Amoris Laetitia, présentation du chapitre 8
C’est toute l’Eglise qui souffre quand des membres sont manquants ! Je crois que c’est le sens du chapitre 8 de AL. Je considère que ce chapitre se place dans la dynamique de 1 Co 12 ou Paul compare l’Eglise à un corps, et « à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » (v.7), « Dieu a composé le corps en donnant plus d’honneur à ce qui en manque » (v.24). Il y a pour le pape François un véritable déchirement intérieur qu’il exprime fortement : celui de voir des personnes, qui en raison de leur situation conjugale ne prennent plus part au corps qu’est l’Eglise. C’est pour lui un non-sens qu’il faut absolument corriger parce que « la route de l’Église est de ne condamner personne éternellement, mais de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère. Nul n’est exclu de cette miséricorde, parce qu’elle est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite » (AL 296). « La miséricorde de Dieu n’est refusée à personne » (AL 300). Je crois que nous avons là la visée de ce chapitre 8. Et cette visée s’adresse plus particulièrement aux prêtres en charge de paroisse et aux chrétiens des communautés leur indiquant qu’ils doivent être relais et médiateur de cette miséricorde inconditionnelle.
La conséquence, c’est que nous avons un texte dont le ton change radicalement des précédents. Evidemment et heureusement, il y a une vraie continuité, AL met en avant l’idéal du mariage chrétien mais il ne le qualifie pas de « signe parfait » de l’alliance entre le Christ et son Eglise, mais « reflet » (AL 292) de cette alliance et même de « signe imparfait » (AL 72). Le ton change car au lieu que le texte édicte un permis/défendu qui, de fait, laisserait sur le carreau ceux qui ne sont pas dans la bonne case, AL prend en compte chaque situation dans sa singularité afin que chacun puisse avancer pas à pas sur un chemin de discernement en étant accompagné avec patience et délicatesse (AL 294). Il s’agit tout simplement d’observer et d’imiter la pédagogie de Jésus dans ses rencontres (Zachée, la Samaritaine, la femme adultère, la syro-phénicienne, Bartimée…) enfin… toutes celles et ceux qu’il rencontre. L’objectif est donné, François écrit : « il s’agit d’intégrer tout le monde […] personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Evangile » (AL 297)
Là ou précédemment tous les divorcés remariés étaient mis dans le même panier avec comme conséquences identique pour tous l’exclusion des sacrements, le pape François invite à discerner les situations et à faire la part des choses. Une seconde union peut être très récente et encore en grande tension avec des souffrances antérieures qui ne sont pas apaisées. Inversement cette seconde union peut être déjà consolidée dans le temps, épanouie avec une fidélité prouvée (AL 298), et François invite alors ces personnes à se manifester auprès des pasteurs et de la communauté pour qu’il leur soit proposé un chemin d’intégration puisque c’est « la logique qui doit prédominer » (AL 312)
D’où l’importance, vous vous en doutez que cette exhortation (qui est depuis 8 ans le texte en vigueur concernant la pastorale des familles) soit lu, connu et surtout mise en œuvre. On en est malheureusement encore loin. Une mise en œuvre pastorale a débuté en 2017 dans des paroisses de l’Est lyonnais avec l’appellation « cheminements Bartimée ». Ce sont des groupes de paroles pour des baptisés qui sont en seconde union. Accompagnés par des laïcs et un prêtre, pas à pas ils vont cheminer au rythme de l’évangile de Bartimée (Mc 10, 46-52) et faire relecture de leur vie hier et aujourd’hui à partir de points de discernements proposé dans l’exhortation (AL 300). Au cours de ce parcours, plutôt vers la fin, chacun pourra entendre personnellement la question de Jésus à Bartimée : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » Mc 10, 51. Et chacun en conscience pourra élaborer sa réponse.
Dans l’évangile de Bartimée, nous voyons la transformation qui s’opère : Bartimée au départ marginalisé, est au final réintégré au groupe et il se fait disciple. La foule à un rôle essentielle dans le récit car elle est appelée à se convertir, au départ elle est un obstacle à la rencontre, elle devient à la demande de Jésus médiation et relais.
On a un autre exemple dans la parabole aux deux fils (Lc 15, 11-32), le cadet qui est de retour est réintégré dans sa dignité de fils par un banquet, mais cela ne suffit pas : l’aîné a lui aussi un rôle essentiel : il lui est demandé par le Père de prendre part aux réjouissances.
On peut comprendre que cette foule dans Bartimée comme ce fils aîné dans la parabole représentent la communauté paroissiale qui est invité à se convertir elle aussi. Mais pour cela elle doit être associée et partie prenante dès le départ de ces cheminements. Si la communauté a le rôle essentiel pour accueillir et intégrer, il faut d’une part qu’elle soit informée voir initiatrice de la proposition pastorale, puis partie prenante de l’accompagnement et enfin invitée à manifester sa joie d’accueillir et d’intégrer par exemple lors d’une célébration.
Le pape donne des éléments en guise d’avertissements aux pasteurs pour les aider à accompagner correctement. Si la loi est bonne parce qu’elle donne un cap vers l’idéal recherché, « il est en revanche mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale car cela ne suffit pas pour discerner et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète » (AL 304), il ajoute « un pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations « irrégulières », comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes » (AL 305). Les cheminements nécessitent donc beaucoup d’écoute, d’empathie et d’humilité et de savoir « retirer ses sandales devant la terre sacrée de l’autre » (EG 169)
A la question de Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », certains répondront qu’ils attendent la possibilité et la joie de vivre un retour aux sacrements, et en effet, le pape rappelle que « L’eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (AL note 351, EG 47). Qui refuserait de se réjouir du retour à la santé d’un membre du corps.
Je fais un aparté : vous savez, quand il y a eu il y a quelques mois le débat pour inscrire l’IVG dans la constitution, l’Eglise de France a je crois insistée pour dire que si c’était mentionné, il fallait en parler non pas comme d’un droit, mais comme d’une liberté fondamentale. Le journal La Croix en avait fait des articles dans ce sens. Eh bien l’Eglise s’honorerait je crois à utiliser la même expression pour les sacrements : ils ne sont pas un droit, ni pour les uns, ni pour les autres car aucun de nous n’en est digne comme nous le disons tous avant d’aller communier. En revanche, je crois que les sacrements sont un don de Dieu et une liberté fondamentale de tous les baptisés pour s’attacher au Christ, pour nourrir sa foi et pour retrouver sa place en Eglise. Le pape dénonce d’ailleurs une attitude qui se comporterait en « contrôleur de la grâce plutôt qu’en facilitateur » (AL 310)
Jésus ne cesse de nous dire qu’il est venu pour que nous ayons la vie et pour que nous l’ayons en abondance : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » (Jn 6, 53-54)
Franck le 9 avril 2024