pour notre Mère l’Église. Cela m’a fait du bien et cela m’a donné une idée – excusez-moi, éminence, si je vous fais rougir – mais l’idée est que cela s’appelle ‘faire de la théologie à genoux’. Merci. Merci ».

Dans son rapport, Kasper a indiqué qu’il voulait « seulement poser des questions » parce que « donner une réponse sera la tâche du synode, en accord avec le pape ». Mais, à lire ce qu’il a dit aux cardinaux, on voit que c’est bien plus que des questions, qu’il s’agit de propositions de solution déjà solidement assemblées et le pape François a déjà montré qu’il voulait y donner son adhésion.

Et ce sont des propositions fortes, un véritable « changement du paradigme ». En particulier à propos de ce que Kasper lui-même considère comme le problème des problèmes, l’accès des divorcés remariés à la communion, auquel il a consacré plus de la moitié de son discours de deux heures.

Comme www.chiesa l’avait déjà indiqué de manière anticipée dans deux articles, la pierre de touche des propositions de Kasper a été l’Église des premiers siècles, elle aussi « confrontée à des conceptions et à des modèles du mariage et de la famille très différents de ceux qu’avait prêchés Jésus ».

Face au défi de l’époque actuelle, Kasper est parti de l’idée que « notre position, aujourd’hui, ne peut pas être une adaptation libérale au ‘statu quo’, mais elle doit être une position radicale qui va jusqu’aux racines, qui va jusqu’à l’Évangile ».

Pour vérifier si c’est vrai ou non – et selon plusieurs cardinaux qui sont intervenus dans le débat, c’est non – voici les passages cruciaux du rapport.

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LE PROBLÈME DES DIVORCÉS REMARIÉS

par Walter Kasper

[…] Il n’est pas suffisant d’envisager le problème uniquement au point de vue et dans la perspective de l’Église en tant qu’institution sacramentelle. Nous avons besoin d’un changement du paradigme et nous devons – comme l’a fait le bon Samaritain – considérer également la situation dans la perspective de ceux qui souffrent et demandent de l’aide.

Tout le monde sait que la question des mariages de personnes divorcées et remariées est un problème complexe et épineux. […] Que peut faire l’Église dans de telles situations ? Elle ne peut pas proposer une solution différente ou contraire à ce qu’a dit Jésus. L’indissolubilité d’un mariage sacramentel et l’impossibilité de contracter un nouveau mariage tant que l’autre partenaire est vivant fait partie de la tradition de foi contraignante de l’Église qui ne peut pas être abandonnée ou dissoute en faisant appel à une compréhension superficielle de la miséricorde à bas prix. […] La question est donc de savoir comment l’Église peut correspondre à ce binôme indivisible de fidélité et miséricorde de Dieu dans son action pastorale en ce qui concerne les divorcés qui se sont remariés civilement. […]

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation semblable à celle du dernier concile. Déjà à ce moment-là, il y avait, par exemple à propos de la question de l’œcuménisme ou de celle de la liberté de religion, des encycliques et des décisions du Saint-Office qui paraissaient exclure d’autres voies. Le concile, sans violer la tradition dogmatique contraignante, a ouvert des portes. On peut se demander s’il n’y a pas également, pour la question dont nous parlons, la possibilité d’un nouveau développement […]

Je me limite à deux situations pour lesquelles des solutions sont déjà esquissées dans certains documents officiels. Je souhaite seulement poser des questions, en me bornant à indiquer l’orientation des réponses possibles. Mais donner une réponse sera la tâche du synode, en accord avec le pape.

PREMIÈRE SITUATION

« Familiaris consortio » affirme que certains divorcés remariés sont, en conscience, subjectivement convaincus que leur précédent mariage, irrémédiablement brisé, n’a jamais été valide. […] Selon le droit canonique, l’évaluation est une tâche qui incombe aux tribunaux ecclésiastiques. Étant donné que ceux-ci ne sont pas « jure divino », mais qu’ils se sont développés au cours de l’histoire, on se demande quelquefois si la voie judiciaire doit être le seul moyen à utiliser pour résoudre le problème ou s’il ne serait pas possible de recourir à d’autres procédures plus pastorales et plus spirituelles.

De manière alternative, on pourrait envisager que l’évêque puisse confier cette tâche à un prêtre possédant une expérience spirituelle et pastorale en tant que pénitencier ou vicaire épiscopal.

Indépendamment de la réponse à donner à cette question, il convient de rappeler le discours adressé par le pape François, le 24 janvier 2014 aux dirigeants du tribunal de la Rote Romaine, dans lequel il a affirmé que la dimension juridique et la dimension pastorale ne sont pas en opposition. […] La pastorale et la miséricorde ne s’opposent pas à la justice mais, pour ainsi dire, elles sont la justice suprême, parce que derrière chaque dossier elles entrevoient non seulement un cas à examiner dans l’optique d’une règle générale, mais un être humain qui, en tant que tel, ne peut jamais représenter un cas et qui a toujours une dignité unique. […] Est-il vraiment possible que l’on décide du bien et du mal des gens en seconde et en troisième instance uniquement sur la base d’actes, autrement dit de documents, mais sans connaître la personne et sa situation ?

SECONDE SITUATION

Ne chercher la solution du problème que dans un généreux élargissement de la procédure de nullité du mariage serait une erreur. On ferait ainsi naître la dangereuse impression que l’Église procède de manière malhonnête pour accorder ce qui, en réalité, est un divorce. […] Par conséquent nous devons également prendre en considération la question plus difficile de la situation du mariage valide et consommé entre baptisés, dans lequel la vie commune matrimoniale a été irrémédiablement brisée et dans lequel l’un des conjoints, ou les deux, ont contracté un second mariage civil.

La congrégation pour la doctrine de la foi nous a déjà donné un avertissement en 1994 lorsqu’elle a indiqué – et le pape Benoît XVI l’a réaffirmé lors de la rencontre internationale des familles à Milan en 2012 – que les divorcés remariés ne peuvent pas recevoir la communion sacramentelle mais qu’ils peuvent recevoir la communion spirituelle. […]

Beaucoup de gens seront reconnaissants de cette réponse, qui constitue une véritable ouverture. Toutefois elle soulève plusieurs questions. En effet, celui qui reçoit la communion spirituelle ne fait qu’un avec Jésus-Christ. […] Alors pourquoi ne peut-il pas recevoir également la communion sacramentelle ? […] D’aucuns soutiennent que la non-participation à la communion est précisément un signe de la sacralité du sacrement. La question qui se pose en retour est : est-ce que faire de la personne qui souffre et demande de l’aide un signe et un avertissement pour les autres n’est pas une instrumentalisation ? La laissons-nous mourir de faim sacramentellement afin que d’autres vivent ?

L’Église des débuts nous fournit une indication qui peut aider à sortir de ce dilemme et à laquelle le professeur Joseph Ratzinger avait déjà fait allusion en 1972. […] Dans chaque Église locale il existait un droit coutumier en vertu duquel les chrétiens qui vivaient une seconde union alors même que leur premier partenaire était encore en vie avaient à leur disposition, après un temps de pénitence, […] non pas un second mariage, mais plutôt, à travers la participation à la communion, une planche de salut. […]

La question est : cette voie qui est au-delà du rigorisme et du laxisme, la voie de la conversion, qui aboutit au sacrement de la miséricorde, le sacrement de pénitence, est-elle également le chemin que l’on peut parcourir en ce qui concerne la question dont nous parlons ?

Un divorcé remarié : 1. s’il se repent de son échec dans son premier mariage, 2. s’il a clarifié les obligations correspondant à son premier mariage, s’il est définitivement exclu qu’il revienne en arrière, 3. s’il ne peut pas renoncer, sans ajouter d’autres fautes, aux engagements qu’il a pris dans le cadre de son nouveau mariage civil, 4. si toutefois il s’efforce de vivre au mieux de ses possibilités son second mariage à partir de la foi et d’élever ses enfants dans la foi, 5. s’il a le désir des sacrements en tant que source de force dans sa situation, devons-nous ou pouvons-nous lui refuser, après un temps de nouvelle orientation, de « metanoia », le sacrement de pénitence puis celui de la communion ?

Cette voie possible ne serait pas une solution générale. Ce n’est pas la voie large de la grande masse, mais plutôt la voie étroite de la partie probablement la plus petite des divorcés remariés, sincèrement intéressée par les sacrements. Ne faut-il pas éviter le pire précisément sur ce point ? En effet, lorsque les enfants des divorcés remariés ne voient pas leurs parents s’approcher des sacrements, d’habitude ils ne trouvent pas non plus le chemin vers la confession et vers la communion. Est-ce que nous ne prendrons pas en compte le fait que nous perdrons aussi la génération suivante et peut-être même celle qui viendra ensuite ? Est-ce que notre pratique confirmée ne se montre pas contreproductive ? […]

LA PRATIQUE DE L’ÉGLISE DES DÉBUTS

D’après le Nouveau Testament, l’adultère et la débauche sont des comportements en opposition fondamentale avec le fait d’être chrétien. Ainsi, dans l’Église de l’antiquité, l’adultère figurait, à côté de l’apostasie et de l’homicide, parmi les péchés capitaux, qui excluaient de l’Église. […] À propos des problèmes exégétiques et historiques relatifs à cette question il existe une abondante littérature, dans laquelle il est presque impossible de s’orienter, et des interprétations différentes. On peut citer, par exemple, d’une part G. Cereti, « Divorzio, nuove nozze e penitenza nella Chiesa primitiva », Bologne, 1977, 2013, et d’autre part H. Crouzel, « L’Église primitive face au divorce », Paris 1971, et J. Ratzinger, […] 1972, [reproduit] dans « L’Osservatore Romano » du 30 novembre 2011.

Il est indubitable que, dans l’Église des débuts, beaucoup d’Églises locales, en vertu d’un droit coutumier, pratiquaient, après un temps de repentir, la tolérance pastorale, la clémence et l’indulgence.

Il faut peut-être également inclure dans le contexte de cette pratique le canon 8 du concile de Nicée (325), tourné contre le rigorisme de Novatien. Ce droit coutumier est expressément signalé par Origène, qui ne le juge pas déraisonnable. De même Basile le Grand, Grégoire de Nazianze et quelques autres y font référence. Ils expliquent le “pas déraisonnable” par l’intention pastorale d’“éviter le pire”. Dans l’Église latine, l’autorité d’Augustin a conduit à l’abandon de cette pratique au profit d’une autre, plus sévère. Toutefois Augustin lui-même parle, dans un passage, de péché véniel : il ne semble donc pas avoir exclu dès le départ toute solution pastorale.

De même, par la suite, l’Église d’Occident, dans les situations difficiles, a toujours cherché et même trouvé des solutions concrètes, à travers les décisions des synodes et autres du même genre. Le concile de Trente […] a condamné la position de Luther, mais pas la pratique de l’Église d’Orient. […]

Les Églises orthodoxes ont conservé, conformément au point de vue pastoral de la tradition de l’Église des débuts, le principe, qu’elles considèrent comme valide, de l’oikonomia. À partir du VIe siècle, cependant, se référant au droit impérial byzantin, elles ont été au-delà de la position de la tolérance pastorale, de la clémence et de l’indulgence, en reconnaissant également, à côté des clauses relatives à l’adultère, d’autres motifs de divorce, qui partent de la mort morale et pas seulement physique du lien matrimonial.

L’Église d’Occident a suivi un autre parcours. Elle exclut la dissolution du mariage sacramentel entre baptisés quand il est valide et consommé, mais elle connaît le divorce dans le cas d’un mariage non consommé, ainsi que, en vertu du privilège paulin et pétrinien, dans le cas des mariages non sacramentels. À côté de cela, il y a les déclarations de nullité pour vice de forme ; à ce sujet, on pourrait toutefois se demander si ce ne sont pas des points de vue juridiques historiquement très tardifs qui sont mis au premier plan, de manière unilatérale.

J. Ratzinger a suggéré de reprendre d’une manière nouvelle l’opinion de Basile. Il semble que ce soit une solution appropriée, qui est également à la base des réflexions que je vous livre aujourd’hui. Nous ne pouvons pas faire référence à l’une ou l’autre interprétation historique, qui reste toujours sujette à controverse, pas plus que nous ne pouvons reproduire simplement les solutions de l’Église des débuts dans notre situation présente, qui est complètement différente. Cependant, dans la situation actuelle changée, nous pouvons en reprendre les concepts de base et chercher à les concrétiser aujourd’hui, d’une manière juste et équitable à la lumière de l’Évangile.

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Le texte intégral du rapport Kasper, rendu public le 1er mars en exclusivité mondiale par le quotidien « Il Foglio » : > « In questo anno internazionale della famiglia… »

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Les deux articles de www.chiesa consacrés à la manière d’agir de l’Église des premiers siècles à l’égard des divorcés remariés, avec des références à des textes des Pères de l’Église, des conciles et d’auteurs modernes identiques à ceux qui sont cités par Kasper dans son rapport :

> Quand l’Église de Rome pardonnait les remariages (31.1.2014)

> Le synode à la croisée des chemins, à propos des remariages (7.2.2014)

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Sur le front opposé à Kasper, la prise de position dont l’argumentation fait le plus autorité continue à être celle du cardinal Gerhard L. Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, qui a été publiée dans « L’Osservatore Romano » du 23 octobre 2013 : > Sur l’indissolubilité du mariage et le débat sur les divorcés remariés civilement


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