Lettre aux pasteurs et animateurs pastoraux qui accueillent des personnes divorcées après une seconde union civile
« Il devient de plus en plus fréquent que des personnes ayant constitué un nouveau couple après l’échec d’un premier mariage demandent une « bénédiction » à l’Église. Certes les raisons du premier échec et les demandes du nouveau couple sont très diverses, et cela appelle un réel discernement. Si l’Église catholique maintient l’unité et l’indissolubilité du mariage sacramentel, elle offre des moyens de discernement objectif et des procédures pour vérifier la validité du premier mariage. Et nous nous devons d’examiner avec sérieux la qualité humaine et spirituelle de cette première union.
Par ailleurs,certaines ruptures peuvent manifester un rejet des conditions essentielles du mariage chrétien. Mais ce qui retient ici notre attention, c’est plutôt le point de vue pastoral, celui d’hommes et de femmes mis devant l’impossibilité d’entreprendre une démarche canonique pour de multiples raisons, dont il nous faut à chaque fois démêler les motivations. Il nous faut insister sur l’accueil et le dialogue qui ouvrent des perspectives en vérité plutôt que de répondre dans le flou à la requête de cérémonie.
Soucieux d’aider les uns et les autres dans leur discernement et les réponses aux demandes de « célébration « , nous avons mené avec des couples divorcés une réflexion dont nous vous proposons l’essentiel. Nous avons voulu éviter les ambiguïtés d’un « ordo » pour de tels temps de prière et susciter des attitudes d’accompagnement plus que de prescriptions rituelles. «
Gérard DEFOIS
Voici un texte élaboré par une commission de travail au sein de la pastorale familiale, avec le concours de Mgr Gérard Defois , de Mgr Pascal Delannoy , ainsi que du conseil épiscopal.
Divorcé », « divorcé remarié »… Ces mots évoquent des situations de plus en plus fréquentes, mais toujours difficiles à vivre. Difficiles à vivre en tant qu’expérience humaine; difficiles à vivre aussi dans les rapports avec les autres, dans le regard des autres; et plus encore peut-être dans l’Eglise… Récemment, un groupe s’est constitué, autour de quelques couples de personnes divorcées et divorcées remariées, auxquelles se sont associés des prêtres, des diacres et des animateurs en pastorale engagés dans l’accompagnement de ces situations. Leur démarche s’est concrétisée dans la proposition de deux matinées de recherche et de partage sur ce qui se vit en termes d’accompagnement et de temps de prière. Derrière cette initiative, il y avait la volonté de sortir de la confidentialité; mais aussi la volonté de sortir d’une situation où ce qui se vit reste lié à la bonne volonté de tel ou tel pasteur, afin que cela soit proposé et vécu comme une démarche d’Eglise. Ce texte est l’un des fruits de ces rencontres. En préalable, il semble essentiel de prendre conscience du changement que nous sommes en train de vivre en terme de mœurs conjugales dans la société, changement qui ne peut se réduire à une simple affaire de « relâchement des mœurs » ou de facilité, au sujet desquels il est légitime de rester critique. D’abord le nombre de divorces, mais aussi le fait que des couples bien préparés, apparemment solides et engagés dans la vie, soient frappés par les séparations, sans que rien puisse le laisser prévoir, nous oblige à penser, au minimum, l’accueil et l’accompagnement des personnes, simplement parce qu’il s’agit d’être, là aussi, signe de l’amour de Dieu. Ceci nous conduit à présenter le sacrement de mariage comme la voie la plus accomplie de l’union conjugale, chemin exigeant, et qui peut paraître à contre-courant, tout en nous rendant proches de ceux dont les itinéraires sont plus accidentés, ou parallèles… bien qu’ils regardent le même horizon.
Une mutation radicale
• « Mutation » des relations homme/femme,
des expériences de couple, de la composition
et de la recomposition des familles.
– Les sociologues le décrivent: nous sommes passés d’un monde « unifié » à un monde diversifié, voire éclaté. Diversifié en ce sens qu’il n’y a plus un seul modèle de comportement qui sert de référence ou qui fait consensus, mais il existe différents modèles, tant en ce qui concerne les relations familiales ou conjugales, qu’en terme de références éthiques, philosophiques ou religieuses. Plus fondamentalement, c’est aussi l’éclatement des communautés humaines et le morcellement de l’existence à travers différents groupes d’appartenances (monde de l’entreprise, médias, écoles, appartenances ethniques, etc.), chaque groupe ayant sa propre logique, son propre réseau de relation, parfois sa propre éthique, et parfois même, développant des hiérarchies de valeurs différentes, ou induisant des comportements différents. La famille y a perdu son statut de lieu essentiel de l’initiation sociale et de la transmission aux enfants, transmission qui, elle-même, est en crise. Cet éclatement, ainsi que la valorisation de la sexualité comme lieu de réalisation, rend difficile l’expérience ou la perspective de la solitude, accélère les mises en couple précoces, ou les remises en couple après une rupture.
– Ces séparations sont source de souffrance, laissent des traces, des blessures intérieures mal cicatrisées; et il faut combattre l’idée que cela n’est pas grave. Les souffrances engendrées chez le conjoint qui ne l’a pas voulu, chez les enfants qui ne l’ont jamais voulu, sans parler de la difficulté à gérer les gardes ou les questions financières, tout ceci doit nous conduire tout à la fois à ne pas banaliser et à accueillir ceux qui vivent cette épreuve.
– Il faut aussi comprendre qu’il ne s’agit pas d’une évolution marginale, ni d’un changement d’environnement, mais véritablement d’une mutation, d’un changement interne dans les manières de penser sa vie et ses relations, un changement dans ce qui structure l’homme d’aujourd’hui. Ce qui concerne la conjugalité et la famille n’est d’ailleurs qu’un aspect: il y a aussi la valorisation du statut de la femme, la « crise de l’autorité », la prise de distance avec les institutions religieuses ou autres, la privatisation de la morale, etc. Cela n’empêche pas de penser le mariage, et la fidélité, mais ça oblige à les penser en d’autres termes qu’auparavant, et certainement plus sous l’argument d’autorité ou d’évidence…
– Spécificité pour nos communautés
– Les croyants ne sont pas épargnés par cette mutation. Chez les plus anciens, la souffrance se double de culpabilité et d’un sentiment d’exclusion de la communauté.
En revanche chez les plus jeunes (ce qui a été dit par rapport aux souffrances et aux
blessures restant vrai) les séparations et les nouvelles unions se vivent souvent dans une
certaine indifférence quant aux positions de l’Eglise. Beaucoup continuent de communier, d’animer des groupes…
– Il y a aussi le sentiment d’injustice qui naît au regard de certaines situations (mariage impossible entre une personne divorcée et une qui ne l’est pas; ou inversement, mariage possible au terme de plusieurs unions-séparations qui ont été vécues hors sacrement du mariage). Le « légalisme pratique » inévitable entretient l’absence de discernement entre les personnes et entre des situations qui ne sont pas du même ordre: c’est une chose de partir pour vivre avec quelqu’un d’autre, c’en est une autre de partir parce qu’on a subi des violences…
même si on se remet par la suite en ménage avec une autre personne. Pour ce qui concerne l’accès à une vie sacramentelle, cela revient pourtant au même! Dans la perspective d’une nouvelle union, il y a aussi la personne du prêtre ou du diacre rencontré qui donne parfois le sentiment que les choses dépendent du fait qu’on ait ou non choisi la bonne porte.
Paradoxalement, ces situations sont souvent l’occasion d’une grande réflexion: l’échec et la blessure ont souvent permis un travail de vérité sur soi et de discernement
des attentes. Et la nouvelle union se vit parfois avec une maturité et dans une profondeur spirituelle importantes.
– Comment accompagner dans ces chemins difficiles? Comment soutenir les personnes? Comment annoncer la Bonne Nouvelle? Dans nos communautés, nous sommes déconcertés, démunis devant des situations imprévisibles, devant tant de souffrance; tiraillés également entre la volonté d’affirmer une forme d’exigence que nous croyons nécessaire, et la tout autant nécessaire compassion.
Dans ces situations, quelle parole de salut annoncer?
-Le défi évangélique nous met en tension.
-Devant cette situation nouvelle, la réponse « légaliste » ne peut suffire. Quelle parole qui soit parole de salut, l’Evangile nous invite-t-il à prononcer? Peut-être faut-il commencer par renoncer à l’illusion d’une seule parole… Il y a plusieurs chemins possibles, plusieurs paroles nécessaires. Et par ailleurs, le salut est un chemin qu’on ne peut que suggérer, mais que chacun doit parcourir pour lui-même, et il peut arriver que ces chemins soient différents… « Dieu n’écrit-il pas droit avec des lignes
courbes? » Notre responsabilité ne consiste-t-elle pas à éveiller, réveiller, mettre l’accent sur différentes attitudes qui ne s’excluent pas et sont toutes essentielles, même si on n’arrive pas toujours à les vivre toutes, ni au même moment?
– Importance d’affirmer à temps et à contretemps un modèle conjugal et familial qui est un chemin d’humanité pour les hommes, les femmes, et leurs enfants, un chemin d’amour à la suite du Christ qui nous a aimés jusqu’au bout dans le don et le pardon.
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– Importance de signifier la fidélité, comme grâce, comme don de Dieu et l’engagement « à vie » comme une des caractéristiques de la responsabilité et de la liberté humaines.
– Importance de rappeler que le don de Dieu peut être accueilli après avoir été refusé et féconder toute union.
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– Importance de témoigner d’un Dieu qui ne juge pas, mais qui pardonne à temps et à contretemps, qui redonne 70 x 7 fois sa chance à ceux qui tombent et qui se révèlent aux « boiteux et aux aveugles »…
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– Importance de rappeler que la vie conjugale n’est pas le tout de la vocation du baptisé et que tout sacrement a comme finalité la rencontre du Seigneur, et pas seulement celle du conjoint ou de ses enfants… ce qui nécessite une forme de décentrement: le salut est dans la vie chrétienne, l’exercice de la charité, la vie de prière, etc.
– Importance de rappeler à tous que nos blessures plus encore que nos réussites sont les chemins par lesquels le Seigneur se révèle; et que ces chemins de « mort et résurrection » peuvent prendre parfois des tournures très concrètes. Notre mission ne consiste pas à laisser dans la mort, mais à accompagner les résurrections.
– Des points de référence qui sont bonne nouvelle pour les personnes séparées, divorcées et remariées.
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– Rien n’efface le baptême. Tout baptisé est enfant de Dieu, membre de l’Eglise. Et les situations de séparation, de divorce, de vie conjugale hors sacrement, de remariage civil, ne remettent pas en cause le sacrement de baptême. Ce sacrement reste premier, fondateur de notre identité d’enfant de Dieu. C’est par ce sacrement que nous sommes tous frères devant le Seigneur et dans la communauté.
Faire partie de la communauté chrétienne n’est pas un droit, mais un appel et une responsabilité. Chacun est appelé à s’interroger sur ce qu’il fait de son baptême, sur la fidélité à cette promesse, quelle que soit sa situation conjugale. Cette vocation comporte tout à la fois une dimension de fraternité et une dimension d’engagement, un accueil qu’on est en droit d’attendre de la communauté et un engagement de vie dont chaque croyant est responsable. Les personnes divorcées et remariées ont leur place dans la communauté chrétienne et comme tous les chrétiens, c’est important qu’elles la prennent. L’Eglise compte sur elles pour qu’elles apportent leur contribution à la construction du Royaume, que ce soit dans leur vie professionnelle, familiale, comme dans ce qu’elles peuvent apporter à la vie concrète des communautés (catéchèse, préparation au baptême, etc.). Cette pédagogie active est, comme pour tout le monde, ce qui fait avancer dans la foi. Comme toutes les familles, les familles recomposées ont cette responsabilité fondamentale de première annonce de la foi à leurs enfants.
– Pour autant, quand il s’agit d’écrire une nouvelle page, il ne s’agit pas pour autant d’arracher la précédente. La méditation, voire la reconnaissance de l’échec, parfois du mal causé, est une démarche de vérité qu’il faut favoriser dans la bienveillance. Elle peut être un chemin spirituel fort dans un monde qui ne valorise que la réussite.
– Dans le même esprit, il est essentiel que la justice soit assumée, envers le conjoint précédent (versement de pension, pacification de la relation), et aussi vis-à-vis des enfants, du partage de la garde, etc.
– En terme de « regard », c’est en définitive une autre manière de lire nos existences qui est sous-jacente: non plus en terme d’être qui serait irrémédiablement taché d’une faute indélébile, mais en terme de devenir, de construction, où les épreuves comme les réussites sont autant d’étapes dans l’histoire de chacun, dans une histoire qui a vocation au salut. Il ne faudrait plus dire « les divorcés », mais les « personnes qui ont vécu un divorce ». Même si un divorce est l’aveu d’un échec, le désir d’une nouvelle union est une nouvelle étape qu’il est important d’accompagner, qui peut être l’occasion d’une annonce de l’Evangile.
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– Pour rendre visible cette bonne nouvelle dans nos communautés.
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Les nouvelles orientations pour la catéchèse nous rappellent que la communauté chrétienne est le cœur de tout dispositif pastoral. C’est vrai aussi en ce qui concerne les personnes divorcées ou divorcées et remariées. La bonne volonté et les initiatives de tel pasteur, de tel mouvement ou de tel accompagnateur ne remplacent pas la responsabilité de la communauté chrétienne. Des mouvements existent déjà (Cana Espérance, par exemple). Mais il est essentiel que cette présence active soit aussi le souci de l’Eglise de tous les jours, des paroisses en particulier, qui restent les lieux de proximité et de vie les plus importants. Cette présence peut prendre le visage de propositions. Elle peut aussi être de l’ordre du relais, parce qu’on n’a pas toujours les moyens; mais ça suppose d’être au courant de ce qui existe et ça suppose surtout de s’en soucier.
Le moment de l’accueil est un moment essentiel. Quand des personnes, malgré leur charge de culpabilité et de souffrance,
frappent aux portes des presbytères, avec toute l’espérance et les attentes qui les habitent, beaucoup de choses se jouent dans les premiers moments, pour ceux qui sont accueillis autant que pour ceux qui accueillent. Pour éviter les fausses informations, dégonfler les peurs, ou démentir les faux bruits, on tirera profit à relire le texte sur l’accueil paru dans Eglise de Lille (10 septembre 2004, n° 14, p. 15 à 18). Ces personnes peuvent s’adresser à nous au moment des séparations mais beaucoup n’osent pas. Des propositions d’accompagnement, d’aide, d’écoute, peuvent répondre au besoin de parler et favoriser le passage d’un seuil. Ils peuvent aussi permettre d’aller plus loin: les moments douloureux sont aussi des moments d’une vie intérieure forte, d’une interrogation sur ce qu’on a fait de sa vie. Ces propositions ne visent pas à remplacer un suivi psychologique parfois indispensable; elles sont de l’ordre de la fraternité et de l’accompagnement spirituel. Elles peuvent permettre une relecture, favoriser une prise de conscience qui puisse aboutir, sinon à une réconciliation, au moins à une démarche de pacification.
– A l’occasion des demandes de célébration pour un remariage civil : il faut pouvoir sortir d’une vision consommatrice de la célébration, se décentrer en favorisant une préparation qui prend son temps et qui soit ‘occasion d’un cheminement spirituel, cheminement qui peut être d’autant plus riche que les blessures vécues conduisent à plus de profondeur, plus d’humilité, plus de vérité. En se décentrant du temps de prière pour mettre l’accent sur ce nouveau projet de vie à construire, et ce que l’expérience passée a pu éclairer et réconcilier sur soi- même, cela permet aussi d’éviter l’impasse qui tourne autour de « ce qu’on n’a pas le droit défaire ».
Par ailleurs, il est important de travailler à ce que les temps de prière ne soient ni au rabais, ni assimilables à un « quasi- sacrement » de mariage; mais il faut sortir de la confidentialité et faire en sorte que cette démarche soit portée par la communauté, par sa prière, par ses animateurs. Cela oblige pour l’essentiel à avoir une proposition qui soit claire et peut-être donc à travailler les signes et les gestes qui ne portent pas à confusion, tout en signifiant la beauté de l’espérance sous-jacente à ce nouvel engagement. Quelques-uns d’entre nous expérimentent la fécondité d’une célébration construite autour du rappel du sacrement de baptême. Sans doute faudra-t-il aussi parvenir à clarifier le vocabulaire?
• Du côté de la préparation au sacrement de mariage.
Beaucoup de divorcés remariés déclarent: « C’est vraiment lors de mon second mariage que j’ai compris ce que cela voulait dire de se marier. » Ceci nous invite à nous interroger sur la préparation au mariage. Les changements que nous avons évoqués en introduction marquent en premier lieu les jeunes qui se présentent au mariage et qui ne sont plus des « fiancés » au sens où on l’entendait auparavant… Souvent, il ne s’agit plus de préparer à la vie commune, mais dans ce monde où la référence chrétienne n’est plus unanime, voire inconnue dans son contenu, il y aurait peut-être lieu à prendre un peu plus de temps et à vivre des démarches qui relèvent de l’initiation à la vie chrétienne tout autant qu’à la vie de couple. De plus l’expérience des divorcés remariés, non pas au nom de la peur de l’échec, mais à cause de la prise de conscience et de la maturation qu’elle a favorisées, pourrait être féconde pour tous.
Travaillez-le, en équipes locales , ente animateurs.